Les opérateurs économiques sénégalais ne parlent pas le même langage quant à une éventuelle adhésion du Maroc à la CEDEAO. Si certains y voient une «opportunité», d'autres craignent une «concurrence déséquilibrée» en faveur des entreprises marocaines. La demande d'adhésion du Maroc à la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est diversement appréciée dans les cercles d'affaires sénégalais. Au nom du principe d'intégration africaine – pour beaucoup d'analystes, la balkanisation du continent est l'une des explications de son retard économique et de l'émergence d'économies d'échelle – presque tout le monde salue l'initiative marocaine. Des membres du patronat sénégalais ne cachent d'ailleurs pas leur admiration concernant les nombreux efforts de la diplomatie marocaine (à sa tête le roi) pour nouer des partenariats économiques entre le Maroc et les pays de la sous-région. «Cela participe à renforcer, enrichir et diversifier les capacités de notre région», se félicite Ousmane Sy Ndiaye, secrétaire permanent de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (UNACOIS/Jappo). Dans la mesure où le Maroc est déjà un partenaire de l'Union européenne, il estime que cette éventuelle adhésion ouvrirait de «belles perspectives économiques et commerciales» pour la CEDEAO qui, elle-même, négocie actuellement un Accord de partenariat économique (APE) avec l'Europe. Concurrence En revanche, d'autres membres du patronat sénégalais s'interrogent sur les conséquences d'une adhésion marocaine, même s'ils estiment que cette demande d'adhésion du Maroc à la CEDEAO n'est que la suite logique de la diplomatie économique «très agressive» qu'il a menée ces dernières années avec, à la clé, la signature de beaucoup d'accords commerciaux avec l'ensemble des pays de l'UEMOA. Ils craignent un face-à-face qui risque d'être «fatal» aux petits producteurs locaux, notamment dans le domaine agricole. «Si le Maroc adhère à la CEDEAO, il va bénéficier de tous les avantages octroyés aux autres pays membres et cela risque de créer beaucoup de dégâts. Avec l'écosystème dont elles bénéficient, les entreprises marocaines ont une capacité concurrentielle largement supérieure à celle de nos Etats», nous explique un membre important du patronat sénégalais, estimant que s'il faut envisager cette adhésion, il faudrait y aller «par palier». Il faut rappeler que par le passé, le Maroc a essayé de négocier des clauses de partenariat avec les pays de l'UEMOA, sans que cela n'aboutisse. Reste à savoir si la donne a réellement changé. Ousmane Sy Ndiaye Secrétaire permanent de l'UNACOIS Les Inspirations ECO : Pensez-vous qu'une intégration du Maroc à la CEDEAO sera «gagnant-gagnant» ? Ousmane Sy Ndiaye : Absolument. Cela peut être largement bénéfique aux Etats-membres de la CEDEAO, notamment sur le plan financier, parce que le Maroc est le canal par lequel passent beaucoup de capitaux provenant du Moyen-Orient. Il faut aussi regarder la position du Maroc dans le secteur bancaire de nos pays. Il est souhaitable que des Africains (et éventuellement un pays membre de la CEDEAO) contrôlent notre secteur bancaire en lieu et place d'intérêts étrangers sur lesquels nous avons très peu de prise. En termes de formation et de transferts de technologies, le Maroc peut aussi beaucoup apporter à la région. Donc, à tout point de vue, l'intégration du Maroc à la CEDEAO serait une excellente chose. Ne partagez-vous donc pas l'opinion de ceux qui accusent le Maroc de vouloir se servir de la CEDEAO pour ses ambitions «hégémoniques» ? Mais cela devrait être la fierté des Africains! Pourquoi en vouloir au Maroc d'être ambitieux? Qu'est-ce qui nous empêche, nous autres, d'être ambitieux? En ayant cette volonté «hégémonique» d'avoir un marché de plus de 310 millions de consommateurs, le Maroc veut se donner les moyens d'asseoir son leadership. Faisant en sorte que ce leadership et ces échanges ne soient pas à sens unique. Il ne faut pas avoir peur du Maroc. Je perçois le Maroc comme une solution, pas un problème. Que peuvent gagner les pays de la CEDEAO dans cette affaire ? L'expertise industrielle du Maroc peut être très utile aux 15 Etats de la CEDEAO qui n'ont quasiment pas de structures industrielles. Si on a pu faire de la place à des filiales occidentales, pourquoi pas à des Africains ? L'obstacle géographique battu en brèche D'après Mamadou Moustapha Diop, docteur en droit public, un Etat peut intégrer la CEDEAO sans appartenir géographiquement à la zone ouest-africaine. «L'intégration régionale est sous-tendue par une logique économique qui n'est pas forcément géographique», insiste-t-il. Il rappelle que le Maroc avait déjà une proximité avec la CEDEAO à travers l'intervention du royaume dans certaines affaires comme la résolution de crises politiques en Afrique de l'Ouest. Selon lui, l'intégration est en elle-même un phénomène de relations internationales résultant d'un besoin de solidarité et de prise en charge commune de situation d'ensemble. Sur le souhait du Maroc de rejoindre la CEDEAO, le spécialiste en droit public estime qu'il n'y a rien de surprenant car, justifie-t-il, chaque pays a le droit de demander à adhérer à une communauté d'intégration quelconque. Mieux, soutient-il, le royaume chérifien compte près de 34 millions d'habitant, ce qui constitue, selon lui, un grand marché pour les 15 autres pays membres de la CEDEAO.