Mohamed Asli Cinéaste Les Echos quotidien : Comment vous est venue l'idée de réaliser votrer dernier long métrage «Les Mains rudes» ? Mohamed Asli : Le sujet est inspiré de ces problèmes sociaux que nous vivons tous les jours. Des problèmes qui m'interpellent tout le temps. Pour moi, le cinéma doit défendre une cause et le cinéaste doit être préoccupé par les problèmes de sa société. Justement, dans votre film, vous abordez les questions*de l'émigration, de l'abus de pouvoir... Tout à fait. Ce sont des phénomènes qui font partie de notre société. Toutefois, je tiens à préciser que mon film ne parle pas de l'émigration, comme certains l'ont déclaré. Je parle plutôt du déracinement du citoyen marocain. Nous sommes arrivés à une étape dans le processus de l'émigration où les Marocains doivent accepter d'être humiliés chez eux. Le fait qu'un groupe espagnol vienne ici à la recherche de femmes pour cultiver les champs de fraises répondant à des critères bien précis (mariées, ayant des enfants et surtout ayant des mains rudes), est en soi une humiliation. En imposant ces critères, les Espagnols veulent être sûrs que ces Marocaines vont rentrer chez elles, juste après la saison de la récolte. Ce que je raconte dans mon film, n'est pas de la fiction, c'est la réalité que nous vivons. «Les Mains rudes» a remporté des prix ailleurs, mais pas à Tanger où a eu lieu le Festival national du film. Un seul prix lui a été attribué en l'occurrence celui d'interprétation masculine, pour Mohamed Bastaoui. Êtes-vous déçu ? Vous savez, je voulais carrément me retirer de ce festival, mais j'ai décidé d'y rester par respect du public. Le président du jury Edgar Morin est rentré en France quatre jours avant la fin du festival et on nous a annoncé qu'il allait visionner les films programmés durant ces quatre jours sur DVD. Vous savez, Ahmed Boulane par exemple, qui a réalisé «Le retour du fils» n'a même pas encore de DVD de son film. Comment alors le président du jury pouvait avoir une idée sur ce film là, par exemple ? Notre cinéma a aujourd'hui tous les ingrédients pour jouer un rôle primordial dans la région, mais malheureusement, nous avons perdu dix ans de notre temps à cause de la stratégie adoptée par le CCM. Les salles de cinéma sont de plus en plus rares... À Rabat, par exemple, il n'y a aucune salle de cinéma digne de ce nom. Je trouve cela scandaleux ! Pourtant, bon nombre de réalisateurs affirment que le cinéma marocain vit en ce moment ses plus belles années, grâce notamment à la politique du CCM. Qu'est ce que vous en pensez ? Les films soutenus par le directeur du CCM n'ont aucune valeur artistique ou culturelle et n'ont rien à voir avec la réalité de notre pays. La preuve, c'est que les Marocains résidant à Dubaï ont signé une pétition contre les films marocains qui ont pris part au dernier festival du cinéma de Dubaï, puisqu'ils appuient l'image négative qu'a la société du Golfe sur la femme marocaine. Ce n'est pas tout. Ces films là n'arrivent pas à s'imposer sur le plan international. Ils sont juste adoptés par certaines personnes qui veulent donner une image folklorique de notre société. Je défends tout sujet, à condition qu'il soit abordé d'une manière artistique et cinématographique. Ne traiter que de deux thèmes particuliers en l'occurrence le sexe et l'intégrisme me semble à l'opposé des principes de notre société. Je pense que les réalisateurs qui s'enferment dans ces deux sujets doivent se réconcilier avec eux-mêmes pour pouvoir surmonter la schizophrénie dont ils souffrent. Pour revenir à votre film «Les Mains rudes», le jeu des acteurs était parmi les points forts de cette production. Comment s'est passée la collaboration avec ces comédiens ? Tout d'abord, je tiens à préciser que je suis chanceux de travailler avec tous ces comédiens, parce qu'ils étaient tout simplement formidables. Pour l'anecdote, j'ai retardé le tournage du film de deux mois, afin de collaborer avec Mohamed Bastaoui, qui était occupé. Je pense que nous n'avons plus de problèmes au niveau des comédiens au Maroc. Ils sont talentueux et doivent juste être bien dirigés. Pour avoir le résultat escompté, il faut bien coacher ses acteurs. Je ne suis pas en train de donner des leçons, mais je pense que c'est indispensable, pour faire du bon travail. Quel était le budget de ce film ? 8,6 MDH. Je tiens à préciser que je n'ai pas reçu l'avance sur recettes du CCM et que j'ai produit ce long métrage moi-même. À chaque fois qu'on évoque le cinéma marocain, on parle d'une crise de scénario. Qu'en pensez-vous ? Je suis tout à fait d'accord. Nous n'avons pas de scénaristes au Maroc. L'écriture cinématographique a ses propres spécificités. On écrit des images avant les moments et non le contraire. Cela est dû à mon sens à l'absence d'écoles pour former de bons scénaristes et de bons techniciens, qui restent également une denrée rare. Il nous faut une volonté politique pour développer le secteur. L'aide du CCM n'est pas suffisante, il nous faut plutôt une aide qui englobe tous les métiers du cinéma. Vous étiez derrière l'inauguration de la première école de cinéma au Maroc en 2004. Cependant, cette école a fermé ses portes, il y a bien longtemps. Ne comptez-vous pas refaire cette expérience ? C'était une agréable aventure sur tous les plans, mais malheureusement, nous avons été combattus par bon nombre de responsables, notamment le directeur du CCM, qui n'a pas apprécié que les deux langues de formation soient l'arabe et l'italien. Bref, plusieurs disciplines ont été proposées aux étudiants, entre autres, l'image, la réalisation et le script. Malgré les différentes difficultés que j'ai rencontrées, je suis prêt à réitérer cette expérience, si on me laisse travailler. D'ailleurs, je suis persuadé que si l'école avait fonctionné pendant au moins six ans, on aurait disposé aujourd'hui d'une génération de réalisateurs, de scénaristes et de techniciens compétents. À quand votre prochain long métrage ? En 2009, j'ai soumis au CCM un scénario qui a été refusé. Il s'agit d'un film sur l'Irak. Trois ans après, je vous assure que le sujet me tient toujours à cœur et j'aimerais bien le mettre en place. Sinon, la télévision me tente, mais je préfère pour le moment prendre mon temps pour offrir au public un film qui lui ressemble. Vous savez, les festivals et les prix sont secondaires pour moi. Le plus important, c'est que le spectateur se retrouve dans mes films.