Bien que le Maroc ait enregistré une progression maintenue de son PIB, durant la dernière décennie, ses disparités sociales persistent mettant à mal son développement socio-économique et sa stabilité politique. Cette croissance soutenue, doublée d'un relèvement des niveaux de vie ne s'est pas traduite par une avancée considérable en matière de développement humain. L'accentuation des inégalités, un chômage accru des jeunes et l'informalité persistante de plusieurs pans de l'économie... sont autant de facteurs délétères pour sa cohésion sociale. Engendrant deux extrêmes «socio-économiques», ces disparités bloquent l'émergence d'une classe moyenne. Hiérarchiquement intermédiaire, elle constituerait bien le fer de lance de la modernisation et du changement social. Indubitablement, cette classe moyenne est cruciale, tant sur les plans politique, économique que social. L'enrichissement du débat public, l'affermissement du processus démocratique, la dynamisation du secteur économique, l'incarnation d'un outil de promotion sociale sont de véritables leviers qu'elle pourrait actionner. Assurant une position intermédiaire, la classe moyenne est le rempart contrecarrant plusieurs dérives dont le populisme, l'extrémisme, l'atteinte aux fondamentaux et aux acquis démocratiques. En effet, la moitié des classes moyennes du monde (lesquelles constituent environ 1 milliard d'individus) appartiennent à des économies de marché émergentes et à forte croissance. Cette population devrait quadrupler à l'horizon 2030, à 3.9 milliards de personnes. Effectivement, la pression pour une cohésion sociale vigoureuse est le fait d'une classe moyenne en pleine expansion. Ses nouvelles attentes, son désir et sa capacité de s'investir dans la vie citoyenne ou ses aspirations à un mode de vie meilleur sont de puissants moteurs du changement et du renforcement du processus démocratique. Toutefois, «classe moyenne» fait souvent partie de ces appellations sans origine contrôlée ni définition consensuelle. Assurément, «classe moyenne» est un terme ambigu, qui exige une clarification. Si l'on souhaite se référer au plus grand dénominateur commun, la «classe moyenne» représente des individus composant une couche intermédiaire entre une «classe opulente» d'une part et une «classe démunie» de l'autre. En revanche, il est possible de situer d'une façon assez consensuelle les classes moyennes par le biais de trois grandes références complémentaires. Celles-ci relèvent plus de la description que de la définition. Les classes moyennes seraient définies par leur position intermédiaire dans les hiérarchies sociales et professionnelles, ainsi que par des qualifications, par une expertise ou un pouvoir organisationnel moyen. Elles se définissent aussi par un sentiment d'appartenance, moins statique que dynamique, notamment par le fait de rattacher leurs conditions et leurs perceptions à celles d'un groupe social intermédiaire, dans une croyance générale au progrès. Les classes moyennes seraient, aussi, celles dont le niveau de rétribution s'approche, d'une manière cohérente et réaliste, de la «moyenne nationale des revenus». À la lumière de ces critères et compte tenu de la fragilité et de l' «indétermination» de la classe moyenne au Maroc, celle-ci ne pourra parvenir à son plein potentiel de développement qu'à travers une gestion structurelle de lutte contre la pauvreté et une «mobilité socio-économique» garante d'une ascension des classes populaires et moyennes. Le système éducatif, le système de santé, l'accès au logement et le renforcement du pouvoir d'achat en sont les conditions incontournables. Bien que semblant imprécise, la relation entre le développement d'un pays et l'éducation de sa population est incontestable. Améliorer et démocratiser le système éducatif relève dès lors de l'«intérêt national prioritaire». Il n'y a pas d'avènement de classe moyenne sans l'existence d'une école assurant une mission de brassage et d'ascenseur sociaux. Dans de nombreux pays, la construction et la consolidation de la classe ou des classes moyennes se sont faites par l'école, qui a servi de puissant ascenseur social à tous ceux qui, n'ayant pas hérité de fortunes ou de privilèges, aspirent à améliorer leur condition. Comment agir alors sur l'éducation pour qu'elle soit le lieu d'adhésion et de consolidation des acquis démocratiques ? Comment adapter le système éducatif afin de favoriser l'essor d'une classe moyenne ? Comment créer et promouvoir des nouvelles valeurs, des politiques en faveur de la cohésion sociale et la lutte contre les disparités ... Dans ces questions se profile le défi collectif à relever, en dotant le Maroc d'un projet de société équilibré et pérenne, au-delà de toute démagogie ou de rhétorique politique désuète.