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Prime à la casse, ça passe ou ça casse
Publié dans Les ECO le 15 - 10 - 2010

Tout juste 200 dossiers candidats à la prime à la casse (sur les 8.000 potentiels) ont été déposés à ce jour à Casablanca, selon le syndicat national des taxis. Une adhésion timide qui, du point de vue des professionnels, peut être perçue comme le signal d'un éventuel échec du projet. Ce qui fait de ce dossier un énième point sur lequel le département de Karim Ghellab et les professionnels n'adoptent pas la même position. Le ministère des Transports fait de la prime à la casse un levier fondamental pour la modernisation du secteur et de la filière des taxis, alors que les opérateurs la considèrent comme une opération à moindre impact. Pis encore, ceux-ci n'en voient même pas l'utilité ni le caractère urgent. Plusieurs chauffeurs de taxis interrogés à ce propos répondent d'emblée que le renouvellement de leur taxi n'est pas une priorité. En ce qui les concerne, la véritable priorité, disent-ils, c'est la révision de leur statut social. Même son de cloche également du côté du syndicat, où l'on considère que plutôt que de se focaliser sur la seule prime à la casse, il faudrait envisager la refonte complète du système des taxis. À ce propos, Mohamed Harrak (SG du syndicat national des taxis) tout comme Rqibi Ghrib (représentant des taxis à la Chambre de commerce de Rabat), expliquent que «le système actuel de taxis est dépassé» et que «ce dont la profession a besoin ce n'est pas seulement d'une prime à la casse, mais d'un modèle économique viable». Pour autant, sur toutes ces questions, il nous a été impossible d'avoir le commentaire du ministère, les équipes de Ghellab étant restées injoignables en dépit de plusieurs relances.
Couacs
En tout cas, une chose est sûre, pour les professionnels le débat sur la prime à la casse est devenu l'occasion de déterrer les vieilles doléances qui «dorment depuis longtemps dans les tiroirs de l'administration». Doléances qui, tiennent-ils à préciser, sont les préalables à la réussite du projet de renouvellement du parc et, par là même, à l'amélioration des conditions de fonctionnement de tout le secteur. Cité comme premier blocage, le droit au financement bancaire lié à la prime à la casse est conditionné par le fait de disposer de l'agrément en son nom et de prouver par un certificat de vie qu'on est bel et bien vivant. Une condition limitative, le nombre de propriétaires de taxis qui louent des agréments étant de loin supérieur à celui de ceux justifiant d'un agrément en leur propre nom. Aussi, de plus en plus de propriétaires mettent des taxis en circulation sans disposer d'une location d'agrément. Des discussions, explique-t-on, ont été entreprises à ce propos entre la préfecture de Casablanca et le syndicat. Selon Harrak, deux revendications ont été formulées dans ce cadre. La première a consisté à demander à la préfecture de permettre l'accès au financement à tous les propriétaires possédant un contrat de location d'agrément d'une durée de trois ans au moins. La deuxième revendication, plus vieille celle-là, est celle d'attribuer ces agréments à l'ensemble des chauffeurs ayant la capacité de «posséder» leur propre véhicule. Pour le syndicat national des taxis, sans la réalisation de ces conditions il est peu probable que les propriétaires des taxis puissent démontrer un engouement pour la prime à la casse. Cette question d'agrément, expliquent les professionnels, est d'autant plus handicapante qu'aucune clause n'interdit à l'une ou l'autre partie (propriétaire et bailleur) de rompre à tout moment le contrat de location. Si bien que le système s'est progressivement perverti. Les professionnels expliquent que la location d'agrément coûte entre 2.000 et 2.500 dirhams. Néanmoins, aujourd'hui pour louer un agrèment il faut impérativement prévoir un dessous-de-table de 10.000 dirhams par an pour le bailleur. Cette nouvelle pratique s'est imposée du fait de la réduction du nombre des agréments accordés. «Auparavant on accordait entre 500 à 600 agréments par an à Casablanca, aujourd'hui on ne dépasse pas les 50», explique Harrak. Et encore, il ne s'agit là que du segment «petit taxi», car pour les grands taxis c'est une autre paire de manches. Outre leurs revendications communes à celles des «petits», les propriétaires des grands taxis s'accrochent à l'annulation des frais de douane comme condition sine qua non pour passer au renouvellement ou à la casse. Pour renouveler leurs taxis, expliquent-ils, il faudrait importer de nouveaux modèles. Ceux-ci coûteraient entre 40.000 à 50.000 dirhams et dans ce cas les frais de douane peuvent atteindre les 100.000 dirhams, selon les modèles.
