C'est sur le constat amer qu'«Il y a actuellement une grande pression sociale qui s'exerce sur les villes marocaines», que Nabil Benabdellah, sociétaire en chef du ministère de l'Habitat, de l'urbanisme et de la politique de la ville, a ouvert la rencontre organisée par le Club entreprendre, dans la soirée de mardi, sur le thème «Quelle politique de logement pour les 5 prochaines années?». L'objectif final est d'arriver, à l'horizon 2016, à résorber le déficit de logement pour un total de 400.000 unités. L'occasion a été saisie par le ministre, en présence de Karim Belmaachi, (Alliances), Noureddine Charkani (Wafa Immobilier) et Mohamed Ali Ghanam, (CGI), sans oublier Abdelmoumen Benabdeljalil (architecte et créateur de l'Ecole d'architecture de Casablanca), pour élargir le débat sur les attentes des Marocains en matière de logement et plus généralement sur la vision du nouveau gouvernement pour la «Politique de la ville». Il a agrémenté son intervention par quelques annonces chiffrées et détaillées, avec à leur tête la proposition aux promoteurs immobiliers de mettre en place «une offre locative aux populations en transition dans le logement social», une mesure qui serait déjà avalisée par le ministère de l'Economie et des finances, suivant «un prix maximal de 30 DH le m2». Intensification, diversification et qualité de l'offre Dans un secteur immobilier marocain caractérisé par «une opacité avérée, des actions publiques segmentées et concentrées sur l'offre nouvelle, un déficit de gouvernance territorialisée, des outils de financement insuffisamment diversifiés, et surtout une régulation défaillante du marché», le gouvernement de Benkirane se devait de réagir et vite. Pour ce faire, et après des consultations en interne, avec les ministères concernés et quelques acteurs du secteur, Benabdellah est aujourd'hui en mesure de présenter les grandes lignes de son programme gouvernemental en matière de logement. S'il est vrai que certaines mesures étaient déjà connues du grand public, comme la volonté de «poursuivre la lutte contre toutes les formes d'habitat insalubre» ou «l'intensification de l'offre et notamment celle des logements sociaux», Benabdellah y a intégré cinq nouveaux chantiers pour le quinquennat, qui vont de «la réduction du déficit de logement de 840.000 à 400.000 unités», à «l'amélioration de la qualité du cadre bâti et l'intégration urbaine et paysagère», en passant par «la création de logements pour les classes moyennes (plafonnés à 800.000 DH)», ce qui, à en croire Benabdellah, ne pourra se faire qu'en 2013, et surtout «la valorisation du patrimoine et tissus anciens» et «la valorisation et la création de programmes d'habitat rural». Un plan d'action volontariste Pour parfaire la nouvelle architecture urbaine visée par le gouvernement, fondée en théorie sur la construction de l'intégration des espaces urbains sur la base de la citoyenneté, (ou «l'administration citoyenne», comme l'a intitulée le ministre), la proximité spatiale, publique et sociale, et la transversalité au travers de «la restructuration des modalités de partenariat public-privé (contrats-programmes)» et «la signature de conventions entre ministère et établissements publics», le ministre de l'Habitat a mis en place un plan d'action opérationnel, assis sur cinq grands outils d'intervention. Il s'agit, dans le texte, de l'«augmentation des ressources du Fonds de solidarité (FHASU), la consolidation des fonds de garantie, la mobilisation du foncier public, la création d'un observatoire national et d'observatoires régionaux et locaux» et «le recadrage du rôle des agences urbaines vers des agences d'aménagement territorial et d'urbanisme opérationnel». De prime abord, ces nouveaux moyens d'action laissent entendre que l'effectivité de la politique de logement au Maroc est en phase de connaître un nouveau tournant, en ce qu'elle se fonde sur «une vision globale et une approche prospective par rapport aux besoins» ultérieurs des populations urbaines, en lieu et place des différentes politiques de zonage opérées à ce jour. Tel est en tout cas le souhait affiché par Benabdellah, initiateur d'un programme d'envergure certes, mais dont le financement, en période de resserrement des marges financières de l'Etat interpelle, bien qu'il n'inquiète pas outre mesure. De l'aveu même du ministre, «la gronde sociale ne cesse de croître - souvent justifiée d'ailleurs - à la périphérie de nos grandes villes», motivée essentiellement par les handicaps sociaux que sont la dégradation de l'habitat, le chômage, la concentration de ménages pauvres et de travailleurs peu qualifiés, l'échec scolaire, la délinquance et l'insécurité, etc. Autant de difficultés visibles, qui pourraient mener à terme à une crise urbaine, et qui ont amené par conséquent l'actuel gouvernement à se doter d'une politique de la ville. Quid de la politique de la ville ? Dans l'esprit de son initiateur, la politique de la ville passe d'abord par «l'efficience du secteur immobilier». Elle s'apparente, à première vue, à une refonte plus qu'à une restructuration de l'économie de la production urbaine nationale dans son ensemble. C'est à ce titre que le ministre met les promoteurs immobiliers devant leurs responsabilités et notamment Al Omrane, qui devra désormais revenir à son cœur de métier de départ, le logement social, pour laisser la production de logements de luxe et de haut standing à la sphère privée. Benabdellah entend en effet remettre au goût du jour le partenariat public- privé, souvent absent, voire le cas échéant inefficient, aux dires même des premiers concernés, les promoteurs immobiliers. Partant de là et sur la base du constat d'un nombre élevé de «dysfonctionnements urbains», le nouveau ministère entend réorganiser l'intervention publique dans les zones cibles, en articulant à la fois les contraintes urbaines à la demande sociale criante dans certains quartiers, voire des villes entières, le tout en inscrivant la politique de la ville dans une logique contractuelle – «contrats Etat-professionnels et Etat-régions» - volontariste - «promotion de la logique de projet et d'une démarche transversale » - et planificatrice par conséquent – «réforme accélérée de l'urbanisme et mobilisation du foncier public et privé». Cette logique se veut aussi correctrice de certaines constantes nationales comme l'auto-construction ou l'absence d'innovation ou de recherches opérationnelles contextualisées à la réalité urbaine marocaine. L'heure n'est donc pas encore au développement urbain, mais à l'institutionnalisation de la politique de la ville comme premier corollaire de la production urbaine.