Le retrait, puis l'immersion des bateaux désarmés, abandonnés ou des épaves se poursuit au port de pêche d'Agadir. Le week-end dernier, l'Agence nationale des ports (ANP) a procédé à l'évacuation et à l'immersion d'un énième navire (64 bateaux concernés par toute l'opération). Si l'Agence a officiellement reconnu la première partie de l'information, elle a par contre passé sous silence l'immersion, au large, de ces navires par ses propres moyens. Une question que nous avons pourtant posée à l'ANP. Sur place, au port d'Agadir, les propriétaires concernés par les interventions de l'ANP ne décolèrent pas. Pour eux, l'Agence s'inscrit dans l'illégalité en sabordant leurs bateaux. «La décision du tribunal est claire. Elle autorise l'Agence à évacuer les bateaux qui représenteraient un danger sur l'exploitation portuaire», explique cet armateur. Selon lui, l'ANP aurait sollicité les services d'une société de remorquage pour tirer les bateaux-épaves, puis les saborder en pleine mer. Une opération qui a même été filmée par certains armateurs, accompagnés d'un huissier de justice, pour une éventuelle action en justice contre l'Agence. Outre les scénarios juridiques qu'impliquerait cette affaire, des observateurs ont interpellé l'autorité portuaire sur l'impact des opérations d'immersion sur le milieu marin. Une telle opération aurait, à court terme, un réel impact sur l'environnement, à en croire des spécialistes. «Que l'on en finisse avec la mer poubelle !», titre ainsi un appel rendu public par l'Association des administrateurs de l'administration maritime (Anaam). Pour les rédacteurs de l'appel, on ne peut que «s'étonner» que des opérations d'une telle envergure dans nos eaux maritimes ne suscitent aucune réaction. L'immersion des bateaux se passe «au moment où l'année 2010 est déclarée au Maroc année de l'Environnement et où les discussions portant sur la Charte nationale sur l'environnement et le développement durable passionnent et impliquent plusieurs institutions comme les ministères chargés de l'Environnement, des Transports et de l'Equipement, des Pêches maritimes, du Tourisme...», lit-on dans le communiqué de l'Anaam. Pour l'association, il est clair que l'immersion de bateaux-épaves est un «acte de pollution». Approchés, les membres de l'Anaam nous ont expliqué que la décision de l'ANP concernerait l'ensemble des ports du Maroc. Ce qui implique un «débat national» autour de la question. «C'est son droit à l'ANP de dégager les épaves de l'enceinte portuaire. Toujours est-il que cela doit se faire dans le respect de l'environnement et de l'Etat de droit», rappelle-t-on. Décharge maritime «Nos préoccupations sont surtout environnementales. En tant qu'association, notre premier objectif est de sensibiliser. Le domaine marin n'est nullement une poubelle», explique Abdelkabir Rafiky, président de l'Anaam. «Il fallait penser à des solutions alternatives. Les bateaux pouvaient passer à la casse dans les chantiers navals et leurs matériaux servir comme matière première aux industriels», poursuit Rafiky. Dans son communiqué, l'Association n'y est pas allée par quatre chemins pour interpeller l'ANP. «Un opérateur économique, fût-il un établissement public comme l'Agence, peut-il se comporter comme si les espaces maritimes lui appartenaient et se permettre de remorquer des navires qualifiés par ledit opérateur comme abandonnés pour les mener hors des limites du port où cet opérateur est habilité à agir et les faire couler dans des conditions que lui seul s'est fixées ?», s'interroge l'Anaam. D'autres interrogations sont également soulevées quant à l'existence d'un cahier des charges contenant des normes, protocoles et prescriptions techniques à respecter lors de chaque opération d'évacuation et d'immersion des bateaux. Un tel cahier de charges conforterait l'ANP dans sa démarche et donnerait du crédit à son action. L'Anaam, et récemment le Syndicat national des officiers marins et pêcheurs de la pêche hauturière, ont d'ailleurs appelé l'équipe dirigeante de l'ANP à communiquer les positions des bateaux coulés aux autorités concernées pour prévenir tout risque de collision avec les filets, hélices ou engins en navigation dans la zone. «Certes, des personnes peuvent trouver des avantages à l'immersion de navires au motif que ces derniers, une fois coulés, pourraient constituer des abris ou récifs artificiels pour la faune et la flore marines. Si tel est le cas, les carcasses des véhicules (autobus, voitures, etc.) et autres ferrailles, pourraient également servir cette cause», fustige l'Anaam. «Nous supposons que l'ANP a eu au moins le réflexe de procéder à la dépollution de chaque navire coulé», poursuit-on. L'Association dit vouloir attirer l'attention des responsables sur ces opérations d'immersion successives et exprimer son «inquiétude» quant à leur impact écologique sur l'environnement marin. À en croire nos sources, l'ANP aurait agi seule pour procéder à l'immersion des bateaux-épaves. Ni le ministère de l'Agriculture et des pêches maritimes, ni le département de l'environnement, et encore moins l'Institut national de la ressource halieutique (INRH) n'auraient été contactés pour concertation. En l'absence d'éléments de réponses de la part de l'ANP, cette information n'a pas pu être vérifiée. Pourtant, deux des trois départements pré-cités sont en train de boucler des textes de loi dans ce sens. C'est le cas du département d'Aziz Akhannouch qui a élaboré un projet de code traitant de la préservation des écosystèmes halieutiques et de la prévention de la pollution en mer. Sans oublier le ministère de l'Equipement et des transports (département de tutelle de l'ANP) qui a finalisé un projet de loi intitulé «Loi relative aux rejets illicites de matières polluantes dans le milieu marin». «Ce dernier texte de loi ne traite pas directement de l'immersion de navires, mais il est animé par un esprit, on l'espère sincère, de protection de notre environnement marin», rapporte Rafiky. D'ailleurs, l'Anaam n'a pas manqué de s'interroger sur la possibilité de «recourir de manière concertée avec tous les départements ministériels concernés, à des méthodes alternatives pour la destruction de ces navires». D'un autre côté, outre ces projets de loi, il faut signaler que l'Etat marocain est signataire de plusieurs accords et conventions internationaux pour la protection de l'espace marin, notamment le protocole de 1996 de la Convention sur la prévention de la pollution marine causée par l'immersion de déchets et autres matières (appelée Convention de Londres et publiée au Maroc par le Dahir n°1-78-59 du 30 mars 1979). Cet accord préconise une approche dite de «précaution» et n'autorise des immersions de navires que lorsque les mesures garantissant leur dépollution ont été prises.