«Le stock du poulpe se trouve toujours dans une situation préoccupante». Ce qui était un constat il y a quelques années, est devenu pour l'Institut national de la recherche halieutique (INRH) un «refrain». Dans son dernier rapport, l'Institut, rattaché au ministère de l'Agriculture et des pêches maritimes, a (re)publié les mêmes conclusions. Conclusion principale : nos stocks de poulpe se trouvent dans un état de fragilité. Selon les statistiques de l'INRH, la biomasse relative est estimée à 4.600 tonnes, un niveau inférieur à celui de 2008 et 2009, et loin derrière les 11.000 tonnes qu'on observait en 2004. Les données de ce rapport, qui entre dans le cadre du programme de suivi de l'état d'évolution des stocks halieutiques, ont été prises entre le 16 mai et le 8 juin 2010. Soit 12 jours avant le coup d'envoi de la campagne de pêche-été des céphalopodes. Les conclusions de l'INRH ont été d'ailleurs derrière la fameuse décision du département de tutelle de réduire les quotas de pêche de céphalopodes des professionnels de la pêche hauturière (10.000 tonnes au lieu de 12.000 tonnes en 2009). «Le stock du poulpe n'a pas encore trouvé son niveau biologique optimal», lit-on dans le rapport de l'INRH. Ce dernier pointe du doigt (encore une fois) l'effort de pêche «excessif» déployé dans cette pêcherie. «Les indicateurs du suivi de la ponte du poulpe ont révélé que la reproduction est en phase de décroissance», expliquent les rédacteurs du rapport. Réduire l'effort de pêche Les recommandations de l'INRH aux officiels de veiller à la réduction de l'effort de pêche ne datent pas d'aujourd'hui. Depuis 2000, l'établissement public ne cesse de le répéter. Et il n'est d'ailleurs pas le seul organisme de recherche à le faire (la FAO –organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture avait aussi attiré l'attention du Maroc sur ce point). Pour rappel, au début des années 2000, suite à l'effondrement de la valeur et du volume de la pêche au poulpe (-90%, de 120.000 tonnes de poulpe pêchées en 2001, les bateaux n'ont pu débarquer que 12.000 tonnes en 2003), l'Etat avait compris l'urgence de mettre en place des quotas pour les différentes pêcheries. C'est Taieb Ghaffes, ministre de la Pêche à l'époque, qui préparait le premier plan d'aménagement pour la pêche au poulpe. Traduisez: un plan de sauvetage d'urgence pour le poulpe. Le projet était déjà en préparation sous l'ex-ministre Saïd Chbaâtou. Remaniement ministériel oblige, le plan d'urgence sera signé finalement par Taieb Ghaffes, et validé par Mohand Laenser (en 2007). Trois commissions ont été créées pour veiller à reconstituer la ressource et installer des mesures d'accompagnement. Le rapport final a imputé les causes principales de l'effondrement de la pêche au poulpe à «l'informel et au laxisme de l'Etat». Le plan consistait à réduire la flotte de pêche et organiser des périodes de repos biologique, étalées sur l'année. Six ans plus tard, le plan d'aménagement du poulpe n'est toujours pas appliqué, hormis les arrêts biologiques. Braconnage, pêche illicite, manque de contrôle et corruption sont venus à bout des efforts du plan d'aménagement. Pire encore, une bonne partie des armateurs dont le business tourne autour de cette ressource ont aujourd'hui deux options : mettre la clé sous le paillasson ou changer d'activité. «60% à 70% des opérateurs de la pêche hauturière sont en redressement judiciaire pour éviter la faillite», rapporte cet armateur. La pêche artisanale n'est pas mieux lotie. Notamment à Dakhla, riche pourtant en ressources halieutiques. Les unités industrielles de la ville qui stockaient 1.200 à 1.600 tonnes de poulpe, quotidiennement, entre 1997 et 2001, arrivent à peine à réaliser 198 tonnes/jour. Le plan de restructuration prend l'eau L'une des recommandations du plan d'aménagement de la pêche au poulpe est de réduire la flotte de pêche. Décrétée en 2007, cette mesure va pourtant ressortir des tiroirs du département de la pêche. En avril dernier, la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture a réuni les professionnels pour leur présenter la première mouture du «Plan de restructuration de la flotte hauturière». Une sorte de plan proposant de réduire les bateaux de pêche hauturiers, moyennant une prime à la casse, financée par les armateurs restants. Le projet parle aussi d'un «fonds d'indemnisation», financé probablement par l'enveloppe que perçoit le Maroc grâce à son accord de pêche avec l'Union européenne (144 millions d'euros, soit 36 millions par an). Un bateau pour sillonner le Maroc L'INRH est l'organisme étatique chargé de faire un suivi rigoureux de la ressource halieutique. Moins abondante, elle se raréfie, et la demande se fait plus forte et plus soutenue. De l'avis des spécialistes, suivre les variations de la biomasse exige ainsi du matériel de pointe et un équipement consistant. Depuis plus de 30 ans, l'INRH, lui, doit composer avec les moyens du bord : un seul navire de recherche, Chérif Al Idrissi en l'occurrence, pour sillonner pas moins de 3.500 km de territoire maritime. D'où le nombre réduit de sorties du navire, selon nos sources (deux par an, à l'occasion des arrêts biologiques. «L'INRH n'a pas les moyens de ses ambitions. Un tel institut doit réaliser plusieurs campagnes de recherche scientifique par an, pour un suivi rigoureux de l'évolution de la ressource», regrette cette source au département de l'Agriculture et des pêches maritimes. Dans une tentative de donner un nouveau souffle à cet organisme public, Aziz Akhannouch avait nommé un nouveau directeur, Mostapha Faik, en février dernier. Un nouveau centre a été aussi inauguré. Mais le chantier le plus important n'a pas encore été abordé : doter le centre des moyens matériels à même de lui permettre de s'acquitter de ses missions dans les meilleures conditions.