«En matière de partenariat public-privé, nous devons réfléchir à une loi cadre. Cela n'empêche pas l'élaboration de lois spécifiques consacrant des pratiques existantes», avance Mohamed Drissi Alami, professeur à la faculté des sciences juridiques et sociales du Souissi, à l'occasion du premier colloque international, organisé le 10 février par la faculté en partenariat avec la fondation Hanns Seidel sur le thème «Vers un cadre juridique de partenariat public-privé au Maroc». Le professeur Drissi est rejoint dans son argumentaire par la plupart des spécialistes marocains en droit présents au colloque. Ils estiment que «l'absence d'une telle loi prive le Maroc d'une source importante de financement de certains projets, notamment ceux relatifs aux infrastructures». Cela est d'autant plus dommageable que le Maroc s'est retrouvé pendant cette dernière décennie parmi les pays qui investissent le plus dans les infrastructures comme les autoroutes, le réseau ferroviaire pour les trains à grande vitesse, les aéroports, les centrales électriques, les stations de dessalement d'eau de mer, etc. Ce sont autant de projets qui peuvent voir dans le partenariat public-privé une opportunité non négligeable, à l'heure de l'assèchement des liquidités. Solution alternative Aujourd'hui, il est devenu nécessaire d'alléger le fardeau financier que supportent les autorités publiques pour la réalisation de ces infrastructures, en recherchant des solutions alternatives nouvelles. D'ailleurs, certaines institutions publiques marocaines de nature industrielle et commerciale n'ont pas manqué de recourir à la technique des contrats de partenariat entre le secteur public et le secteur privé pour certains projets. Aussi, Amine Hajji, professeur à la faculté de droit de Casablanca déplore à son tour que «ces opérations se fassent en l'absence de tout cadre juridique régissant ce type de contrat», avant d'être repris par le Professeur Drissi, qui surenchérit, en avançant «la nécessité de création d'un organe chargé des PPP au Maroc». Toutefois, on peut se demander si ce cadre et cet organe sont vraiment nécessaires, puisque leur absence n'a pas empêché l'éclosion des projets PPP dans le royaume. Gilles Guglielmi, professeur à l'université Panthéon-Assas, estime que pour les grands projets, ce cadre n'est pas réellement nécessaire (voir interview). En effet, les grandes multinationales sont capables d'élaborer ce genre de projets avec l'entité publique dans un cadre contractuel. Plus encore, beaucoup de pays notamment la France et le Royaume Uni, ont développé des infrastructures via des PPP, mais sans cadre juridique général. Cependant, ce cadre peut s'avérer autrement plus opportun pour des projets de petite ampleur, pilotés par des personnes publiques de petites taille, comme les collectivités territoriales. Là, le jeu en vaut vraiment la chandelle et l'on serait même tenté de plaider pour des missions d'appui à ce type de personnes publiques, qui ne maîtrisent pas forcément les tenants techniques, juridiques et financiers de ce genre de projets. Mission d'appui L'ordonnance française de 2004 prévoit à titre d'exemple une mission d'appui à la personne publique pour les projets PPP. C'est une manière de sécuriser ce genre de projets et surtout de veiller à conseiller de manière idoine les personnes publiques qui y recourent. In fine, la solution PPP s'impose de plus en plus dans le monde entier comme opportune, surtout dans des projets de grande ampleur, qui nécessitent une grande technicité et un financement très important. Il convient toutefois de préciser qu'ici, on aborde le partenariat public-privé à proprement dit, car d'autres types de conventions peuvent exister entre l'Etat et le privé, comme la concession ou la gestion déléguée. En tout cas aujourd'hui, la question du cadre juridique a le mérite d'être posée et les contributions des ministres du nouveau gouvernement, qui ont été appelés à d'autres obligations au dernier moment, auraient été d'un grand secours pour comprendre les orientations du nouvel Exécutif sur cette question... Gilles Guglielmi, professeur à l'université Panthéon-Assas Paris II «Le PPP n'est pas une solution miracle» Les Echos quotidien : On présente souvent le PPP comme une solution miracle. Quel en est le domaine d'application ? Gilles Guglielmi : Comme vous l'avez dit, c'est présenté comme une solution miracle, mais ce n'en est pas une. On peut utiliser le PPP dans des cas extrêmement limités. En tout cas, en droit français, il s'agit avant toute chose de contrats globaux. Donc, on les utilise uniquement lorsqu'on a une opération qui nécessite qu'un partenaire privé prenne en charge à la fois la conception, la réalisation, le financement, le fonctionnement et la maintenance d'un équipement et éventuellement les fonctions de service public qui vont avec. Cela n'est pas obligatoire, puisqu'il peut y avoir aussi des PPP sans service public. Donc déjà, il faut que l'opération soit nécessairement globale et que la complexité de l'opération dépasse les capacités des personnes publiques à faire elles-mêmes le montage, entre par exemple des marchés publics, des