S'il y a une chose que Abdelilah Benkirane devrait commencer à apprendre, c'est comment nouer une cravate ! Un exercice qu'il avoue n'être pas son fort mais auquel il devrait se soumettre à l'image des nouveaux habits qu'il doit désormais enfiler, ceux de premier chef de gouvernement de l'histoire du Maroc. Le secrétaire général du Parti justice et développement (PJD), dont la formation est arrivé en tête des dernières législatives avec 107 sièges, a été en effet confirmé hier par le roi Mohammed VI qui l'a reçu à Midelt, à ce titre. Une décision loin d'être surprenante, mais qui traduit un message clair : l'esprit démocratique qui entoure la nouvelle Constitution sera respecté jusqu'au bout. Car, si la Constitution dispose que le chef du gouvernement devrait être nommé parmi les membres du parti arrivé en tête des élections législatives, aucune autre disposition ne lie le souverain à désigner le chef du parti à ce poste. En entérinant Abdelilah Benkirane comme successeur de Abbas El Fassi, le roi a ainsi respecté la logique démocratique qui veut que la direction d'un cabinet doive échoir au dirigeant ayant conduit son parti en tête du scrutin, surtout dans un contexte de renouveau démocratique et institutionnel qui impose au chef de gouvernement d'être responsable de ses actions et de rendre compte au peuple et à ses représentants. Un immense défi, donc, pour Abdelilah Benkirane, qui doit désormais endosser ses nouvelles responsabilités qui feront de lui l'une des personnalités les plus visibles de l'Exécutif. Surtout que les défis ne manquent pas et au titre desquels la formation d'une solide coalition capable de soutenir l'action gouvernementale afin que les engagements électoraux pris soient concrétisés. Entrée en matière solide L'euphorie de la victoire passée, le nouveau chef de gouvernement n'aura pas, lui, le temps de savourer sa consécration. Premier baptême du feu, la formation d'une coalition gouvernementale. Une étape cruciale qui devrait déterminer la conduite de la gestion de la prochaine législature et qui ne s'annonce pas facile, en dépit des 107 sièges, soit le tiers du Parlement, glanés par le parti de la lampe. Le premier défi sera donc de s'assurer une majorité confortable et solide qui devra servir de garantie pour le gouvernement, face à une opposition parlementaire en construction, certes, mais qui risque de s'avérer politiquement très agressive au vu de la fracture entre certains de ses membres qui se sont déjà déclarés, en l'occurrence le PAM. Le deuxième défi à relever par Benkirane sera celui de la formation d'un gouvernement fort, avec les profils adéquats pour porter la dynamique de réformes sociopolitiques et économiques engagée. Ce qui suppose, d'abord, une convergence des programmes entre les partis de la future coalition devant servir de base à la déclaration de la politique du gouvernement, qui sera la première confrontation entre l'Exécutif et le Législatif. Et pour réussir cette étape, il faut reconnaître que le chef de gouvernement ne dispose pas de beaucoup de temps, au vu des dossiers importants «pris en otage» par cette parenthèse politique, au premier rang desquels la loi de finances 2012. Les prochains jours seront donc, assurément, scrutés par l'opinion en attente de signes forst et, s'il y aura une personnalité qui sera sous les feux des projecteurs, c'est évidemment celle du chef de gouvernement, qui devra faire preuve de beaucoup de talent pour entamer et conclure efficacement les négociations dans la perspective de la formation de la nouvelle équipe gouvernementale. Parcours atypique Agé de 57 ans, celui qui occupait jusque-là le poste de secrétaire général du PJD et siégeait au niveau du Parlement depuis 1997 au titre de la circonscription de Salé est un vieux routier de la politique qui pourrait compenser un CV que n'envierait aucun préposé à l'ANAPEC (il est néanmoins titulaire d'un diplôme de l'Ecole normale supérieure et d'une licence en sciences physiques). Une expérience entamée, d'abord, au sein de la «Chabiba Islamiya» en 1976 et suite à laquelle il fonde, en 1981, son propre mouvement, «Al Jamaâ Al Islamiya», qui change de nom en 1992, pour prendre celui, plus crédible à l'époque, de «Réforme et renouveau». Après une première incursion sur la scène politique à travers la tentative de création d'un parti politique dont l'autorisation sera refusée par les autorités, Benkirane effectue un bref passage au sein de l'Istiqlal avant de rejoindre le MPDC de Abdelkrim Al Khatib, grace auquel il accède pour la première fois au Parlement. C'est avec la création de la «Ligue de l'avenir islamique» qui regroupait un certain nombre d'associations régionales implantées à Fès ou Rabat que naîtra, par la suite, le Mouvement de l'unicité et de la réforme (MUR), dont il assure la présidence en 1985, le noyau idéologique du Parti de la Justice et du développement porté sur les fonds baptismaux en 1998 par «absorption» du MUR et du MPDC. Abdelilah Benkirane accède à la tête du conseil national du Parti en 2004, période durant laquelle le secrétariat général du parti était assuré par Saâd Eddine El Othmani à qui il finira par succéder, quatre années plus tard, lors d'élections internes qui l'avaient vu arriver en tête avec 684 voix devant son prédécesseur (495 voix) et Abdellah Baha qui n'avait récolté que 14 voix. Une expérience assez enrichie, certes, même si l'intéressé pâtit de certains défauts qui écorchent son image de leader. Mais depuis son accession à la tête du PJD, il s'est engagé dans une sorte de reconversion qui lui a valu de redevenir fréquentable et d'apaiser les inquiétudes manifestées contre son parti, qualifié de «parti islamiste». C'est, en effet, un peu grâce à lui que le PJD a réussi cette conversion, au point de se comparer à l'AKP turc, duquel d'ailleurs le parti de la lampe semble proche. Preuve de la nouvelle image que le parti et son secrétaire général veulent prôner, Benkirane a été élu «deuxième personnalité préférée des Marocains en 2010», d'après un sondage effectué en décembre 2010 auprès des auditeurs par la radio Aswat. De quoi entamer une nouvelle expérience qui nécessitera plus d'efforts de séduction, non seulement auprès des Marocains mais aussi et surtout des partenaires internationaux.