Que ce soit au Maroc ou en France, il y a un sentiment général que les grandes entreprises sont plus visitées par les inspecteurs de l'administration fiscale. La France et le Canada représentent des exemples où le contrôle fiscal est moins toléré que sous d'autres cieux. Le contrôle fiscal est très souvent vécu par l'entreprise comme un stress dont elle se serait passée volontier. À plus forte raison qu'il y a un sentiment que ce sont toujours les mêmes qui reçoivent les visites des inspecteurs de la Direction générale des impôts. S'ajoute à cela, le déficit en matière de confiance mutuelle y compris celui de l'entreprise dans les recours que la loi lui octroie pourtant. C'est la raison pour laquelle, souvent les contrôles fiscaux débouchent sur un accord à l'amiable. Peu ou prou d'entreprises, du moins au Maroc, investissent les tribunaux pour contester une sanction jugée abusive ou mal motivée. Le sujet a fait l'objet d'une conférence-débat, organisée samedi dernier à Rabat, par la Trésorerie générale du royaume et l'Association pour la Fondation internationales de finances publiques (Fondafip) avec le soutien de la Revue française de finances publiques. Les deux expériences marocaine et française ont été mises en exergue révélant des similarités, mais aussi quelques différences de taille. Depuis le 1er janvier 2017, le Maroc a introduit la déclaration électronique obligatoire. La DGI est désormais très à cheval quant à la dématérialisation de ses services et procédures. Elle a ouvert la possibilité du paiement multicanal des impôts (TVA, IS et IR) aux entreprises. C'est un pas en avant vers la transparence et l'instauration d'un climat de confiance entre contribuable et administration fiscale. Toutefois, hormis cette avancée à l'air du temps, l'entreprise n'accepte toujours pas de subir le contrôle fiscal, de l'avis même de Noureddine Bensouda. Le trésorier du royaume s'en réfère à un rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2012 qui a conclu que l'administration est en situation de suspicion vis-à-vis du contribuable, tandis que les entreprises estiment que l'administration fiscale a un pouvoir, parfois démesuré, d'interprétation des textes. Dans ce sens, sa fonction est vue comme ambivalente entre service public et récession. Résultat, pour sa déclaration fiscale, l'entreprise recourt presque exclusivement à un expert comptable qu'à un agent fiscal. Pour rétablir une relation saine, l'administration fiscale doit s'intéresser plus à l'aspect dissuasif tout en élargissant son champ d'intervention au lieu d'aller toujours vers les mêmes. Car pour lutter contre la dissimulation de recettes, les fausses factures et les paradis fiscaux, le contrôle seul ne saurait être efficace dans la mesure où en matière de fraude, l'imagination humaine n'a pas de limite. D'autant plus que l'avenir est pour les entreprises numériques qui sont imbattables en optimisation fiscale, trouvant toujours un interstice dans la loi pour éviter la pleine déclaration. En France, la situation n'est pas meilleure non plus. Et il n'y a pas mieux qu'un exemple vivant pour en témoigner. Bernard Bacci, directeur fiscal à Vivendi, est le mieux placé pour parler au nom de l'entreprise multinationale dans un environnement hyper-fiscalisé. Bacci, à l'image de la plupart des patrons et responsables fiscaux ses grandes entreprises en France, se plaignent de l'aspect punitif et coercitif du contrôle fiscal. «Les sanctions sont sévères et peuvent atteindre jusqu'à 10% du chiffre d'affaires. Et comme corollaire à la baisse des recettes fiscales, la suspicion est devenue très forte», a-t-il révélé. En effet, la situation au Maroc n'est donc pas la pure si on la compare avec ce qui est en vigueur dans l'espace européen où entre Etats de l'UE, la déclaration des prix de transferts fait souvent l'objet de mécontentement parmi les hommes d'affaires. Avec l'inflation des contrôles en amont, le responsable s'interroge même sur la légitimité du contrôle fiscal. La situation est encore plus contraignante pour les gros comptes au Canada. Dans ce pays fédéralisé, les prix de transfert entre provinces sont appliqués avec des spécificités légales pour chaque canton. S'adressant à l'assistance, Bacci a lâché : «Rassurez-vous, vous n'êtes pas dans la mauvaise catégorie». Pour Mohamed Hdid, président de la Commission fiscale de la Chambre de commerce internationale au Maroc, il reste quand même des améliorations à apporter. En effet, lorsque le contrôle fiscal débouche sur des irrégularités, l'administration fiscale s'accroche souvent mordicus à la totalité des redressements. L'entreprise peut toujours présenter ses documents rectificatifs, l'impact sur la décision finale est peu ou prou probant. Un dialogue de sourds s'installe alors pouvant durer des années avec tous les désagréments subis de part et d'autre. Fiscalité pour le 21e siècle Dans son intervention, Michel Bouvier, président de Fondafip, a souligné que le contrôle fiscal est crucial, mais souvent considéré comme paradoxal. Certes, explique-t-il, l'évasion fiscale non combattue, est préjudiciable à la légitimité même de l'impôt, avant de conclure que le contrôle deviendra impersonnel avec l'autorisation et donc mieux accepté. Il a surtout critiqué un système fiscal qui reste enfermé dans les espaces nationaux alors que l'économie est de plus en plus mondialisée et que les ressources fiscales diminuent. L'on constate, effectivement à une échelle mondiale, une érosion sans précédent de l'assiette fiscale. Depuis plus d'un an, Fondafip se penche sur cet aspect lié à la territorialisation du contrôle fiscal. Et Bouvier de conclure qu'il est urgent d'inventer une fiscalité pour le 21e siècle.