Alors que des mouvements de fusion sont d'actualité entre USFP et PSD, GSU et “Fidélité”, la formation d'un pôle de gauche reste toujours virtuelle. Cependant le débat s'anime sur des questions essentielles : l'identité de la gauche, la démocratie (y compris interne) et les priorités politiques. La chose mérite d'être signalée : c'est surtout à gauche que depuis quelques mois s'opère une véritable introspection et s'ébauchent des mouvements de regroupement. Sans que l'on puisse parler d'un dépassement des lignes de cantonnement qui l'ont longtemps caractérisée, la gauche semble aspirer à sortir de la léthargie et du recul auxquels elle semblait condamnée. Le 7ème congrès de l'USFP avait déjà sonné le rappel et cherché à clore les phases de divisions et de luttes intestines considérées désormais comme "stériles". Avec l'annonce de l'intégration du PSD dans les rangs du principal parti de gauche, la cote de l'unification semble être à la hausse. En parallèle, la gauche non-gouvernementale connaît une accélération de ses projets fusionnels. La naissance d'un nouveau sigle, le parti socialiste unifié (PSU), suite à la fusion le 24 septembre dernier de la Gauche socialiste unifiée (GSU) et de “Fidélité” à la démocratie, se veut une contribution à cette impérative exigence de regroupement. Cependant, ces mouvements divers sont loin de lever les démarcations et les dissonances qui continuent d'agiter les composantes du "pôle de gauche" demeuré jusqu'ici assez hypothétique. Si l'unification est devenue une nécessité, il n'en reste pas moins que les contenus qui doivent la lester ne sont pas encore identiques pour toutes les composantes. Aussi plus que jamais des questions aussi vitales que celles de l'identité idéologique et politique, de la démocratie interne et des choix politiques prioritaires demeurent en débat et sont loin encore de faire l'unanimité. Pour Mohamed Elyazghi , premier secrétaire de l'USFP, l'enjeu n'est pas la création d'un grand parti de gauche, car celui-ci "existe déjà". Ce serait, selon lui, une illusion de croire qu'il faut repartir de zéro pour réaliser cet objectif. L'USFP constitue, dans les faits, la principale ossature de la gauche, les autres tendances étant cependant considérées par elle comme "une richesse pour la pensée socialiste et progressiste". Cependant, en se multipliant et en se divisant, ces tendances diverses engendrent "une dispersion des efforts". La "convergence" que prône Elyazghi n'est concevable que si les différents courants admettent que le pays s'est engagé dans une phase de transition démocratique qu'il s'agit de consolider et non de nier. D'autre part, souligne-t-il, toutes les expériences vécues dans de grandes démocraties ont montré que l'alliance entre les partis socio-démocrates et les autres composantes (Verts, radicaux, etc) est bénéfique pour tous alors que lorsque les partis socialistes sont considérés comme des adversaires, cela conduit à l'échec et au recul de ces mêmes tendances. Convergence Le premier secrétaire de l'USFP ne cache pas que la recherche de la convergence avec les autres composantes de la gauche marocaine n'est pas lié à la force organisationnelle ou à la base électorale de celles-ci, mais surtout au débat qui a lieu en leur sein sur des questions vitales. Il faut rappeler ici que l'histoire de l'USFP a été marquée par une série de divisions et de scissions où le débat de fond n'était pas toujours déterminant. Ne voit-elle dans les positionnements plus ou moins radicaux ainsi que dans les joutes des petits partis de gauche que l'écho de ses propres querelles passées ? Inévitablement c'est par rapport à l'USFP que tous les débats à gauche se situent. Le chassé-croisé entre le courant "Fidélité" qui quitte l'USFP pour fusionner avec l'ex-gauche radicale et le courant du PSD qui a fait le cheminement inverse peut servir à illustrer cette focalisation. Néanmoins on ne peut sous-estimer la valeur et la portée du débat qui se poursuit au sein de cette ex-gauche radicale. Le thème central de l'identité de la gauche et de ses options stratégiques est toujours d'actualité. Le pluralisme des sensibilités et courants est censé garder toute sa vivacité à ce questionnement. Au sein de l'USFP, beaucoup estiment que si ce dernier est négligé ou passe à l'arrière-plan, le parti perd de sa substance et se voit menacé de comportements déviants, d'opportunisme et de compromissions. C'est ainsi que la vigilance idéologique, et notamment d'ordre éthique, refait surface lors de l'évaluation de l'expérience de participation au gouvernement. Elle se manifeste aussi pour dénoncer les risques de sclérose et d'immobilisme. Le 7ème congrès de l'USFP a été l'occasion d'une élaboration qui se voulait plus actualisée et plus approfondie sur le plan des idées et des choix fondamentaux. Cependant beaucoup ont estimé que cela n'était qu'une ébauche, le congrès ayant été davantage axé sur l'élection des instances internes. Faut-il voir l'expression d'un certain malaise dans la surprenante confidence faite par Mohamed El Gahs à l'hebdomadaire " le Journal "où il disait" ne pas se retrouver totalement " dans son parti même si celui-ci reste " le plus proche de ses convictions ". Dans ce