Les citoyens marocains ont dit leur dernier mot, vendredi 7 octobre, en renouvelant leur confiance en le PJD, seul parti islamiste au pouvoir au Maghreb et dans le monde arabe. Le peuple lui accorde un nouveau mandat de cinq années et approuve explicitement la politique menée depuis 2011 malgré la faiblesse des résultats économiques et sociaux. Respectueux du texte et de l'esprit de la Constitution, le roi Mohammed VI a reconduit le chef de gouvernement dans ses fonctions 48 heures après l'annonce des résultats officiels et l'a chargé de former une nouvelle équipe gouvernementale. La vie démocratique marocaine, rythmée par des rendez-vous électoraux réguliers, suit son cours normal mais révèle plusieurs enseignements politiques, les uns plus saisissants que les autres. Le premier enseignement réside dans la tendance à la bipolarisation de l'échiquier politique. Les résultats du scrutin donnent une prééminence pour les deux principales formations politiques, le PJD et le PAM, dirigé par le dynamique et entreprenant Ilyas Elomari. Ces deux partis totalisent, à eux seuls, 227 députés, soit près de 58% des sièges de la Chambre basse du Parlement. Cette tendance marque une rupture par rapport à la tradition politique marocaine, qui a établi le multipartisme au sortir de l'indépendance et l'a ensuite favorisé à répétition, notamment à travers les modes de scrutin. La deuxième leçon concerne la chute des partis dits nationalistes et des partis traditionnels, à l'image de l'Istiqlal, de l'USFP, du RNI, du MP et du PPS, qui fut déjà constatée aux législatives de 2011 puis amplifiée aux élections régionales et communales de septembre 2015. Les leaders de ces partis n'ont pas su retisser le lien avec leur électorat, ni le convaincre de voter massivement pour eux. Si les raisons de ce désamour sont multiples et spécifiques à chacune de ces organisations, apparaît néanmoins une trame de fond à leur désaveu collectif qui leur est transversale et qui les interpelle tous. Une colère populaire enfouie et lancinante se manifeste à chaque épreuve électorale pour témoigner d'un désaccord profond avec les leaderships de ces formations politiques, leurs modes d'organisation et les thématiques qu'elles développent. Le troisième enseignement porte sur la défaite du débat politique et la disparition de la confrontation programmatique au profit du combat idéologique, des joutes partisanes et des violences verbales (voire physiques !). Les deux partis qui ont fait en temps de campagne électorale un usage outrancier et, reconnaissons-le, efficace au plan médiatique de ces déviances comportementales et thématiques, sont exactement les deux qui sont arrivés en tête du scrutin. C'est dire l'appétence des électeurs pour les sujets se situant en dessous de la ceinture ou faisant gicler le sang des gladiateurs dans l'arène politique nationale. Ce constat est d'autant plus effroyable que certains responsables politiques, et non des moindres, se sont gaussés des équipes de campagne en regrettant l'absence de programmes électoraux, sans savoir réellement de quoi ils parlaient et sans prendre la peine d'étudier les documents publiés par les partis. En effet, si la plupart des programmes électoraux se sont révélés être de simples déclarations d'intention ou des expressions de vœux pieux, sans le moindre chiffrage d'objectifs, sans l'établissement de plannings de mise en œuvre et sans l'élaboration de plans d'actions opérationnels, certaines formations politiques, comme l'Istiqlal ou l'USFP, ont eu, malgré tout, le mérite d'élaborer des programmes sérieux, certes largement perfectibles et orphelins d'une ligne directrice, mais qui se distinguent par la pertinence et la complétude des recommandations (plus de 550 mesures proposées par chacun de ces deux partis). Une confiance à géométrie variable placée dans les institutions du pays, est la quatrième leçon à tirer du scrutin. A contrario de la quasi totalité des partis politiques qui ont reconnu la sincérité et la transparence des élections, ainsi que du CNDH et des observateurs étrangers dont la délégation de l'Union européenne, qui ont corroboré ce constat, le PJD n'a eu de cesse de jeter le discrédit sur le processus électoral durant la campagne et le jour même du vote avant l'annonce des résultats officiels. Cette attitude, qui a poussé le ministre de l'Intérieur à sortir de ses gonds, vient s'ajouter à la sémantique développée sur l'autoritarisme (concept de Tahhakoum) et sur l'existence d'un double Etat au Maroc, qui porte gravement atteinte à l'image du pays à l'étranger. Gageons que la formation du gouvernement Benkirane II mettra un terme à cette déviance sémantique et lèvera définitivement les doutes subsistant sur l'irréversibilité des acquis constitutionnels. Le cinquième et dernier enseignement est probablement le plus important. Il met en lumière un Maroc sans pensée, silencieux, passif, indifférent, qui ne pense pas, qui ne s'exprime pas, qui n'agit pas, qui ne vote pas. Ce Maroc est incarné par l'écrasant taux d'abstention, officiellement de 57%, compte tenu des 6.75 millions de votants pour 15.7 millions d'inscrits sur les listes électorales, mais en réalité de plus de 70% du fait des 24 millions de Marocains environ en âge de voter selon le recensement 2014 du HCP. Lorsqu'une minorité aussi réduite décide du sort de toute une nation, apparaissent les limites de la démocratie élective. Se pose donc avec gravité l'urgence de mettre un terme au déclin programmé des partis politiques, comme de favoriser l'éclosion de nouvelles formes d'expression populaire à travers la démocratie participative, la société civile et les initiatives citoyennes. Mohammed Benmoussa Economiste, membre du Bureau exécutif du Mouvement Damir et du Conseil national du Parti de l'Istiqlal. 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