L'industrie du voyage et du tourisme, l'un des piliers de l'économie mondiale, avec un chiffre d'affaires de près de 7.000 milliards de dollars, enregistre une vague de digitalisation tous azimuts, et ce tout au long des différents maillons de la chaîne de valeur, y compris le transport, l'hébergement, la restauration, le guidage et le divertissement. Le digital est de mise pendant toutes les étapes, de la promotion et le marketing jusqu'à la réservation et l'achat. Il est donc possible de réserver un vol, une chambre d'hôtel, une voiture pour se déplacer, des visites sur place, ainsi que toute forme de loisir directement sur Internet ou sur son mobile sans devoir passer par un agent de voyage ni être obligé d'acheter un package d'un tour-opérateur. Cela signifie que le modèle classique du voyagiste selon lequel le tour-opérateur (TO) possède la totalité ou une partie des maillons de la chaîne de valeur touristique (agences de voyages, compagnies aériennes, sociétés de transport routier et hôtels avec restaurants et activités de loisirs) est révolu. Ce modèle faisait que cet opérateur contrôlait les prix, les offres ainsi que les hôteliers et orientait les clients selon ses objectifs commerciaux et sa stratégie marketing. Non seulement il est révolu, mais il ne fonctionne plus pour un bon nombre de marchés et de destinations. Le modèle d'organisation des voyages classique était basé sur quatre principes qui s'avèrent aujourd'hui dépassés. D'abord, le TO était le seul point pour le client lui permettant d'identifier une destination particulière et d'organiser son voyage. Aujourd'hui, le monde entier est au bout des doigts de quelque 4,1 milliards d'internautes (statistiques de 2017). Aussi, le TO offrait des prix compétitifs par rapport aux autres acteurs car il effectuait des réservations en allotissements, que ce soit en sièges d'avions ou en chambres d'hôtels, et était en mesure d'imposer ses prix aux agences réceptives, aux hôteliers ou encore aux transporteurs. Maintenant, ce processus a changé et on assiste à des offres sur Internet plus compétitives et plus accessibles à de nombreux segments de voyageurs. Enfin, le TO contrôlait une bonne partie de la chaîne de valeurs. Ce contrôle est perdu à jamais avec l'arrivée des compagnies low-cost indépendantes des TO, et avec l'émergence des plateformes de vente sur Internet qui travaillent directement avec les hôteliers ainsi que d'autres acteurs, qui ciblent les clients via des stratégies marketing utilisant les différentes possibilités sur le web, surtout les médias sociaux. Les exemples de la révolution digitale en matière de voyage et de loisirs abondent. On peut en citer l'émergence des plateformes de promotion et commercialisation d'offres de voyage (y compris l'aérien, l'hôtel, la restauration, le transfert, et l'animation), dont Booking, Expedia, Opodo et autres; le succès foudroyant des plateformes comme Airbnb proposant des logements bien équipés et abordables appartenant à des particuliers qui mènent une concurrence jugée «déloyale» par les hôteliers et les investisseurs propriétaires des murs d'hôtels. La plateforme Uber est en train d'ébranler fortement le transport urbain dans de nombreuses destinations, avec son modèle de transformation des voitures des particuliers en taxis, offrant ainsi de meilleurs services et une disponibilité pointue, et ce par le biais d'un système de géolocalisation, de communication et de paiement digital performant. Des compagnies low-cost telles que Ryanair, EasyJet, Norwegian Air Shuttle, Vueling, Transavia et autres effectuent des centaines de vols par jour entre les marchés européens et les destinations de l'Europe, de l'Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de la Méditerranée, en se basant sur une politique agressive de prix et de réduction des charges, et une stratégie de marketing digitale imbattable. Ces nouveaux joueurs accaparent une part grandissante du marché du voyage et sont en train de changer les règles du jeu de la plus grande industrie de l'économie mondiale. Une mutation paradigmatique se profile déjà à l'horizon. Les changements reposent essentiellement sur la digitalisation de la promotion, du marketing, de la réservation, du suivi et surtout du feedback des clients concernant la qualité du produit et du service. La digitalisation contribue fortement à l'amélioration de la qualité des prestations en incitant les clients à réagir et les voyagistes à améliorer leurs offres. La boucle entre le feedback du client et la réaction du prestataire du service est ainsi fermée (Closing the Feedback Loop). Cela signifie que le modèle digital émergent ne donne pas seulement au client plus de choix et de meilleurs prix, mais un produit de meilleure qualité parce que l'opinion du client devient un élément important de la gestion du voyage. Que doit faire le voyagiste entrepreneur pour faire face à la puissance de frappe des mastodontes de l'achat de voyages en ligne? Comment doit-il/elle se comporter face à cette révolution résurgente dans l'industrie du voyage? Premièrement, les acteurs