Malgré un effort soutenu en matière de scolarisation, l'égalité des chances a peu progressé. S'il est un enseignement à tirer de l'expérience des pays émergents aujourd'hui (notamment de la Chine et de l'Inde), c'est que leur dynamisme économique et leur croissance forte et durable, ils les doivent à l'extrême indépendance de jugement de leurs élites vis-à-vis des grandes modes idéologiques des économistes occidentaux et le refus de s'en remettre aux «lois du marché» qu'elles soient domestiques ou internationales. Pour plusieurs experts en développement, le succès de la croissance indienne surtout, reposera sur son caractère «inclusif» et non sur un tri entre les perdants et les gagnants. A rebours de toutes les orientations technocratiques qui consistent à vouer aux gémonies les préoccupations sociales et humaines, comme étant des chimères idéologiques, assurer la cohésion sociale constitue pour les dirigeants de ce pays un signal fort de l'action politique. Cette expérience est à méditer par le Maroc qui se propose de construire une économie dynamique et une société démocratique, mais qui reste marqué par un processus de stratification inégalitaire et excluant, ayant donné naissance à une polarisation entre deux classes qu'un abîme sépare. En face de 8% de la population nantie, se dressent près de 47% de pauvres dont 5 millions d'exclus (rapport sur le développement humain). Les clivages et les oppositions qu'engendre une telle structure débouchent sur une société «composite» à plusieurs vitesses. Certes, le cliché d'un pays à fortes inégalités et une large fracture réapparaissant souvent dès qu'il s'agit de décrire la réalité sociale du Maroc et, qui était conforté par la politique économique du pays au cours des décennies écoulées, est en passe de changer depuis quelques années. Qu'on veuille bien se pencher sur la réalité depuis quelques années et cette simplicité disparaît. Le système en vigueur a accordé des avantages non négligeables aussi bien à la population pauvre qu'aux classes moyennes. Néanmoins, d'autres sources d'inégalité sont apparues au cours des décennies 1980 et 1990 et ont contribué à rendre la société plus inégalitaire et plus rigide. C'est le cas notamment du système éducatif. Malgré un effort soutenu en matière de scolarisation, l'égalité des chances a peu progressé. On peut même prétendre le contraire. L'école qui doit aider à la croissance économique et à la promotion sociale est aujourd'hui en panne. Elle ne permet pas l'égalité des chances ni le renouvellement des élites sans laquelle la société se sclérose et s'aigrit. La complexité du système scolaire caractérisé par un enseignement à deux vitesses, un enseignement public au rabais pour la masse et un autre de qualité (privé ou dans les missions étrangères) pour l'élite, favorise de véritables délits d'initiés. Redonner sens à l'avenir Cette situation nous ramène sans cesse face à cette difficulté : une société atomisée, crispée sur ses problèmes catégoriels et ses malaises politiques, qui n'écoute plus les élites. Voilà qui augure mal de notre capacité à relever les défis du futur. Comment aboutir à des solutions à la fois raisonnables et acceptables sans créer d'autres mécontents ? Plutôt que d'incriminer l'individualisme et la «perte de repères», mieux vaudrait s'interroger sur les moyens de construire des évaluations et des convictions partagées. Ce qu'il faut en fait, c'est formuler des politiques sur un mode consensuel et se montrer plus sensible aux réactions de la société à travers un débat public destiné à maintenir la confiance. Il importe, par conséquent, de réactiver les espaces de médiation sociale, en particulier le Conseil économique et social (CES). Parallèlement, une profonde refonte des politiques sociales devrait être opérée. Il s'agira, en particulier, de réorganiser profondément le paysage national des acteurs du développement social pour plus de responsabilisation, de convergence et d'efficacité, en capitalisant sur les acquis de l'INDH, de mettre en exécution la réforme progressive du système fiscal et du système de compensation pour davantage d'équité sociale et d'efficacité économique et enfin, d'approfondir et d'accélérer la réforme du système éducatif. On est ainsi conduit à aller au-delà de quelques initiatives ponctuelles ou de quelques projets grandioses, pour proposer enfin une trajectoire collective de nature à déterminer les termes renouvelés d'un contrat social durable, c'est-à-dire producteur de développement économique et pourvoyeur d'équilibre social. C'est donc bien au niveau du tissu social qu'il faut agir. C'est dans ce domaine que la politique retrouvera sa fonction centrale qui est de redonner sens à l'avenir en se conformant à ses exigences. Driss Benali Economiste Consultant