Il est tout à fait compréhensif qu'il puisse exister dans la vie politique démocratique, une tension constante entre la nécessité à court terme de répondre à l'électorat et la formulation d'objectifs et de stratégies à long terme. Ce qui n'est pas normal voire paradoxal, c'est que les partis politiques qui ont l'ambition de gouverner les Etats soient souvent mal gouvernés eux-mêmes, que les partis censés mobiliser la société soient trop repliés sur eux-mêmes et au meilleurs des cas obsédés par la prise de mesurettes tacticiennes pour résoudre des faux problèmes ou répondre à des questions insignifiantes. D'où l'importance de tenir périodiquement des congrès généraux qui sont censés permettre aux partis politiques d'établir leur bilan d'étape, évaluer leur performance, arrêter les orientations stratégiques, définir les alliances politiques et choisir en conséquence la nouvelle direction qui doit mettre en oeuvre la ligne politique adoptée. À l'occasion du 60e anniversaire de la création de l'Union socialiste des forces populaires (USFP), la question mérite d'être posée: est-ce que les congrès nationaux de l'USFP ont toujours joué le rôle qui leur est dévolu dans les traditions politiques? À savoir réfléchir le monde, clarifier la ligne idéologique ou encore choisir les dirigeants capables de mettre en exécution les résolutions du congrès ? À l'exception du premier congrès constitutif (1959) ainsi que du congrès extraordinaire (1975), les congrès Ittihadis, me semblet- il, n'ont rempli ces rôles qu'imparfaitement. On est, à mainte reprises, sorti d'un congrès divisé, sans leadership véritable et sans programme bien clair pour mobiliser la société et gagner la confiance de l'électorat. Lors du deuxième congrès de l'USFP, le rapport idéologique présenté par Mehdi Ben Barka sous le titre «option révolutionnaire» fut rejeté par l'aile syndicale et Abdellah Ibrahim. Au troisième congrès tenu en 1978, le parti sort profondément divisé entre l'aile radicale (militante) et l'aile modérée (électoraliste). Le quatrième congrès (1984) a été fortement marqué par une tension politico-organisationnelle n'aboutissant à aucun compromis et le rapport visionnaire de Khalid Alioua intitulé : «Crise de société et construction démocratique » a été voué au même sort que celui de Ben Barka. Nous arrivons au 5e congrès qui se tient en 1989 sous la haute tension des enjeux organisationnels conjoncturels entre l'aile syndicaliste et l'aile politique, les egos surdimensionnés montent au créneau au point de provoquer la colère et l'indignation du grand leader Abderrahim Bouabid qui claque la porte avant de revenir au complexe Moulay Abdellah pour sauver ce qui reste d'un congrès presque raté. Le 6e congrès nous a offert la triste occasion de découvrir combien la terre de Dieu est vaste et les frères Amaoui, Sassi et Sefiani et autres nous quittent définitivement. Le 7e congrès était par excellence le congrès de toutes les acrobaties apparatchiks qui, hautement mobilisées, n'ont servi qu'à noyer le poisson pour nourrir le court-termisme. Le 8e congrès rattrapé par le diktat de la conjoncture s'est tenu en deux session séparées, néanmoins il n'a servi qu'à maintenir le statu quo. Le 9e congrès aurait pu nous offrir un excellent exercice démocratique capable d'ouvrir une prometteuse perspective pour l'USFP mais il a fallu encore une fois que nous restions tragiquement fidèles à nous-mêmes. Le souci de soi, le conjoncturel, les querelles internes l'emportent encore une fois sur la vision stratégique et le 10e congrès dans le souci de stabiliser la situation, reproduit le même modèle épuisé du parti. Lors de ses congrès nationaux, le parti de l'USFP a été souvent contraint de concentrer ses efforts sur la gestion de ses crises internes à court terme au détriment du développement de sa stratégie globale à moyen et long termes. En vue de notre prochain congrès national, il convient de réfl échir à ce phénomène qui a largement contribué à nuire aux perspectives d'évolution du parti dans un paysage sociopolitique en mutation rapide. Mohamed Benabdelkader Membre du bureau politique de l'USFP