Khalid El Ouazzani : Team Leader GEM Morocco et directeur du Laboratoire de recherche EMO à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales. Université Hassan II de Casablanca Les Inspirations ECO : Une enquête d'envergure a été menée pour déterminer la situation de l'entrepreneuriat au Maroc. Comment cette dernière a été menée ? Khalid El Ouazzani : Je dois tout d'abord vous préciser que le Global Entrepreneurship Monitor, en tant que cadre d'analyse de l'entrepreneuriat, repose sur un modèle conceptuel et une démarche méthodologique. À cet effet, notre laboratoire a mené deux enquêtes. L'une auprès de la population adulte nationale portant sur un échantillon de 2.060 personnes, échantillon déterminé avec le recours aux services du Haut-commissariat au Plan et destiné à saisir les interactions entre les attributs, les attitudes et les activités des individus. L'autre auprès d'un panel de minimum 50 experts nationaux, représentant les principaux domaines institutionnels (dites aussi conditions cadres de l'économie : finance, commerce, infrastructure, formation, gouvernements, etc), dans le but de porter une appréciation sur l'écosystème de l'entrepreneuriat. Ces enquêtes ont exigé la mobilisation d'importantes ressources tant humaines que financières pendants près de 4 mois. Nos équipes ont parcouru les principales régions du Maroc avec un traitement des questionnaires en ligne (utilisation de tablettes). Quels en sont les principaux enseignements à tirer ? Il faut rappeler tout d'abord que GEM se distingue de toutes les études qui portent ou qui ont porté sur l'entrepreneuriat, car il se concentre sur l'individu, sur le comportement des entrepreneurs (en termes d'attitudes, d'activités et aspirations, etc) contrairement aux investigations courantes qui se focalisent sur l'entreprise, plus particulièrement ciblent les nouvelles ou les petites entreprises. S'il faut mettre en évidence un enseignement particulier de cette enquête, c'est le paradoxe constaté entre intentions entrepreneuriales et dynamique entrepreneuriale au sein de notre pays. Le Maroc affiche un des taux d'activité entrepreneuriale les plus faibles dans le monde. Alors que notre enquête a fait ressortir que près d'un Marocain sur 3 a l'intention de créer sa propre entreprise dans les trois prochaines années, seul 4,5% passent à l'acte. Donc, un écart significatif, qui peut s'expliquer, en partie, par une autre révélation de notre investigation, c'est la «peur de l'échec» prédominante chez nos concitoyens : 41% des Marocains déclarent que la peur de l'échec les dissuaderait de s'engager dans un projet entrepreneurial, un taux parmi les plus élevés de la région MENA. Ce paradoxe interpelle les pouvoirs publics et les acteurs de l'écosystème de l'entrepreneuriat, et en particulier les responsables du système d'éducation et de formation, lequel favorise peu la prise du risque, d'initiative, la compétition positive, la confiance en soi, etc. Quelles orientations donne-t-elle aux politiques publiques ? Si le mérite de GEM est d'apporter une mesure du niveau d'activité entrepreneuriale, de dresser le portrait entrepreneurial de la population marocaine d'une part et de l'autre d'identifier les facteurs qui encouragent ou entravent l'activité entrepreneuriale, sa finalité est de proposer des recommandations en vue d'orienter les politiques publiques pour une meilleure prise en compte de l'entrepreneuriat dans les stratégies de développement. À cet effet, nous avons mené d'importantes investigations auprès d'un panel représentatif d'acteurs de l'écosystème entrepreneurial qui nous ont permis de formuler d'importantes recommandations. Les experts interrogés ont été presque unanimes à s'accorder sur le fait qu'il y a nécessité d'améliorer le système d'éducation et de formation et de doter le pays de politiques proactives visant à encourager les initiatives entrepreneuriales même si une majorité, parmi eux, considère que les initiatives publiques en matière d'infrastructures physiques et de procédures administratives sont déjà ambitieuses. La conférence internationale que nous avons organisée le 13 mai 2016 à l'occasion de la sortie du rapport national GEM 2015 avait comme objectif de partager ces propositions avec les politiques. Nous avons ainsi initié un débat intéressant sur les enseignements de l'étude. En plus du ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la formation des cadres, ainsi que du ministre de l'Emploi et des affaires sociales, d'autres ministères stratégiques étaient représentés, comme celui du Commerce, de l'investissement et de l'économie numérique. Les échos furent très favorables et je peux dire que notre étude est une première au Maroc. La plupart des analyses macro-économiques de ce type, à ce jour, ont été le fait d'organismes internationaux tels que la Banque mondiale, le FIM ou le WEF. Aujourd'hui, l'université marocaine devient aussi productrice de connaissances et de données susceptibles de guider la politique publique.