contrats domaniaux ou des contrats de délégation de service public. C'est une sorte de simplification globale, mais cela exige aussi que le partenaire privé dispose d'une vraie expertise technique, ce qui n'est pas souvent stipulé par les juristes. Il faut qu'il soit particulièrement compétent et spécialisé dans le domaine matériel dans lequel on réalise le contrat. Voilà à mon sens ce qui recouvre les cas d'utilisation des contrats de partenariat public-privé au sens strict. Y a-t-il des secteurs qui sont plus à même de recourir aux PPP ? Non. On peut concevoir que l'Etat s'en serve pour de grandes opérations, auquel cas je pense que la sécurisation de ce type de contrat de partenariat mériterait une loi, dans les cas ou il s'agit véritablement d'équipement international. C'est ce qui s'est passé par exemple pour le stade de France où il y a eu une loi spéciale ou encore le tunnel sous la Manche où il y a eu un traité international qui sécurisait l'ensemble de l'opération, même si on adopte les mêmes principes que pour un contrat de partenariat classique. Pour les collectivités territoriales, c'est utilisable aussi, à condition que l'opération soit d'une certaine ampleur financière et nécessite une grande technicité. Il n'est pas utile qu'une collectivité territoriale fasse un contrat de partenariat public-privé pour une piscine, mais c'est très utile si elle veut mettre en place une usine de retraitement des ordures ménagères, avec des procédés technologiques nouveaux. Là oui, il y a une justification. Au Maroc, des spécilaistes appellent à l'élaboration d'un cadre juridique général. Est-ce vraiment nécessaire ? Je ne peux vous donner que mon opinion personnelle. Je ne connais pas de façon détaillée la législation marocaine, à l'exception des textes qui ont été présentés toute à l'heure, bien sûr. Je pense que s'il s'agit de réaliser de très grandes opérations, on peut se passer d'un cadre juridique, à condition que le législateur valide le montage et qu'il y ait au gouvernement un ministère chargé de la négociation avec les très grands partenaires internationaux. Là on n'a pas besoin véritablement de cadre juridique, mais de véritables cellules d'interlocuteurs et de négociateurs et ensuite d'une prise de responsabilité de la représentation nationale. Cela est vrai pour tous les pays. Pour ce qui est des collectivités territoriales, tout dépend du degré de décentralisation dans lequel on est parvenu. Si de toute façon les collectivités territoriales n'ont pas une très grande autonomie de décision, il n'est pas nécessaire d'avoir un cadre juridique, parce qu'elles ne pourront pas utiliser les PPP sans demander forcément à la tutelle des validations. Donc, la question de l'opportunité du cadre juridique se pose et reste posée. Elle nécessite de prendre en considération de très nombreuses caractéristiques structurelles du droit marocain. C'est véritablement un choix stratégique, mais il est tout à fait concevable de ne pas adopter un tel cadre ou de l'adopter de manière différenciée pour les grands projets internationaux. L'ordonnance française de 2004 prévoit une mission d'appui aux personnes publiques qui recourent au PPP. Quel intérêt cela a-t-il ? Est-ce plus urgent au Maroc d'adopter ce genre de mission plutôt qu'un cadre juridique ? Dans ce genre de mission, il y a des juristes, des techniciens et aussi des grands experts. Je crois que c'était une façon d'accoutumer les personnes publiques à se servir de cet outil et une façon aussi de donner un retour d'expérience, parce qu'on savait que les demandeurs seraient de niveaux de développement et d'expertise juridique très différents. Cela me semble donc avoir été une précaution sage. Est-ce plus important que le cadre lui-même? Je ne saurais le dire. En tout cas, en termes d'information, on a l'avantage aujourd'hui de pouvoir faire un bilan de l'ensemble des contrats. Un bilan qui est accessible à tout citoyen, puisqu'il est sur Internet, quantitatif et très précis. Cela peut aussi donner à cet outil un caractère moins ésotérique, moins sophistiqué que celui qui a été parfois présenté. On s'en sert pour l'éclairage public, pour certains équipements de traitement d'ordures ménagères ou encore pour toute une série de choses précises et pour des montants qui sont de tant de millions. Somme toute, c'est un outil intéressant... Benchmark arabe Au niveau du monde arabe, certains pays ont opté pour cette méthode efficace. Ainsi, la Jordanie a lancé officiellement le 23 juin 2008 le programme de partenariat entre le secteur public et privé. Il a annoncé plusieurs projets de développement en matière d'énergie, de transport et de communications. De même, Dubaï a lancé l'Agenda pour le partenariat et l'Egypte s'est dotée en 2010 de la loi numéro 67 sur le partenariat entre les secteurs public et privé. Par ailleurs, la commission des Nations unies pour le droit commercial international (UNCITRAL) a préparé en 2004 les dispositions législatives types sur les projets d'infrastructure à financement privé, en vue d'aider les pays en voie de développement à mettre en place une législation régissant les contrats de partenariat.