Le rideau est enfin tombé sur ce qu'on appelait depuis deux ans «l'affaire Oudghiri». L'ancien PDG du groupe Attijariwafa Bank a écopé d'une lourde condamnation, par contumace, de quinze ans de prison ferme et le notaire Mohamed Hajri de dix ans, ceci en plus des dommages-intérêts de 35 millions de dirhams à payer solidairement par les deux mis en cause. Le microcosme des affaires a été pris de court par cette condamnation qui restera dans les annales judiciaires du monde des affaires, Oudghiri étant le premier président d'une banque du secteur privé à subir un tel sort. À cet égard, plusieurs lectures ont été faites depuis la convocation, par le célébrissime juge d'instruction Jamal Sarhane, de l'ex-PDG d'Attijariwafa Bank, du notaire et de plusieurs témoins, dont le célèbre homme d'affaires Miloud Chaâbi. Déjà, on se demandait comment Abdelkrim Boufettas, qui a déposé la plainte, n'a pas été inquiété, alors même que la loi marocaine incrimine le corrupteur! De ce côté-là, le mystère demeure entier. Ensuite, les interminables séances d'audition des témoins, plusieurs heures durant, se sont focalisées sur l'acte de corruption dénoncé par Boufettas. C'est d'ailleurs la principale accusation à laquelle devaient faire face Oudghiri et Hajri. Or, la sentence prononcée par le juge de première instance Ali Torchi n'a pas retenu le délit de corruption. Que reproche-t-on donc aux deux accusés? Faux en écriture publique et escroquerie pour le notaire Hajri et complicité pour Oudghiri. Pourquoi donc Oudghiri qui n'est poursuivi que pour complicité est condamné à 15 ans alors que le principal accusé a écopé de cinq années de moins ? Maître Mustapha Ramid, avocat au barreau de Casablanca, nous explique ce cas par le fait que «la loi prévoit la même condamnation, pour le principal accusé et pour le complice et chaque condamnation a un minimum et un maximum. À partir de là, le juge prend sa décision en fonction de la gravité des délits qui incombent à chacun des accusés. Certes, en théorie, le juge pourrait considérer les délits du complice plus préjudiciables et prononcer à son encontre un jugement plus sévère, mais en pratique, il est très difficile de prouver cet état de fait. Pour le cas d'Oudghiri, le juge aurait pris en compte l'absence de l'accusé, considérée comme un délit de fuite». Sur un autre registre, le juge a abandonné l'accusation de corruption, ce qui a sauvé la tête de Boufettas, qui a reconnu avoir corrompu les deux mis en cause. Le délit retenu, ou le crime, puisqu'il en a ainsi été décidé par la Cour, étant l'escroquerie et le faux en écriture publique. Exit donc l'accusation de corruption sur laquelle le juge d'instruction Sarhane avait fondé tout son dossier. «La chambre criminelle, près la cour de première instance, a le droit, par la force des textes, de reconsidérer les délits pour lesquels les mis en cause sont poursuivis», confirme Maître Abdellatif Wahbi, avocat au barreau de Rabat. Rappelons au passage que c'est le cabinet de l'actuel ministre de la Justice qui défend Boufettas.Enfin, une autre zone d'ombre demeure entière quant à «l'annulation de l'acte» tel que prononcé par le juge. S'agit-il de l'acte de vente du terrain objet du conflit? Auquel cas, la victime en serait l'acquéreur, en l'occurrence Miloud Chaâbi. Celui-ci a acheté ce bien il y a cinq ou six ans au prix de 28 millions de dirhams, dont Abdelkrim Boufettas aurait reçu le reliquat, après règlement de son prêt consenti auprès d'Attijariwafa Bank. Une telle somme, valorisée après cinq ou six années, dégagerait une belle plus value. Et puis, Boufettas aurait des problèmes judiciaires avec d'autres acquéreurs, et non des moindres, à savoir les groupes immobiliers El Alj et Kabbaj. Pourquoi serait-ce Chaâbi qui en paierait seul les frais ? Beaucoup de zones d'ombre persistent et risqueraient d'impacter négativement le climat des affaires, déjà très frileux à l'égard des coups bas. Pour sa part, le groupe Chaâbi se dit confiant et ne se sent pas concerné par ces jugements. «Nous avons acheté notre terrain selon la procédure en vigueur sur la base d'un contrat de vente et avons réglé la totalité du prix d'acquisition. Toute l'opération s'est déroulée dans les règles de l'art. Nous ne sommes donc nullement concernés par ce jugement» conclut une source proche du groupe. Le dossier Oudghiri semble loin d'être clos.