Chauffeurs au banc
Mais dans le débat actuel ce sont surtout les chauffeurs qui se sentent lésés. Pour eux leurs conditions de vie et de travail devraient passer avant ces questions liées au renouvellement des taxis. L'un d'entre eux témoigne : «Je suis chauffeur de taxi depuis 1986. Je n'ai ni statut de salarié ni de couverture médicale, encore moins la possibilité d'avoir mon propre agrément, alors que la loi a prévu, qu'à partir de 15 ans d'expérience, tout chauffeur pouvait y prétendre, sauf que dans la réalité ce n'est jamais le cas». Au niveau du syndicat, on explique que des efforts ont été engagés, depuis des années, pour faire bénéficier les chauffeurs des prestations de la CNSS. Une démarche qui a réussi (pendant un moment), car certains chauffeurs ont même pu bénéficier d'indemnités de retraites. Toutefois, souligne-t-on également, depuis quelque temps, les choses se sont corsées car la CNSS a bloqué l'affiliation des chauffeurs. En fait, seule l'assurance maladie obligatoire a été suspendue. Une lettre signée, à ce propos, par Saïd Ahmidouch (directeur général de la CNSS), dont nous détenons copie, stipule que «en application du décret n°2 09 228 du 11 décembre 2009, relatif à l'AMO, ce sont les conjoints des affiliés n'ayant pas statut de salarié (et c'est le cas pour les chauffeurs) qui ne pourront plus bénéficier de cette assurance». Sur cette question, comme sur celle d'accès au logement social (où les chauffeurs se disent exclus), le syndicat explique avoir introduit un recours auprès du cabinet du Premier ministre, resté jusque-là sans suite.
Modèle entrepreneurial
En fait, s'agissant de leur statut social tout comme de la modernisation de la filière, les propriétaires des taxis voient sans doute plus grand que ne l'avait initialement prévu le département de Ghellab, au moment de la mise en place de cette prime à la casse. Pour eux, la solution véritable à l'ensemble des problèmes réside dans le changement du modèle économique en vigueur, pour aller vers un modèle d'entreprise. C'est seulement de cette manière, expliquent-ils, que les chauffeurs pourront avoir un statut salarial et sortir de la précarité.
Les propriétaires de taxis pourront, également, être moins dépendants des bailleurs et capables d'assumer pleinement leurs responsabilités vis-à-vis des chauffeurs et de la collectivité en matière d'impôts. À ce propos, explique Rqibi Ghrib, «les métiers liés au taxi doivent être considérés comme un vrai marché qui doit être structuré, professionnalisé et rentabilisé. Dans son fonctionnement actuel, tous les acteurs du secteur ne font que vivoter». Aussi, ajoute-t-il, face à cette réalité, la prime à la casse ne sert-elle fondamentalement pas à grand-chose, car même si les taxis sont renouvelés, leurs propriétaires auront du mal à s'en sortir, la concurrence des autres moyens de transports urbains (tramway et bus, notamment) étant de plus en plus accrue. De son côté, Harrak explique qu'au niveau du syndicat on s'interroge toujours sur les raisons ayant conduit à enterrer la circulaire n°122-99, datant du temps de Driss Basri, et autorisant les professionnels du métier à monter leur propre société. D'autres sources soulignent, également, que même la société des taxis verts ne dispose pas d'agréments lui permettant d'exercer en tant que véritable entreprise de taxis. Pour l'instant, son modèle économique ne consiste essentiellement qu'à faire adhérer les propriétaires ou locataires d'agréments à son réseau, et ne réalise son chiffre d'affaires que sur les appels téléphoniques.


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