classiques (TO et autres) doivent reconsidérer le modèle économique qu'ils ont suivi jusqu'à présent et adopter un modèle plus flexible et plus dynamique qui ne cherche plus à contrôler tous les maillons de la chaîne, mais qui étudie les destinations et les marchés et trouve les meilleures correspondances entre les préférences des clients, les atouts technologiques de la destination et les opportunités offertes par le commerce du voyage en ligne. Deuxièmement, la digitalisation n'est plus un luxe, c'est un acte de survie mais surtout une opportunité qui ouvre une multitude de possibilités de croissance tels que les points de vente virtuels, le e-branding, la e-réputation, les stratégies de médias sociaux, le Community Management, l'investissement dans la technologie pour mettre en place les meilleures plateformes et les solutions performantes. Ces quelques exemples représentent ceux que font les leaders du domaine. Dans le monde d'aujourd'hui, si l'on n'est pas dans le digital, si l'on n'a pas d'offre digitale, on disparaît de la scène. Troisièmement, les entreprises de voyages doivent mettre l'accent sur le «Dynamic Packaging» qui vise à donner la liberté aux voyageurs de construire leur propre forfait, ainsi que le «Dynamic Bundling», qui donne la liberté au client de faire l'échange entre une ou plusieurs composantes du forfait afin de lui permettre de participer à la construction du voyage. Les pays arabes connaissent un développement important dans le domaine de l'industrie du voyage et sont en même temps d'importants marchés et des destinations touristiques privilégiées. Dans certains pays tels que les Emirats arabes unis, le Maroc, la Tunisie, l'Egypte, Oman, le Liban, la Jordanie et l'Arabie saoudite, l'industrie du voyage est l'un des piliers de l'économie nationale. Les entreprises de voyage dans la région arabe sont quotidiennement touchées par ces changements profonds dans l'industrie du voyage. C'est pourquoi ils sont également tenus de fournir un produit dynamique à un prix raisonnable pour répondre aux attentes du client et rechercher des points d'excellence et de compétitivité. Le touriste arabe voyage généralement en famille, et est séduit par le loisir familial et le shopping: le voyage en groupe ne l'intéresse pas assez, il est donc nécessaire de lui fournir un service et des offres sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et Instagram à la mesure de ses aspirations. Quant au touriste étranger, il cherche le soleil, la mer, le dépaysement et le loisir associé aux city-breaks, il est donc nécessaire de mettre en place des offres qui répondent à ses besoins et de lui donner la liberté de choisir via le digital. D'autre part, les entreprises touristiques arabes, avec l'aide des organismes gouvernementaux concernés, sont appelées à poursuivre une politique intelligente en matière de promotion et de publicité, basée sur le digital et les médias sociaux. Dans ce contexte, les organismes gouvernementaux chargés sont appelés à mettre en place une politique digitale intelligente et agressive basée sur la construction de la réputation et la mise en réseau des différentes communautés sur Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, LinkedIn et Snapchat. Il est primordial de mener une gestion continue des débats et des discussions afin d'orienter et d'influencer, le but étant d'assurer une présence digitale effective et de permettre aux entreprises d'avoir l'information nécessaire pour e-commercialiser leurs offres auprès des segments de clientèle d'une destination donnée. Pour les salons du voyage et du tourisme, les états et les voyagistes arabes devraient adopter une approche sélective ciblant les foires des marchés qui s'appuient encore sur le modèle TO tels que les marchés allemand, anglais, russe, scandinave, chinois ou autre. Pour les marchés plus ou moins «fragmentés» tels que les marchés américain, français, italien, belge, hollandais, arabe, africain et latino-américain, l'approche (plus ou moins totalement) digitale est la plus indiquée. Il y a encore des clients qui veulent un contact humain et non avec une machine, et qui préfèrent encore voyager de manière structurée, dans le cadre d'un groupe dont le package et le programme sont connus d'avance, mais leur nombre va commencer à diminuer avec l'arrivée des «millenials» et d'autres segments de la clientèle à tendance individualiste mais plus au fait de l'approche digitale. Ces clients de demain (on les voit déjà aujourd'hui) vont accélérer le passage au digital. La digitalisation est un défi, mais c'est aussi une opportunité: atteindre le plus grand nombre de clients possible, promouvoir plus efficacement en utilisant intelligemment les ressources et les moyens technologiques disponibles. Cela est possible, il faut juste oser se positionner dans un avenir très proche. **La version originale de cet article a été publié par Lahcen Haddad dans le Harvard Business Review Arabic du 1 mars 2018 sous le titre : Tous les droits appartiennent à Harvard Business Review. Lahcen Haddad Politicien et ancien ministre du Tourisme.