Du 16 au 19 novembre, Rabat a vibré au son des musiques du monde, rassemblant un parterre de musiciens et de professionnels de la musique du monde entier. Coulisses d'un événement généreux, premier marché de musique en Afrique et au Moyen-Orient qui met en avant la scène alternative. Dans les rues de Rabat, on entend parler espagnol, portugais, russe et même des langues qu'on n'arrive pas à déchiffrer. Et pour cause, du 16 au 19 novembre, le monde s'est donné rendez-vous dans la capitale pour célébrer la musique, lors de la troisième édition de Visa for Music. Entre showcases, conférences et ateliers, l'événement qui se veut inédit en Afrique a relevé, haut la main, tous les défis. La rencontre à l'état pur Le fondateur de Visa for Music, Brahim El Mazned, peut se féliciter d'avoir rassemblé les musiciens et les professionnels du monde entier le weekend dernier à Rabat. En créant un pont entre les deux, Visa for Music crée des opportunités de collaborations et donnent naissance à des projets. «Même moi je suis étonné de voir des délégués de pays lointains arriver à Rabat pour rencontrer les musiciens marocains et du monde», s'amuse le maître des lieux qui n'a de cesse de développer la scène alternative et de pousser la scène marocaine à se professionnaliser et à se développer. «Nos artistes ont l'habitude de se produire dans des circuits classiques ou en Europe voir Amérique du Nord, mais Visa for Music leur ouvre d'autres portes, ils sont confrontés à d'autres contrées nouvelles», continue Brahim El Mazned avant d'ajouter : «Nous faisons en sorte de faire l'intermédiaire entre les artistes et les programmateurs ou les professionnels de la musique. Mais c'est le rôle des musiciens aussi de maintenir le contact, de proposer un produit solide, un album défendable». En effet, les journées sont ponctués par des balades dans les différents stands au niveau du Théâtre Mohamed V, où chacun est invité à échanger, poser des questions, se renseigner. On échange les cartes, les adresses, les expériences, on se promet de se revoir, de s'appeler, les plus chanceux ont même des promesses concrètes de dates ou de projets. «L'artiste Karim Tagmouti a été signé par un festival au Cap Vert depuis Rabat ! », confie Brahim El Mazned. Pourtant l'artiste n'a pas un succès commercial. Et c'est là la force de Visa for Music. Sa démarche c'est de mettre en avant cette scène alternative, souvent négligée dans d'autres circuits, de faire la lumière sur ces musiques qui ne passent pas forcément dans les radios, dans les réseaux virtuels. «J'ai engagé des jeunes pour travailler avec moi, ce qui me permet de rester dans l'actualité, de suivre le mouvement. J'écoute souvent ce qu'ils écoutent pour être à la page et de sensibiliser le jury sur ces musiques actuelles d'Afrique et du Moyen-Orient. Ces artistes, d'après les turbulences que connaît la zone, ne viennent pas à nos manifestations. Les seuls moments où on les voit c'est à Visa For Music à l'image de Jadal, de Mahrou Leila, de 47 Soul...Ce sont ces artistes-là qui sont les témoins de la scène musicale de la jeunesse. Il serait injuste de ne pas valoriser cette musique. Non pas parce qu'elle est issue d'un milieu alternatif, mais parce qu'elle est moderne, actuelle, et elle est aussi belle et touchante que ce qui se fait ailleurs. D'ailleurs, à chaque fois qu'elle est jouée à Visa for Music, elle trouve sa place dans les médias et festivals internationaux». Des showcases à consommer sans modération ! Outre les rencontres, les conférences et le travail de promotion, Visa for Music est avant tout et surtout un festival grâce auquel le public de Rabat découvre des musiciens et des groupes qu'il ne soupçonnait pas ! Du grand niveau, de tous les genres et toutes les nationalités, que ce soit sur la grande scène du Théâtre ou à la Renaissance. Des concerts qui commencent à 17h00 et qui continuent jusqu'au bout de la nuit. Il y en a pour tous les goûts du rap au hip-hop en passant par le rock, le punk ou encore les musiques traditionnelles. Les Marocains étaient au rendez-vous avec Generation Taragalte et Rif Experience, qui apportent un bout de la culture touareg et amazighe, Wachm'nhit et son reggae en darija, H-Name, et son rap bien marocain, Betweenatna et leur punk rock casablancais, Othman El Kheloufi ou Hicham Telmoudi, musiciens l'un au saxophone, l'autre au violon qui parcourent les rythmes issus de leur héritage. Les projets Jokko et Doueh-Cheveu, tous deux nés de la rencontre entre des artistes marocains et d'Afrique ou de France, présenteront la musique née de ces rencontres ont fait l'unanimité. Quant aux groupes maghrébins Jadal et Labess, ils ont su offrir une ouverture et une clôture digne de ce nom. Des salles combles, une énergie hors du commun et une générosité sans faille, il n'y a qu'à Visa for Music où l'on voit les musiciens venir aux concerts d'autres musiciens, danser et s'époustoufler devant leurs confrères, curieux de côtoyer d'autres cultures, d'admirer des genres musicales et des pratiques artistiques d'ailleurs. Pas de visa pour la musique mais des obstacles quand même... À Visa for Music, les frontières sont abolies, seule la musique compte et elle voyage au-delà des frontières. Un travail de longue haleine, sur l'année que l'équipe de Brahim El Mazned, composée de 5 personnes seulement, s'acharne à faire dans les meilleures conditions même si le combat est difficile. À ce jour, Visa for Music ne dispose que de deux partenaires institutionnels et d'un partenaire privé. «Le festival grandit mais le budget n'évolue pas avec les nouvelles demandes de Visa For Music. Si l'on continue comme cela, nous allons devoir restreindre nos ambitions, ce que nous ne souhaitons pas», confie le fondateur du premier marché de la musique en Afrique et au Moyen-Orient. Un marché qui a des répercutions directes sur la production musicale marocaine et pourtant, il a du mal à joindre les deux bouts. Mais Brahim El Mazned n'en demeure pas moins optimiste. «Le ministère a mis en place des subventions envers des associations ou des structures. 15 millions de dirhams ce n'est pas rien. Nous sommes peut-être le seul pays en Afrique à disposer d'autant de budget dédié à la musique. Le Bureau d'export de la musique est au service aussi de ces professionnels qui souhaitent s'investir dans ce milieu-la. Il faut aussi savoir s'investir, et ne pas se contenter d'attendre les opportunités».