Le Sénégal est un pays très prisé par les investisseurs marocains. Une présence globalement bien perçue par le secteur privé local, malgré quelques critiques exprimées en privé. D'abord concentrés dans le secteur financier (banque, assurances), les investissements marocains au Sénégal se sont diversifiés ces dernières années, s'élargissant à d'autres domaines comme l'énergie, les BTP ou l'agriculture. Les deux pays ont conclu, à ce jour, plus d'une centaine d'accords et de conventions touchant différents secteurs. Le Sénégal reste la première destination des investissements marocains en Afrique. Cette forte présence marocaine est diversement appréciée par les opérateurs économiques sénégalais. Partisans «Les investisseurs marocains sont là pour développer l'économie. Les secteurs dans lesquels ils investissent étaient traditionnellement contrôlés par des étrangers, notamment les Français. Même les établissements bancaires repris par les Marocains (Crédit du Sénégal, CBAO) ont été rachetés à des investisseurs français ou d'origine française. Les Marocains n'ont donc pas pris la place du secteur privé local», relève Aboubacry Thiam, qui porte la double casquette d'entrepreneur et de président de l'Amicale des anciens étudiants et stagiaires sénégalais au Maroc (Amesma). Un point de vue partagé par Ousmane Sy Ndiaye, secrétaire permanent de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois/Jappo), estimant qu'il est souhaitable de voir des Africains (Marocains) contrôler le secteur bancaire sénégalais en lieu et place «d'intérêts étrangers sur lesquels nous avons très peu de prise». Concurrence Le défi pour le privé sénégalais, selon Aboubacry Thiam, consiste à se battre pour être au niveau de la concurrence, avec des produits très compétitifs en termes de rapport qualité/prix. «On doit se regarder dans la glace et faire comme eux. Il faut que nos entreprises travaillent à être compétitives, et cela ne peut dépasser le cadre de la qualité. Si les entrepreneurs sénégalais arrivent à fournir des produits de qualité à leurs consommateurs, il n'y a pas de raison que ces derniers aillent les chercher ailleurs», estime le président de l'Amesma. Du côté des autorités politiques, on estime qu'il «ne faut pas avoir peur du Maroc». Dans un entretien accordé à la presse sénégalaise, en marge de la 5e édition du Forum international Afrique développement (FIAD) de Casablanca, Birima Mangara, le ministre sénégalais chargé du Budget, expliquait que les entreprises sénégalaises doivent «remplir les conditions de compétitivité, être aux normes et être offensives». Détracteurs Toutefois, ces points de vue sont très loin de faire l'unanimité. En effet, cette posture du «diplomatiquement correct» agace certains hommes d'affaires sénégalais. «Qu'on ne vienne pas nous dire que nous avons peur de la concurrence. La compétitivité, c'est un environnement, une addition de plusieurs facteurs qui nous font défaut», estime un membre d'une des principales branches du patronat sénégalais. Du reste, l'Etat et le secteur privé s'opposent régulièrement sur la définition de la «préférence nationale». Babacar Diagne Président du Conseil des entreprises du Sénégal (CDES) Les Inspirations ECO : Comment percevez- vous la présence des Marocains dans l'activité économique au Sénégal ? Babacar Diagne : La présence des Marocains dans l'économie nationale est à saluer. Ils occupent aujourd'hui une place importante dans presque tous les secteurs d'activité de l'économie nationale. Mais le seul souci, c'est que les très petites entreprises (TPE) ne sont pas prises en compte dans leurs stratégies d'implantation. Souvent, on voit que ce sont seulement de grandes entreprises qui sont sur le marché. Il serait très important de prendre en considération les PME qui jouent un rôle essentiel dans l'économie du Sénégal. Elles méritent plus d'attention de la part des Marocains qui font du business au Sénégal. Quelle démarche, alors, pour une meilleure promotion des TPE dans le business marocain au Sénégal ? Avec Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises, nous voulons profiter des Assises des TPE-PME, prévues les 25 et 26 octobre prochains, pour signer une convention de partenariat dans le but de mettre en place la Confédération panafricaine des TPE-PME. En matière d'affaires, comment le Sénégal peut-il s'inspirer du Maroc ? Dans certains secteurs, le Maroc a connu des succès. Et c'est une occasion pour nous de nous inspirer de ces expériences réussies. Par une démarche de benchmarking, le Sénégal peut tirer profit de cette présence marocaine. Le Maroc, une solution ou un problème ? En dépit de quelques inquiétudes çà et là, beaucoup d'hommes d'affaires que nous avons interrogés estiment que la présence marocaine peut être bénéfique à l'économie locale, notamment en termes de transfert de technologies et de partage d'expériences via des joint-ventures. «Je suis pour la coopération Sud-Sud. Dans un monde globalisé, le partenariat est la voie de l'avenir», estime Aboubacry Thiam. Même son de cloche de la part de Mohamed Lahlou, président du Club des investisseurs marocains au Sénégal (CIMAS). Selon lui, chacun pourrait profiter de l'expérience de l'autre. «Le Maroc a besoin des ressources de l'Afrique de l'Ouest qui, à son tour, a beaucoup à recevoir du savoir-faire du Maroc». L'expertise du Maroc peut être très utile au Sénégal dans sa quête d'une nouvelle stratégie industrielle, reconnaît Ousmane Sy Ndiaye, de l'Unacois/Jappo. Il perçoit le Maroc comme «une solution, pas un problème».