Le Conseil national de la concurrence veut forcer le débat. L'instance doit lancer, dans les prochains jours, une étude pour la refonte de l'arsenal juridique encadrant la concurrence au niveau national. Il s'git donc de cerner dans leur ensemble, les textes régissant la concurrence, mais aussi de répertorier les attributions des administrations publiques et des régulateurs sectoriels qui ont des compétences en matière de concurrence. Les résultats de ce diagnostic devraient permettre de déceler les dysfonctionnements existants. Abdelali Benamour, le président du Conseil national de la concurrence, les résume déjà schématiquement. Pour récapituler le dispositif en place actuellement, en plus du Conseil national de la concurrence, d'autres instances ont des attributions en matière de concurrence. Il y a d'une part, les régulateurs sectoriels : ANRT (Agence nationale de règlementation des télécommunications), Haca (Haute autorité de la communication audiovisuelle), Bank Al-Maghrib... et d'autre part des ministères à caractère économique, tel le ministère des Affaires économiques et générales qui a un mot à dire en matière de concurrence grâce à sa direction des prix. Quel que soit le secteur, deux niveaux d'intervention sont empruntés pour réguler la concurrence. L'amont sectoriel, d'abord, pour lequel il s'agit de créer les conditions d'une concurrence saine par la mise en place d'un arsenal réglementaire. En aval ensuite, il s'agit de faire respecter, par les entreprises d'un même secteur, les règles de la concurrence. Plus de compétences «Or, ces deux niveaux d'intervention ne sont pas couverts uniformément d'un secteur à l'autre par les différentes instances nationales», pointe Benamour. «L'ANRT régule l'amont et l'aval dans les télécoms, en revanche, la Haca ne contrôle que l'amont dans l'audiovisuel, l'aval relevant du Conseil national de la concurrence», illustre le président. L'idée serait donc d'harmoniser le tout, ou du moins, de justifier l'intérêt de la répartition des rôles retenus pour chaque secteur. «La pratique au niveau mondial préconise que l'amont revienne au régulateur sectoriel et que l'aval relève du régulateur national», informe, pour sa part, Benamour. L'on s'en doute, une révision de tout le dispositif en place pourrait élargir les compétences du Conseil national de la concurrence. Mais, «ce n'est pas le but premier de la démarche», objecte Benamour. En revanche, sur un autre plan le président ne fait pas mystère de ses ambitions. Le Conseil national de la concurrence est pour l'heure confiné à un simple rôle consultatif dans les affaires ayant trait à la concurrence. «Ce statut ne permet pas une action dynamique pour réguler le marché et contribuer à la mise à niveau de l'économie», explique le président (voir interview). L'objectif affiché est de doter l'instance d'un pouvoir de décision, d'auto-saisine (que le Conseil puisse se mettre sur un dossier de sa propre initiative au lieu d'attendre d'être saisi par les opérateurs) et d'enquête. De la sorte, le Conseil accéderait au statut d'autorité à part entière. Mais, pour cela le Conseil reste tributaire du premier ministre qui a seul, la latitude de proposer des modifications de la loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence. Le chef du gouvernement a, dans ce sens, invité le Conseil à lui présenter des propositions de réforme, ce à quoi s'est déjà attelée l'instance. Le processus est donc en marche. Dix nouveaux dossiers à traiter Mais en attendant qu'il aboutisse, le Conseil de la concurrence s'active sur plusieurs chantiers. L'instance a déjà lancé des appels d'offres pour la réalisation d'études sur la concurrence dans certains secteurs : le ciment, l'industrie du médicament, la téléphonie mobile, les huiles, les crédits à la consommation et les grandes surfaces. Les résultats devraient être connus d'ici 2 à 3 mois. Mais en attendant, le Conseil va lancer dans les prochains jours, une deuxième salve d'enquêtes sur cinq autres secteurs (voir page ci-contre). De la sorte, le Conseil disposera par avance d'un tableau de bord, sur la concurrence dans les secteurs étudiés, qui servira de base en cas de saisine. Sur un autre volet, l'instance a déjà traité 22 demandes d'avis. Sur ce total, 12 dossiers ont donné lieu à des instructions. Par ailleurs, durant la prochaine session de septembre, quatre autres dossiers seront traités. Il en restera six autres reçus pendant l'été. Abdelali Benamour, Président du Conseil national de la concurrence. «Nous avons dépassé le stade de la transition» Les Echos quotidien: Le conseil national de la concurrence dans sa configuration actuelle remplit-il sa mission? Abdelali Benamour : De par ses pouvoirs actuels, le conseil ne contribue pas de façon dynamique à la mise à niveau de l'économie marocaine, comme il est appelé à le faire. Ceci alors que la préparation du tissu économique national s'impose de plus en plus, avec la prochaine entrée en