À la question de savoir si les jeunes d'aujourd'hui sont plus ou moins politisés ou engagés, il est délicat d'apporter une réponse univoque et simple. Toute génération reprend en partie les usages de la citoyenneté et les modes de participation politique de celles qui l'ont précédée. Elle les recompose et les réinvente incessamment. L'engagement politique des jeunes se construit et prend forme à partir d'une double dynamique : celle de l'héritage et de l'expérimentation. Il s'inscrit dans l'interaction que toute génération opère, d'une part, avec la culture politique dont elle hérite, et d'autre part, avec les spécificités de la conjoncture qu'elle vit. C'est dans cette dynamique que la politisation des jeunes s'effectue et doit être analysée. Dans un climat de brouillage des grands marqueurs idéologiques, la socialisation se fait à travers l'«expérimentation individuelle». Toutefois, cette expérimentation des jeunes ne signifie aucunement leur désintérêt total du politique. De plus, il faut bien différencier entre l'engagement politique (acteur de changement de la société) et l'engagement dans un parti. Nous sommes souvent prisonniers d'une conception qui privilégie, voire réduit, l'engagement à celui politique et, de façon déjà plus accessoire, à celui syndical, associatif... au détriment d'autres formes d'engagement. D'ailleurs, le désinvestissement politique au Maroc ne touche pas que les jeunes et il est le fait de plusieurs déductions dont le rapport historique à la politique et à la citoyenneté. S'y ajoutent la crise du lien social et ce délitement du «vivre ensemble» provoquant un désinvestissement de la sphère publique et de l'action collective. D'autre part, la montée des inégalités accroît la démobilisation et provoque «fatalement le décrochage» d'une partie de la population du vote et de l'implication citoyenne, pourtant indispensables. Même s'ils maintiennent une distance, voire nourrissent une certaine méfiance, envers les hommes et les institutions politiques, les jeunes sont loin de déserter complètement la sphère sociale. Leur activisme perdure et demeure vigilant. Cependant, ce qui a changé, c'est le contenu de leur engagement dans un monde de plus en plus complexe et face à des perspectives incertaines. Aussi, leur engagement politique est-il plus expérimental, suppose-t-il un mode de participation plus axé sur des actions ponctuelles et ciblées. La mobilisation ardente et persévérante des jeunes, lors du printemps arabe, en est une preuve irréfutable. À l'écart d'un système de reconnaissance démocratique, ces jeunes ont déployé des stratégies d'évitement, avec les institutions traditionnelles, pour agir différemment, renforçant du coup une perception plus déterminée de leur situation et de leurs revendications. La défiance à l'égard du politique est aussi une forme de rejet d'une classe dirigeante qui brigue tous les postes, toutes les instances de décision, toutes les connivences afin de se maintenir dans les sphères du pouvoir (politiques, économiques, médiatiques, culturelles). Cette défiance entraîne la «diabolisation du pouvoir politique» considéré comme extérieur à la société, sans tenter souvent de lui apporter des modifications. Dans une telle situation de «verrouillage politique», s'instaure la volonté de parasiter le pouvoir. L'objectif n'est plus d'agir pour le rendre viable, mais d'en chercher inlassablement la faille. Cette démarche qualifiée d'antipolitique parce que poussée à l'extrême débouche sur une forme de populisme, qui présente un grand danger pour la démocratie. Elle opère hors des sphères démocratiques, comme une opinion publique qui n'aurait pas besoin d'assumer, concrètement, ses critiques et ses propositions en se maintenant dans un rejet têtu du système. Re-politiser qualitativement les citoyens amène à la conviction démocratique de renouer avec la volonté de construire patiemment une société commune. Pour y parvenir, les visions politiques doivent contenir le projet d'une société égalitaire pour et par tous, tout en incarnant une dimension cognitive, c'est-à-dire créatrice de sens et incitant les citoyens à élaborer des buts communs. Il est indispensable pour cela de travailler la «représentation» que le Maroc se fait de lui-même par une co-élaboration de la vision politique et de la prise de conscience des Marocains de leur rôle dans la construction de cette représentation. Limiter la critique à la remise en cause et à la dénonciation du pouvoir en place, sans en faire le lieu d'analyses pertinentes, de contre-propositions adaptées, d'expérimentations innovantes, d'alternatives concrètes, c'est rester garant de l'impuissance politique et de la controverse. Les accords et divergences entre les élus, ceux des citoyens avec les solutions préconisées par leurs représentants se doivent d'être pris en compte et incarnent l'essence même du travail démocratique. Traiter et faire évoluer ces accords et désaccords est la substance de la construction d'un corps social politiquement responsable. Certes, la dépolitisation des jeunes est d'autant plus dommageable que c'est la jeunesse qui a la plus grande capacité créatrice, et donc la plus grande capacité à aller vers une recherche du mieux. Aux responsables politiques, il appartient de s'intéresser à cette question. Aux médias également. Ils ont tous une responsabilité dans la manière dont ils agissent et dont ils interagissent avec les forces entreprenantes et agissantes. S'il est illusoire d'envisager une quelconque possibilité de contrainte à la mobilisation politique, il est en revanche nécessaire et urgent d'y voir la condition de cohésion et d'avancée de tout un peuple vers le progrès.