parti, affirme-t-il, " on a du mal à changer les choses, à oser des ruptures et comme dans tous les partis il y a des vieux qui ne veulent pas partir ". Expression d'un état d'âme ou d'une certaine lassitude ? El Gahs n'en souligne pas moins "qu'il faut que la gauche retrouve son identité, l'avenir du pays en dépend". Cette pique a valu à El Gahs de vives critiques et reproches de la part de quelques membres du bureau politique dont il fait partie depuis le dernier congrès. A tel point que l'on exigea de lui une mise au point pour rectifier ses propos. C'est dans un long texte, paru dans le quotidien "Aujourd'hui le Maroc" puis dans "Al Ittihad al Ichtiraki", l'organe du parti, que El Gahs formula non pas une mise au point mais un exposé des fondements de cette identité à retrouver. Identité de gauche Dans le style fiévreux et lyrique qu'on lui connaît, il a mis en exergue les durs combats des socialistes pour la démocratie. Plaidoyer pour l'USFP en tant que vecteur historique majeur des idées et pratiques démocratiques au Maroc, ce texte, loin d'être un mea culpa, veut plutôt rappeler le noyau identitaire des socialistes aujourd'hui. Il s'agit à la fois de "changer la société en cumulant les réformes" tout en instituant la démocratie en tant que système de valeurs irréductibles et pas seulement comme une technique de régulation des institutions. Le rôle de l'Etat doit être renforcé dans cette optique pour juguler les idéologies et mouvements totalitaires islamistes ainsi que les dérapages du libéralisme sauvage et le poids des conservatismes. Quelles que soient les motivations conjoncturelles de ces explications, il n'est pas fortuit que la question de l'identité des socialistes soit à nouveau mise en avant. Ces préoccupations identitaires furent tout aussi martelées lors du congrès constitutif du PSU. Là l'accent est davantage mis sur la révision constitutionnelle et l'institution d'une monarchie parlementaire. La "démocratisation de l'Etat" est posée comme préalable à toute réforme. Il s'agit pour le PSU d'affirmer par là une démarcation qui veut bousculer les tabous et accélérer l'évolution institutionnelle. La question identitaire n'est pas seulement doctrinale et dogmatique, rétorquent les membres de deux courants de la GSU qui ont boycotté le congrès de fusion-création du PSU. Il s'agit des courants "Action démocratique" des amis d'Ahmed Herzenni et "Liberté d'initiative" animé par Omar Zaïdi. La question pour eux est d'abord politique et renvoie au réel actuel. Il existe selon eux un contexte nouveau pour une évolution démocratique de l'Etat et de la société. Ce mouvement doit être stimulé grâce à une vaste convergence d'action avec les autres forces démocratiques du pays. Autrement on se condamne à l'isolement et à la scolastique sans prise sur la réalité. L'expérience naissante du PSU ne fera-t-elle que rééditer celles, innombrables, des groupes de la gauche radicale, voués à d'interminables discussions idéologiques ponctuées de divisions ? Les animateurs du congrès du PSU veulent au moins se prévaloir d'avoir fait avancer l'expérience en matière d'institution de courants et de démocratie interne. Institution des courants Malgré les optiques divergentes à gauche en matière de priorités politiques, on constate cependant que la question de la démocratie en tant que valeur et culture, d'abord en interne, gagne en légitimité, tout au moins au niveau des principes affichés. Il est certain que sur le plan pratique, l'apprentissage s'avère ardu pour surmonter les atavismes centralisateurs et peu tolérants, tant au sommet qu'à la base des mouvements. L'enjeu de la démocratie en tant que valeur va-t-il devenir plus consistant et prédominant pour affirmer une identité de gauche face aux mouvements islamistes ? Car si en tant que moyen et technique de régulation interne la démocratie peut être revendiquée et même pratiquée par les mouvements islamistes, c'est au niveau des valeurs et de la culture que la différenciation devrait s'opérer. C'est ce que vient de réaffirmer la direction du PPS pour qui il n'est pas concevable de participer à un éventuel gouvernement avec le PJD tant que celui-ci n'aura pas levé l'ambiguïté qui le caractérise à propos de la démocratie. Le PPS est, au demeurant, mis dans une position assez inconfortable par les mouvements du PSD vers l'USFP et de la GSU vers “Fidélité”.Craignant un isolement qui pourrait lui être fatal dans la perspective des élections de 2007, il a réagi avec colère à la proposition de l'USFP et de l'Istiqlal de relever à 10 % le taux des voix obtenues aux élections pour pouvoir bénéficier des subventions de l'Etat aux partis. Alors que ce parti avait jusqu'ici vocation de trait d'union aussi bien à gauche qu'au sein de la Koutla, il craint un délitement qui fait fi du rôle historique qu'il estime avoir été le sien. Aussi, dans la foulée, il avance plus hardiment des propositions nouvelles en matière de révision constitutionnelle visant à renforcer les prérogatives du premier ministre et à revoir le rôle de la deuxième Chambre au Parlement. Autant de signes d'un débat qui s'anime, avec plus ou moins de pertinence, sans que la perspective du pôle de gauche gagne en visibilité.