vigueur des accords de libre-échange avec l'UE en 2012, sans rappeler les engagements du pays vis-à-vis des instances internationales. Mais une période de transition s'impose... La loi 06-99 régissant la liberté des prix et de la concurrence date du début de cette décennie. C'est dire qu'on a déjà eu le temps de se préparer. Il faut à présent passer à la pratique. Dans le cas contraire, on ne fera qu'entretenir un cercle vicieux avec une autorité toujours à l'état potentiel, qui n'accumulera jamais d'expérience. Vous estimez donc être prêt à passer au statut d'autorité... Certes, une marge de développement existe toujours, mais nous certifions que le Maroc dispose aujourd'hui d'un conseil de la concurrence qui peut accéder au statut d'autorité. Nous disposons des équipements, des locaux et d'une tradition d'analyse à même de permettre cela. Sans parler des cadres supérieurs ayant accumulé l'expérience nécessaire, grâce aux stages de formation et aux voyages d'études réalisés auprès d'autorités internationales de la concurrence. Qui plus est, nous n'avons rencontré jusqu'à présent aucune opposition déclarée à notre ambition de nous constituer en autorité. Les commissions parlementaires, la magistrature, les associations des consommateurs, le monde économique... y ont déjà adhéré. Banque : Plus de visibilité sur les pratiques bancaires Constitué de cinq banques marocaines et trois filiales de groupes Français, auxquelles s'est ajoutée récemment Al Barid Bank, le paysage bancaire est l'un des plus concentrés. La Tunisie et l'Espagne comptent 14 banques chacun, tandis que la France en compte une centaine. Cette concentration pose le risque d'entente. D'ailleurs, le secteur a longtemps fait parler de lui. Pointé du doigt par la presse, on lui reproche des actions de lobbying visant essentiellement les tarifs appliqués, bien qu'aucune banque n'ait été épinglée par Bank Al-Maghrib, autorité de régulation, qui veille sur la stabilité des prix. L'objectif de l'étude commanditée par le Conseil de la concurrence, est donc de se doter d'un tableau de bord sur la concurrence dans le secteur bancaire, qui servira de base pour les contrôles et audits, portant sur les mécanismes de fixation des prix et les pratiques de la concurrence, lors d'une éventuelle saisine. Il s'agit de ce fait, de se constituer une base de données portant sur la règlementation régissant l'activité, l'étude de la structure de l'offre à travers une analyse détaillée des produits et services bancaires, leurs coûts, leurs prix et leurs cibles. L'étude se penchera aussi sur la structure de la demande, le nombre de comptes ouverts, les spécificité des relations banques/ entreprises et banques/particuliers, ainsi que l'analyse de la structure des rendements (intérêts, commissions diverses, etc.); sans oublier de passer au crible, les missions et le rôle du Groupement professionnel des banques marocaines (GPBM). Marchés Publics : Pour une meilleure compétitivité Bien que dotés d'un portail, l'attribution des marchés publics a toujours suscité des questions relatives à sa transparence, et à la place de la concurrence et de l'égalité des chances ; sans oublier la corruption, fléau qui déjoue toutes les règles de la concurrence. La base de données que veut se créer le Conseil de la concurrence portera sur les principales dispositions régissant ces marchés publics, notamment celles mettant l'accent sur la mise en concurrence des soumissionnaires et le respect de la transparence dans l'octroi des marchés. Il se dotera aussi d'un référentiel sur les marchés passés au cours des quatre dernières années, recensant les formes de ces marchés, leur nombre par ordonnateurs et sous-ordonnateurs, leurs montants, le nombre des marchés résiliés et les pénalités appliquées. Du côté de la demande, la base de données comportera une analyse des entreprises soumissionnaires retenues par ordonnateurs et sous-ordonnateurs et les critères de leur sélection, une analyse et comparaison des paiements réels et des montants figurant dans les contrats afin de détecter tout arrangement éventuel entre soumissionnaires et administrateurs. L'étude se penchera aussi sur l'analyse des offres des entreprises non retenues et les critères de leur éviction ainsi que les voies de recours et contentieux. L'analyse des parts de marchés publics pour les quatre premières entreprises attributaires est aussi au programme. Elle permettra une meilleure compréhension de la structure de ces entreprises ainsi que de leur pouvoir à travers l'analyse de leurs parts de marché, leur puissance financière, l'effet de leur réseau relationnel, etc. Quant à l'étude des barrières d'accès au marché, telle la quantité minimale d'achat ou de vente imposées, le prix de vente imposé ou conseillé, l'exclusivité, la conditionnalité d'approvisionnement, etc., elle va dans le sens de la mesure 77 du Pacte national de l'industrie visant l'amélioration de l'accès des PME aux marchés publics.