Depuis vendredi dernier, chants, poésies et danses marocaines piaffent sur les planches du plateau scénique du théâtre Claude Levi Strauss à Paris. Situé au cœur du célèbre Musée Quai Branly, c'est un espace de jeu et de paroles qui permet, jusqu'au samedi 5 décembre, de montrer à travers le spectacle Izlan, toute la richesse d'un patrimoine ancestral. C'est sublimer le trépignement des troupes folkloriques de l'Atlas et du désert marocain et, à fortiori, souligner la prégnance des cultures orales. « Ces dernières disparaissent, car elles dépendent de l'éducation et de l'environnement », disait Alain Weber lors d'une interview réalisée à l'occasion du Festival « Les Orientales», en juin 2009. Izlan, poème en Tamazight, est l'intitulé de la création pour le musée. Pensée en hommage à la richesse poétique de la culture amazighe dans le monde berbère, du Sahara aux montagnes du Moyen Atlas, ce voyage de spectacles vivants s'inscrit dans la programmation éclectique du musée du Quai Branly, aux côtés de la culture chorégraphique et musicale contemporaine du Brésil. Le tout , ajouté à la musique classique et les danses sacrées de l'Inde. Ainsi, à travers quatre plateaux artistiques, arrangés sous la direction de Alain Weber, musicologue français et spécialiste des musiques traditionnelles, et Lahsen Hira, conseiller artistique, plusieurs traditions vivantes du monde berbère sont présentées. Des expressions collectives, aussi nombreuses que les tribus qu'elles symbolisent : Rwayes et Raissates, Cheikhates et Meddahates expriment ce qui constitue l'expression la plus profonde de l'âme berbère. Chants des cimes, plein les lieux Dimanche dernier, la poésie des Rwayes a été lue par l'anthropologue Lahsen Hira, avant de céder le pas à Raysa Fatima Tabâamranet. Devenue maître de l'art de jouer avec les vers, les métaphores, Tabâamranet a une particularité supplémentaire. Elle est différente parce qu'elle est poétesse de ses textes. Ce qui est sans doute exceptionnel, surtout quand les sujets abordés vont à contrario des thèmes habituels et tolérés par les traditions amazighes. Au Quai Branly, c'est l'amour, le chômage des jeunes, la corruption et la conservation des traditions qui ont résonné dans la salle. La disciple du grand poète Mohamed Damsiri est sollicitée par des associations culturelles à travers les quatre coins du monde, pour parler de son expérience, de son amour pour la parole et pour donner son avis sur la situation de la femme. Et aussi, parce que sa vie intéresse plus d'un, « Tihiyya », le film produit par Amazigh Warda en 1994 et inspiré de la vie de la Raysa, sera projeté le vendredi 4 décembre à la salle de cinéma de Quai Branly. Des décibels qui feront vibrer les coeurs Si la musique amazighe est différente dans chacune des trois régions amazighophones, la musique tachelhit de l'Anti-Atlas, la musique tamazight du Moyen-Atlas et la musique tarifit de la chaîne des monts rifains, se font toutes l'écho des difficultés de leur communauté d'appartenance, en formulant leurs sentiments, leurs visions du monde et les diverses prises de position face aux réalités de tout genre. C'est ainsi que Rays Said Outajajt, un des plus talentueux héritiers de la chanson du Souss, sera muni de son Ribab, déclamant ses réflexions sur la vie avec d'incroyables envolées rythmiques. Rayss Moulay Ahmed Ihihi, joueur de «lotar» de l'ancienne génération, fera étalage de sa parfaite maîtrise du luth. Le Moyen Atlas, présent en force à cette création artistique, sera représenté par ses Cheikhates, un ensemble composé de quatre chanteuses danseuses et de deux percussionnistes. On arrive à l'Anti-atlas, plus précisément à Goulmim. Ce territoire d'échanges caravaniers et de brassage de cultures est celui également où le mot a un pouvoir à exercer. C'est Mint Aichata ou Bnet Aichata qui useront de leurs instruments rudimentaires, afin d'accompagner leur belle prose, qui mène à la transe. Autour du spectacle A la fois musée, centre culturel, lieu de recherche et d'enseignement, le Quai Branly veille à favoriser les rencontres et offrir un brassage culturel dans une écoute plus intime, suite à des après-midi musicaux et master class qui viennent compléter le panel artistique. Ainsi, autour des spectacles, l'heure est également à la culture amazighe sous toutes ses formes. Mardi 1 décembre, Fatima Boukhris, chercheure en Arts et Lettres, offre une conférence autour des Arts Chorégraphiques Amazighs au Maroc. Avant de dresser la situation et les perspectives de la langue et culture amazighes, mercredi 2 décembre, en présence de Ahmed Boukous, recteur de l'IRCAM (Institut royal de la culture amazighe au Maroc). Une table ronde est également programmée. Animée par Driss El Yazami, président du conseil consultatif des marocains à l'étranger, c'est de la spécificité de la musique berbère, issue de l'immigration, que Ahmed Aydoun traitera. Culture amazigh très prisée L'initiative du Quai Branly, intervenue lors de cette rentrée 2009, n'est pas la première en son genre. Les folles nuits berbères investissent à leur tour le Parc de la Villette à Paris, dans son cabaret sauvage, pendant tous le mois de décembre. Ailleurs ; en Belgique, à Milan, en France, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis.... Partout, les artistes amazighs sont acclamés lors de toute prestation, et leurs CD et cassettes se vendent à des millions d'exemplaires. A l'instar de Fatima Tabaamrant, l'ensemble Oudaden, Moha Oulhoussein, Hamou Agourane, Rouicha, Ahouzar, Cherifa, Aicha Tachinouite, Hadda Ouaâki...pour ne citer que ceux là. Les raisons d'un tel succès ? Berbérophones et mordus des chants montagneux s'accordent : « Les différents termes issus des parlers berbères désignent l'art de la versification. Ils sont riches en poésie et en couleurs, vu qu'ils sont inspirés par la beauté du paysage rural et méditerranéen. »