Réunis jeudi à Rabat, les présidents de région ont exprimé leur inquiétude. Cinq mois après leur élection, ils peinent à concrétiser leur mission. Ils soulèvent plusieurs problématiques relatives notamment au volet législatif, au manque d'une coordination étroite avec l'administration ou encore à l'insuffisance des ressources humaines. Cinq mois après les élections régionales, les présidents des conseils régionaux tirent la sonnette d'alarme. Leur mission n'est visiblement pas sur de bons rails, comme ils l'avaient espéré. Ils se disent désarmés face à de nombreux obstacles qui freinent leur gestion quotidienne. La première difficulté a trait au volet législatif. Jusque-là, les décrets d'application de la loi organique sur la régionalisation ne sont pas encore publiés, ce qui ralentit l'action des conseils régionaux. «Faut-il démarrer ou attendre les textes juridiques ? Nous sommes entre le marteau et l'enclume», déclare Brahim Moujahid, président de la région Béni Mellal-Khenifra lors d'une journée d'étude organisée jeudi à Rabat par l'Institut national d'aménagement du territoire, l'Association des régions du Maroc et le Forum urbain marocain sur «le projet de développement et d'aménagement régional». L'avis de Moujahid est largement partagé par les autres présidents de région présents à la rencontre, qui pointent du doigt le ministère de l'Intérieur en raison du retard accusé en la matière. À ce titre, le gouverneur directeur des finances locales de ce département, Hamza Belkebir, rassure. Dans une déclaration aux ECO, il relève que les 16 décrets d'application relatifs à la régionalisation seront édités «dans les mois à venir». Sauf que cette réponse ne satisfait pas les élus qui soulignent la plus haute importance de la gestion du temps, surtout que le mandat électoral est court. Tous ceux qui ont pris la parole ont évoqué le concept du temps politique qui diffère largement de celui de la planification. Cependant, les élus régionaux qui aspirent à accélérer la cadence ne peuvent démarrer concrètement leurs activités sans l'élaboration des plans régionaux de développement qui devront être étalés sur six ans ainsi que des schémas régionaux d'aménagement du territoire. Il s'agit d'un travail fastidieux qui nécessite pour sa réussite bon nombre de préalables dont des ressources humaines compétentes que ne possèdent pas nécessairement certains conseils régionaux, comme a tenu à souligner Ynja Khattat, président de la région Dakhla-Oued Eddahab. À entendre certains présidents, les conseils régionaux ne savent pas encore à quel saint se vouer et sur quelles bases établir ces documents. Brahim Hafidi, président de la région Souss-Massa, qui a cumulé une riche expérience en matière de gestion régionale, estime qu'il est nécessaire d'établir les termes de référence de ces deux documents pour pouvoir démarrer sur de bonnes bases. Dans ce cadre, la concertation avec tous les acteurs régionaux s'impose pour pouvoir concevoir une vision régionale de développement. Mais, sur ce plan, les élus semblent sceptiques en raison des problématiques qui freinent encore la déconcentration. En effet, les administrations régionales ne disposent pas encore de l'indépendance en termes de prise de décision. Les responsables régionaux doivent toujours se concerter avec l'administration centrale. «Celle-ci n'intervient pas pour effectuer une analyse de conformité mais plutôt une analyse d'opportunité. Cet état de fait va continuer encore pendant une certaine période», précise Ahmed Akhchichine, président du Conseil régional de Marrakech-Safi. L'administration régionale n'est pas encore à l'image de la vision de la régionalisation avancée. L'espoir réside dans la possibilité de mettre en œuvre le plus tôt possible la charte de la déconcentration administrative qui permettra de créer des pôles régionaux interministériels par type d'activité. Les administrations centrales sont appelées à déléguer le maximum de leurs pouvoirs aux directions régionales. Ce n'est qu'à ce moment-là que le partenariat entre élus et administrations donnera les résultats escomptés. Les présidents de région redoutent le moment où ils devront rendre des comptes aux citoyens. Ceux-ci nourrissent beaucoup d'espoir dans les nouveaux conseils régionaux et le font savoir aux élus. Cependant, ces derniers estiment qu'ils n'ont pas encore les moyens pour pouvoir répondre aux attentes de la population qui aspire à améliorer son quotidien. Ilyas El Omari Président du Conseil de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima Il faut œuvrer à instaurer la confiance entre élus et administration. Malheureusement, la loi organique sur la régionalisation ne consacre pas cette confiance. Le législateur a prévu un délai de 30 mois pour la publication des décrets d'application. Dans le timing politique, ces trois ans signifient la mort des acteurs politiques. Par ailleurs, la coordination avec les institutions de l'Etat s'avèrent une nécessité à condition que celles-ci interagissent avec les conseils régionaux. Sur les 60 administrations que nous avons contactées, quatre seulement ont répondu. Ynja Khattat Président de la région Dakhla-Oued Eddahab Nous ne disposons pas des cadres pour pouvoir ne serait-ce qu'entamer la réflexion autour du programme régional de développement et du schéma régional d'aménagement du territoire. Je tire la sonnette d'alarme car sans moyens, on est condamné à la mort alors que nous devons réussir ce grand chantier de la régionalisation avancée. Abdessamad Sekkal Président de la région Rabat-Salé-Kénitra Ce mandat est le plus difficile. La mise en place du programme de développement régional permettra de baliser le terrain. En attendant, il est nécessaire de maîtriser le contenu de ce programme et de celui du schéma régional de l'aménagement du territoire. Mustapha Bakkoury Président du Conseil de la région Casablanca-Settat Plusieurs questions ayant trait à la régionalisation demeurent posées... Aucune mesure concrète n'a été prise en matière de déconcentration. En tant que présidents de région, nous avons des difficultés à l'accès à l'information. Les études qui ont été menées doivent être révisées pour que nous puissions saisir toutes les opportunités. L'heure tourne, et nous devons accélérer la cadence. Abderrahim Ben Bouaida Président du Conseil de la région Guelmim-oued Noun On nous a fait assumer une grande responsabilité sans accompagnement. Ni les textes réglementaires ni les décrets d'application n'ont été publiés. Les citoyens dans les provinces du Sud pensent que les régions possèdent toutes les attributions. Le président de la région est devenu «ministre» chargé de tous les secteurs. Malheureusement, nous gérons cette période en nous basant sur la communication et parfois le mensonge.