Au moment où certaines ONG s'apprêtent à publier un mémorandum plaidant pour l'équité en matière de droit successoral, des chercheurs universitaires ont été réunis lors d'une journée d'étude sur l'héritage de la femme au Maroc. Economistes, juristes, sociologues, anthropologues et théologues, ils étaient presque tous unanimes sur la nécessité d'une réforme du régime successoral marocain. Figure emblématique du salafisme marocain, Abou Hafs se montre favorable à une suppression de la règle du taasib et à une remise en valeur de la pratique du testament. À la fois délicate et sensible, la question de l'héritage des femmes continue de susciter le débat. La journée d'étude organisée mercredi 10 janvier 2018 à la faculté de Droit à Casablanca a permis de cerner le sujet sous différents angles, avec comme point d'orgue un ouvrage collectif à caractère multidiscipliniare auquel ont pris part des économistes, des juristes, des sociologues, des anthropologues et des théologues. «Heurtant les barricades idéologiques, le sujet de l'héritage va au-delà de la défense des femmes et renvoie à une démarche de fond autour du concept de citoyenneté, voire de notre projet de société. Il interpelle tout notre système social, voire notre rapport au pouvoir et à l'argent», affirme Dr Siham Benchekroun, psychologue et directrice de l'ouvrage collectif. Une société en mutation Dr Benchekroune fait partie de ces voix qui commencent à s'élever contre le dogme établi selon lequel l'héritage serait strictement une affaire religieuse et que seuls les «Foukaha» seraient habilités à la traiter. La seule manière de s'affranchir de ce dogme consiste à l'étudier en faisant appel à l'ensemble des disciplines scientifiques. L'analyse livrée par Fouzi Mourji, professeur d'économétrie à la faculté de Droit de Casablanca, permet de mesurer la répartition inégale des dotations en capital humain (santé et éducation) à la faveur des hommes. La situation de la femme au Maroc, dit-il, demeure assez précaire. Seule l'éducation tend à atténuer et corriger la discrimination qui touche les femmes dans leur positionnement sur le marché du travail. «Chez les sans-diplômes, le salaire des femmes est inférieur de plus du tiers à celui des hommes, alors qu'il s'agit de la catégorie où les femmes vont travailler par nécessité du fait de leur pauvreté», note Mourji. Les femmes, poursuit l'économiste, sont amenées à s'assumer au même titre que les hommes, surtout en situation de divorce ou veuvage. «Les prétendues prises en charge de la famille par les mâles ne sont pas effectives», conclut Mourji. De son côté, Fatiha Daoudi, juriste et docteure en Droit, met l'accent sur le caractère inégal du régime successoral, notamment en matière d'accès au foncier et à la propriété immobilière, illustrant son propos par les deux règles du double et du taasib. «Comment expliquer à la sœur qui subvient aux besoins de son frère chômeur qu'il aura le double de sa part lors du décès des parents ? Comment faire accepter aux héritières sans frère l'impossibilité d'hériter de la totalité des biens laissés par leurs parents et l'intrusion de parents mâles éloignés pour épuiser l'héritage ?», s'interroge Daoudi, sans omettre de rappeler le caractère «discriminatoire» des traditions et coutumes qui écartent ou empêchent les femmes d'accéder à la terre et à la propriété foncière (biens habous, femmes soulaliyates, etc). Daoudi tient également à signaler le «contournement fréquent» des règles successorales, symptomatique selon elle d'un malaise qui doit être pris en compte par les pouvoirs publics. «Un accès égalitaire à la propriété immobilière par voie successorale participera à la lutte contre la précarité économique des femmes, optimisera leur autonomie financière et leur permettra de participer au développement du pays», soutient Daoudi. Jusqu'où irait la réforme ? Les participants à la journée d'étude de la faculté de Droit de Casablanca sont presque unanimes sur la nécessité d'une réforme du régime successoral au Maroc. Une réforme qui fait valoir le principe d'égalité consacré par la Constitution de 2011 et l'esprit des lois internationales ratifiées par le Maroc, notamment la Convention de lutte contre toutes sortes de discrimination envers les femmes (Cedaw). «La mutation profonde de la société (passage d'un mode tribal vers un mode de famille nucléaire) et l'évolution du rôle de la femme (30% des femmes marocaines travaillent hors de leur foyer) justifient de nourrir le débat et d'aller plus loin dans la réflexion sur la question de l'héritage», souligne Hakima Fassi Fihri, professeure de Droit à l'Université internationale de Rabat. Instaurer l'égalité dans le domaine du droit de la famille tout en tenant compte du référentiel religieux, tel est le défi auquel se pose une réforme de ce type. «Les blocages ne sont pas dans le texte religieux, mais plutôt dans les résistances sociales qui apparaissent dès que l'on touche au patrimoine, voire au porte-monnaie», estime Fassi Fihri. La conscience est établie que le combat pour atteindre l'objectif d'une parfaite égalité hommes-femmes sera long et difficile. En s'inspirant du modèle tunisien, lequel a introduit récemment la règle du radd autorisant les filles sans frère à disposer de la totalité de l'héritage, Abdelouahab Rafiki (connu sous le nom d'Abou Hafs), chercheur en études islamiques, propose de commencer par attaquer les incohérences qui revêtent à ses yeux un caractère prioritaire. Figure emblématique du salafisme marocain, Abou Hafs se montre favorable à la suppression de la règle du taassib et à une révision des dispositions encadrant le testament. Youssef Kellam, docteur en Religions comparées à Dar El Hadith El Hassania, recommande, quant à lui, d'instituer le recours obligatoire à la justice pour statuer sur les affaires d'héritage. Le débat reste ouvert.