François Conradie, Analyste au cabinet sud-africain NKC African Economics Cyril Ramaphosa, le successeur du président Jacob Zuma pourrait faire preuve de plus de pragmatisme dans les relations entre le Maroc et l'Afrique du Sud. Tel est l'avis de François Conradie, analyste au cabinet sud-africain NKC African Economics. Dans cette interview, il revient également sur l'avenir de Zuma et de l'ANC. Les Inspirations ECO : Zuma était poussé vers la sortie par l'ANC. Sa démission est-elle malgré tout une surprise vue sa forte résistance ? François Conradie : Oui, la fin de son discours nocturne, le mercredi 14 février, a surpris, surtout après ses propos de l'après-midi et même ceux du début de ce même discours, dans lesquels il soulignait (avec raison) qu'il avait été élu par le Parlement, représentant du peuple, et non par son parti, l'ANC. Jusqu'à la fin du discours ce soir-là, je m'attendais à ce qu'il exprime sa détermination de faire face au vote de non confiance au Parlement, qui était programmé sur l'agenda pour le lendemain (jeudi). Toute l'histoire ne sera peut-être jamais connue, mais nous pourrons par la suite en apprendre plus sur les garanties qu'il a pu recevoir de la part de son successeur ou bien d'amis à l'étranger. Après la présidence, beaucoup s'attendent à ce que Zuma soit poursuivi par la justice pour corruption. Est-ce probable ? C'est assez probable. Mercredi dernier, à quelques heures de l'annonce de sa démission, même les «Hawks», unité spéciale de police judiciaire, ont perquisitionné la maison de la famille Gupta, famille indienne qui s'est enrichie grâce à des marchés corrompus obtenus par les faveurs de Zuma. Duduzane Zuma, fils de l'ex-président et employé des Gupta, est également susceptible d'être poursuivi. Au cours de l'année dernière, de plus en plus de preuves - et de témoins prêts à être entendus - se sont dévoilées et pourront contribuer à un procès contre Zuma. Il pourra y échapper en devenant témoin contre ses amis et son fils, ou bien en s'exilant. Avec cette démission «forcée» de Zuma, est-ce que l'ANC n'est pas en train de se fracturer ? Elle a été fracturée bien avant - il existe des clivages idéologiques et personnels dans le parti depuis les années 20. La fracture actuelle l'a été à l'évidence lors du congrès national du parti en décembre dernier, durant lequel Cyril Ramaphosa a été élu à la présidence du parti devant Nkosazana Dlamini-Zuma, le choix (et l'ex-épouse) de Zuma. Depuis, certains cadres ont rallié le camp de Ramaphosa, mais ses plus grands loyalistes auront du mal à se refaire une place au sein du parti. Aussi le parti perdra une frange de son électorat rural et traditionnel, surtout dans la région de KwaZulu-Natal où Zuma puisait beaucoup de son soutien. Cyril Ramaphosa peut-il redorer le blason de ce parti historique avant les élections de 2019 ? Oui, tout le monde s'attend à ce qu'il s'attaque à la corruption et la mal gouvernance, chose qui améliorerait l'image de l'ANC en milieu urbain et pourrait renforcer le parti dans l'élection de 2019. Le choc des mauvais résultats lors des municipales de 2016 a gravement affaibli Zuma à Pretoria et Johannesburg, villes que l'ANC a perdues. Ramaphosa n'est-il pas en partie comptable du bilan de Zuma, en tant qu'ex-vice-président? On peut considérer qu'il aurait pu faire plus, surtout lorsqu'il était question d'enclencher un processus de destitution dans le parti ou au Parlement pour faire partir le président Zuma. Toutefois, les grandes transgressions de Zuma ont été des conspirations criminelles, entreprises en secret, dans lesquelles il n'y a pas une suggestion que Ramaphosa ait été impliqué. La politique étrangère du pays risque-t-elle de changer avec Ramaphosa ? Pas de façon radicale. Malgré l'attention qu'on accorde aux individus par des moments pareils, l'ANC demeure une très grande organisation avec des règles bien établies, qui adopte ses orientations stratégiques de façon strictement démocratique. Il est vrai cependant que la ministre des Affaires étrangères, Maite Nkoana-Mashabane, a été du côté des perdants en décembre, même si elle n'est pas parmi les loyalistes de Zuma les plus en vue et pourrait donc être remplacée quand Ramaphosa remanie son équipe dans les prochains jours. Mais il n'y aura pas d'importants changements. Sur les relations avec le Maroc, notamment sur la question du Sahara, à quoi faut-il s'attendre avec Ramaphosa ? Je pense qu'on peut s'attendre à la continuation d'un processus dont on a pu deviner la direction avec la rencontre entre Zuma et le roi Mohammed VI en novembre dernier à Abidjan, en marge du 5e sommet euro-africain. Je pense que l'on va se diriger vers un plus grand pragmatisme sur cette question pour un meilleur engagement avec le Maroc. Il est probable que l'Union africaine servira de cadre pour ce processus.