Après deux semaines de délire idéologique et de surenchère électoraliste, toute la classe politique doit revenir au réel. Et cette règle s'applique au premier chef au parti qui a gagné les élections et qui présidera aux destinées du prochain gouvernement. La responsabilité qui pèse sur les épaules du secrétaire général du PJD et chef de gouvernement désigné par le roi Mohammed VI est considérable, et l'histoire retiendra s'il sera à la hauteur des enjeux du moment. Il devra bâtir une majorité de gouvernement, non point assise sur des uniformités doctrinales, mais sur des convergences programmatiques et des objectifs partagés. L'économie et le social seront le terrain de prédilection de ce travail d'équipe, à l'aune duquel les électeurs devront se prononcer dans cinq années si d'ici là, la culture économique est partagée, si la conscience citoyenne parvient à émerger, si le mortifère abstentionnisme est battu en brèche, si ... Mais là est une toute autre histoire qui concerne l'éducation, le savoir, la culture, les valeurs et l'esprit civique. Mais revenons à ce qui nous intéresse, l'économie. Les maux de l'économie nationale sont largement connus. Ils font régulièrement les choux gras de la presse spécialisée, alimentent les rapports du FMI, de la Banque mondiale et des agences de rating, meublent les revendications des organisations patronales et syndicales et constituent le fonds de commerce des partis d'opposition. S'il fallait résumer ces maux en quelques mots, il suffirait de dire que l'économie marocaine est fragilisée par le faible rythme de la croissance, de surcroît peu inclusive, entraînant une vulnérabilité prononcée et une volatilité extrême des équilibres macroéconomiques, une hausse vertigineuse du chômage, notamment des jeunes diplômés, un élargissement des disparités sociales et une dégradation des risques bancaires et de la défaillance des entreprises, en particulier des PME et TPE. Dans ce contexte, l'intervention publique en termes d'investissement et de redistribution pour suppléer les carences du secteur privé et réguler les externalités négatives du marché reste d'une efficacité limitée en raison du retard considérable enregistré dans la réforme de l'Etat et la lutte contre la corruption, des contre-performances quasi-structurelles du portefeuille public et du rendement limité de l'impôt en dépit d'une pression fiscale apparente élevée. Sous l'effet de ces pressions, la dette publique atteint un seuil insoutenable sans pour autant réparer les fêlures de la société et sans préparer suffisamment le pays aux enjeux technologiques et environnementaux d'avenir. Trois conditions doivent être réunies pour que l'action économique du prochain gouvernement soit utile au pays et aboutisse à des résultats probants, qui transformeront le niveau et la qualité de vie des citoyens marocains. La première est d'ordre déclaratif: le gouvernement doit annoncer clairement, avec courage et transparence, que sa priorité absolue est de rétablir rapidement la confiance avec toutes les forces vives de la Nation, avec les institutions du pays, les partenaires et concurrents politiques, les entreprises, les syndicats, les enseignants, les fonctionnaires, la société civile, les intellectuels, etc. Car la confiance est au fondement de toutes les décisions économiques. Sans elle, il n'y a point d'investissement, de consommation, de crédit bancaire et d'embauches. La deuxième condition est d'ordre méthodologique: le gouvernement doit prendre les décisions de réforme nécessaires à la relance et à la modernisation de l'économie marocaine dans les cent premiers jours de son investiture. Il devra travailler sans relâche, écouter, consulter, expliquer, négocier et finalement trancher en assumant ses responsabilités. Au-delà de cette période, rien de fondamental ne pourra plus être fait et les mesures audacieuses qui pourraient être envisagées par la suite seront systématiquement confrontées aux multiples résistances corporatistes et catégorielles. Une loi de Finances neutre pour 2017 devra être votée assez rapidement pour permettre la continuité de la gestion des finances publiques, mais une loi de Finances rectificative 2017 et des lois spécifiques aux réformes et aux grands projets devront être préparées et votées avant le mois de juin de l'année prochaine, pour engager les réformes structurelles du mandat quinquennal et inscrire dans le marbre la stabilité fiscale sur toute la période. Toutes les lois de Finances ultérieures de 2018 à 2021 ont vocation à être des lois fiscales et des budgets de continuité, d'ajustement et d'adaptation aux fluctuations du cycle économique. La troisième condition est d'ordre programmatique et concerne le dispositif de politique économique que le gouvernement mettra en œuvre. Il s'agira de corriger les biais observés dans les programmes économiques des partis politiques formant la probable coalition gouvernementale: soit trop sommaires, se contentant d'orientations générales, témoignant d'une insuffisante maîtrise des dossiers et d'une absence d'obligation de résultat, soit trop dispersés avec plus de 500 mesures pour certains, illustrant une incapacité à définir des priorités et à tracer une cohérence générale à une politique. La politique économique du gouvernement devra hiérarchiser et coordonner la mise en œuvre d'une dizaine de mesures phares pour chacune des six grandes problématiques de l'économie nationale: le rôle des entreprises dans la création de richesses, l'impulsion des stratégies sectorielles en termes d'investissements et d'embauches, le financement bancaire de l'économie, la croissance et le marché financier, la modernisation des finances publiques et, enfin, l'impôt au service de la croissance économique. Ce sont donc 60 mesures, pas plus et pas moins, que le gouvernement doit engager dans les premiers mois de sa prise de fonction, pour que leurs effets concrets sur l'économie réelle puissent se traduire au cours de la mandature, ou même au-delà. Mohammed Benmoussa Economiste, membre du Bureau exécutif du Mouvement Damir et du Conseil national du Parti de l'Istiqlal.