La 16e édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM) a démarré, vendredi dernier, sur les chapeaux de roues, avec un film poignant celui du génie coréen Kim Jee-Woon : «The age of shadows». Tapis rouge pour de bons films et un jury touchant d'humilité et de simplicité. Le Festival international du film de Marrakech fête ses 16 printemps en optant pour une édition pointue, profonde et vraie. Peu de «stars» ont foulé le tapis rouge puisque tous les flashs étaient rivés sur le meilleur du cinéma. «Je déclare ouverte la 16e édition du Festival international du film de Marrakech», a lancé Bela Tarr, président du jury. Une phrase qui a été reprise résonné dans toutes les langues, vendredi dernier, au Palais des congrès de Marrakech. L'œil d'un jury soudé dans l'excellence Pour les cinéphiles, le jury de la 16e édition du FIFM est un ravissement et une bénédiction. Cette année, l'évènement a décidé de rassembler quatre réalisateurs écorchés vifs venus de quatre univers différents mais qui ont su redéfinir, chacun de leur façon, les codes du cinéma. Qu'ils s'agissent de «Jauja» ou «Los muertos», «Zappa» ou «The best intentions», «L'humanité» ou «La vie de Jésus» ou encore «Le cheval de Turin» ou «Le Tango de Satan», Lisandro Alonzo, Bille August, Bruno Dumont ou Béla Tarr, les films de ces artistes sont plus des expériences à vivre que de simples images à regarder défiler. À quel point leur façon de créer des films de qualité influence leur jugement ou leur capacité à juger un autre film ? , explique le président du Jury Béla Tarr avant de laisser la parole à l'Argentin Lisandro Alonzo, qui trouve que «le cinéma est un prétexte pour découvrir des lieux nouveaux et des êtres nouveaux, d'une autre vie». L'actrice marocaine et magnétique Raouia va dans le même sens que son confrère en affirmant que, pour elle, le cinéma est un voyage vers ce qu'elle aime, «de la magie halal». Les acteurs sont censés porter un regard différent selon qu'ils sont concentrés sur le jeu d'acteur ou complètement détachés de ce qu'ils sont. La technique de l'Australien habitué des studios hollywoodiens, Jason Clarks, est pourtant claire : il s'agit de se laisser aller à l'histoire et au film . «Pour me ressourcer ou sortir de ce quotidien souvent difficile des attentes de castings ou des réponses, je regarde des films en oubliant de me concentrer sur la mise en scène ou le jeu d'acteur. Parfois même, je coupe le son, pour m'imprégner de l'image de très grands films», continue ce dernier qui s'apprête à visionner 14 films en compétition venus du monde entier, à l'aide d'une équipe de choc, bien déterminée à voyager et à découvrir d'autres cultures, d'autres univers, d'autres cieux. Des films poignants Ce qui est certain, c'est que ce premier week-end du FIFM a donné le ton à une édition forte et qui assume la dureté du cinéma d'auteur. Vendredi, c'est le génie du cinéma coréen qui a donné le ton au festival avec un film sur l'occupation japonaise en Corée en utilisant l'angle de l'espionnage. Un film bluffant, un bijou du genre à la fois prenant, décapant, dur et violent. Parce que Kim Jee-Woon ne fait jamais semblant ou les choses à moitié, comme il l'a démontré dans «Assassination», «The Tiger» ou encore «The Last Princess», il plante le décor dès les premières minutes de «The age of shadows» avec des mouvements d'appareils incroyables et une scène de poursuite vue des toits qui laisse sans voix. Le réalisateur et directeur de la photographie se permet des changements de rythmes, une succession de plans improbables sans que le spectateur ne se sente perdu, tout en offrant de l'image tel un distributeur du beau. Un film dur et trash avec des scènes de torture dont on ne sort pas indemne, qui jongle entre le divertissement populaire avec des scènes d'action et des scènes plus graves dignes des plus grands films d'auteur où l'esthétique est le maître-mot. Un film qui frise le parfait sublimé par le jeu de ses acteurs, à l'image d'un Um Tae-Goo convaincant dans le rôle du méchant, le charisme et la justesse de Gong Yoo en résistant jusqu'au bout des ongles, et la force magnétique du policier tiraillé entre résistance et collaboration : l'excellent Song Kang-ho. Un film sélectionné pour représenter le Corée dans la catégorie «Films étrangers» aux Oscars. Samedi, une autre expérience cinématographique attendait le public. Avant de découvrir le dernier film de Romain Duris : «Cessez-le-feu», réalisé par Emmanuel Courcol, les festivaliers ont eu droit à un hommage émouvant à Abbas Kiarostami, décédé en juillet dernier, par son fils Ahmed, en redécouvrant les poèmes et les images qui ont fait de lui le génie qu'il était. Une émotion qui restera vive toute la soirée puisque le réalisateur Emmanuel Courcol, qui signe avec «Cessez-le-feu» son premier film, est troublant d'intensité. Ledit réalisateur raconte l'après-guerre et prend la guerre de 14-18 pour prétexte afin de raconter toutes les guerres. Romain Duris nous donne une leçon de vie et montre comment sortir des souvenirs de l'horreur, comment survivre alors que l'on a côtoyé la mort ? L'acteur n'incarne pas le personnage, il le vit comme à son accoutumée. Histoire bien ficelée, aux allures romantiques et optimiste malgré l'horreur et la gravité de la situation, au service de beaux plans et de belles images, une caméra amoureuse de ses acteurs qui la sublime, à l'image de la belle Céline Sallette ou de l'excellent Grégory Gadebois, jouant le frère qui a perdu l'usage de la parole après le traumatisme de la guerre. Une épopée touchante, malgré des couacs de montage parfois, où l'on se perd dans des flashbacks, mais cela n'enlève en rien la force magnétique et la profondeur d'un premier long-métrage, qui ne sera sûrement pas le dernier pour Emmanuel Courcol...