Depuis l'adolescence, Mohamed Elyazghi est immergé dans l'action et la passion politiques, d'abord nationaliste, puis progressiste “radicale” et enfin social-démocrate et moderniste. Chaque étape est pour lui porteuse d'épreuves et de raisons d'espérer et si la retenue proverbiale de son expression veut privilégier surtout ces dernières, il est évident que ce sont les premières qui l'ont façonné. Né le 28 septembre 1935 à Fès, il a grandi à Rabat où sa famille s'est installée au moment où le Mouvement national était à son apogée. Dès 1954, il avait côtoyé Mehdi Ben Barka, son premier maître et modèle. Après avoir décroché le baccalauréat, il étudia à l'Ecole nationale d'administration à Paris, puis il décrocha une licence en droit à Rabat. Sur ces entrefaits, il avait vécu la création de l'UNFP en 1959 et la première crise de ce mouvement lors du 2ème congrès de 1962 qui avait marqué le clivage entre la tendance socialisante et radicale de Mehdi Ben Barka et la tendance ouvriériste des syndicalistes de l'UMT dirigés par Mahjoub Ben Seddik. La question de l'identité idéologique du parti était déjà posée : “que faire ?” s'interrogeait alors Abderrahim Bouabid, et cette question était au cœur du rapport préparé par Ben Barka et à l'élaboration duquel avaient participé l'historien Abdallah Laroui et Elyazghi. La clarification idéologique n'était pas aisée et la tentation de la radicalisation était un signe des temps. La répression qui allait s'abattre sur le parti, à partir de 1963, exacerba l'opposition au pouvoir. Elyazghi subit plusieurs arrestations : en 1967 puis en 1970 avant de figurer parmi les 160 accusés du procès de Marrakech en 1971. Les contradictions au sein du parti allaient aussi s'envenimer : l'aile syndicaliste d'une part et les partisans de l'insurrection armée d'autre part, constituaient deux extrêmes entre lesquelles l'option démocratique avait peine à se frayer un chemin sous l'impulsion de Abderrahim Bouabid. Après les tentatives de putsch de 1971 et 1972 et l'échec du groupe armé infiltré depuis l'Algérie, en mars 1973 dans la région de Moulay Bouazza, l'impasse des cycles de violences était devenue évidente. Elyazghi fut de ceux qui firent un bilan critique du “radicalisme” et évoluèrent vers un processus pacifique de démocratisation. Il fit partie de la délégation conduite par Abderrahim Bouabid qui remit à Hassan II un mémorandum au lendemain de la tentative de putsch d'Oufkir en 1972. Les épreuves n'en continuèrent pas moins : en janvier 1973, Elyazghi fut victime de l'explosion d'un colis piégé et dut subir plusieurs opérations au côlon, à la main et à l'oreille. Il fut arrêté le 21 mars suivant, alors que l'orientation “modérée” avait été adoptée depuis plusieurs mois ainsi que la coupure avec le “blanquisme” du Fquih Basri, en exil depuis 1966. Le tournant fut pris en 1975 aux côtés de Bouabid et de Omar Benjelloun, avec la création de l'USFP lors du congrès extraordinaire dont Elyazghi avait élaboré le rapport organisationnel. Depuis, il devait assumer avec ténacité ce rôle d'organisateur qui est l'une des sources de sa légitimité à la direction du parti. Fidèle de Bouabid, il contribua à approfondir l'option social-démocrate dont le leader charismatique fut l'initiateur. En 1981, il se retrouva à ses côtés en détention à Missour suite à la contestation de l'acceptation du référendum au Sahara. Après les émeutes de 1981 à Casablanca, les journaux dirigés par Elyazghi “Al Mouharrir” et “Libération” furent interdits. Malgré les dissensions que le parti devait connaître depuis 1983, Elyazghi maintint, dans le sillage de Bouabid, le cap de “la participation au processus démocratique” qui devait aboutir au gouvernement d'alternance en 1998. D'autres clivages ont marqué le parcours du parti : le “populisme” de Amaoui, les nostalgiques du Fquih Basri, les contestataires de l'alternance et enfin la tendance au “clientélisme” électoraliste et ministériel ont été à l'origine de nouvelles tensions. Elyazghi, dont la patience égale l'habileté, a su traverser ces derniers remous dont le parti n'est pas sorti indemne. Il devra, désormais, incarner sans faute et avec talent une mutation réellement “démocratique et moderniste” de cette organisation à laquelle toute sa vie s'est identifiée.