Aujourd'hui encore, quand on entre dans un bureau de poste ou dans une administration publique, il est rare d'y trouver des panneaux de signalisation, indiquant clairement les différents services ou la direction des lieux que les citoyens cherchent. Perdu et ne sachant vers quel bureau se diriger, le citoyen s'adresse bien souvent à un autre citoyen qui est passé par la même errance et a acquis une sorte de connaissance des lieux. Il aurait été bien plus logique de s'adresser à un fonctionnaire pour avoir l'information. Quelquefois, le citoyen y est contraint, mais il ne recourt à cette solution extrême que quand aucune autre alternative ne subsiste, car il y a toujours un risque à déranger un fonctionnaire. Il se peut qu'il ne soit pas dans de si bonnes dispositions et sa réponse risque pour cette raison d'être déplaisante. Nous sommes ainsi condamnés à une sorte de vagabondage partout où nous allons. Nous naviguons à l'aveuglette, au gré des questionnements incessants pour trouver les rues sans plaques, les bus sans numéro. Les espaces nous contraignent à instaurer une communication avec les gens pour combler la déficience de la signalisation.Si nos espaces publics sont «aveugles» et sans indications, c'est pour une raison évidente : les Marocains sont en majorité des analphabètes. Pour être justes, il l'étaient davantage il y a quelques décennies, mais l'administration ne change pas aussi promptement de point de vue. Elle continue donc à nous traiter de la sorte. Il y a certainement dans ce désintérêt pour la signalisation, un mépris pour la communication et pour le citoyen. Cette perception des Marocains comme d'éternels mineurs qui ne savent pas où aller, et ne sont pas capables de s'orienter seuls, touche pratiquement à tous les domaines. Cependant, c'est certainement au niveau politique que cette mise sous tutelle est la plus désolante. Peut-être les choses sont-elles en train de changer ? Notre pays se réveille avec une nouvelle configuration politique. Un nouveau paysage qui réjouit certains et en désole d'autres. Quoi de plus normal? C'est probablement la première des réalisations du printemps marocain. Non pas le fait qu'un parti islamiste arrive au pouvoir, mais qu'on puisse être d'accord ou contre un parti au pouvoir et de se dire que, demain, on pourra contribuer à changer les choses. Qu'une partie de nos citoyens aient fait un choix en toute conscience et qu'une autre pense que c'était le pire des choix, nous fait entrer dans la «majorité» politique. Nous espérons que désormais plus personne ne nous prendra par la main pour nous guider dans un milieu qu'on considérait dangereux pour nous, «simples» citoyens. Les panneaux sont désormais posés et ils ont gagné en clarté pour que les Marocains, en adultes responsables, puissent choisir leur chemin en leur âme et conscience. Le peuple ne se trompe pas, ce sont les politiques que ne savent pas le convaincre. Il y a une merveilleuse publicité pour une lessive qui incite les parents à laisser leurs enfants se salir parce que c'est ainsi qu'ils évoluent. La lessive promet de se charger du reste. Les citoyens expérimentent pendant cinq ans une voie. Si au bout il se rendent compte que c'est un cul-de-sac, ils rebroussent le chemin et prennent une autre direction. Ils auraient appris entre temps à mieux connaître les lieux. Ce ne sont pas cinq ans de perdus. Cela paraît simple et banal dans un pays démocratique, mais nous n'y sommes pas encore habitués. Notre paysage politique était peuplé de personnes qui avaient pris en otage la politique. Ils rassuraient tout citoyen téméraire ou idéaliste qui s'aventurait dans cet espace sans contour et sans indications et le reconduisaient gentiment jusqu'à la porte et en lui tapotant amicalement le dos: «Soyez rassuré, nous veillons sur vous». Ils avaient décidé que les Marocains n'étaient pas suffisamment conscients pour faire les bons choix. Ils avaient décrété que l'intérêt du pays était trop noble pour le laisser entre les mains de «plébéiens». Le regard dédaigneux et hautain que ces «politiciens» jetaient sur le peuple, seyait parfaitement avec une démocratie de façade. Toute autre configuration serait dangereuse pour le pays. Des partis «irréguliers» et des citoyens facilement pétrissables, voilà le grand danger. Mais il n'y a qu'une seule démocratie. Celle qui considère le peuple souverain et travaille à l'instruire au lieu de le marginaliser. C'est formidable de constater qu'il existe désormais des alliances «impossibles», pour cause d'incompatibilité des programmes. Nous sommes autant rassurés par une majorité qui émane des urnes que par une opposition que nous savons capable de gouverner demain. Nous espérons qu'elle profitera de cette législature pour convaincre les Marocains qu'avec elle le Maroc sera encore meilleur. Les véritables gagnants dans cette configuration sont le citoyen et le pays.