Deux places, c'est déjà ça de gagné. Deux crans de mieux pour le Maroc dans l'Indice global sur la compétitivité (Global Competitiveness Index – GCI) du World Economic Forum (WEF) dans son édition 2011-2012. De la 75e place dans le précédent classement, le royaume s'est hissé au 73e rang, soit le même que nous avions obtenu deux années auparavant, dans l'édition 2009-2010. Une amélioration d'autant plus honorable qu'elle s'est accompagnée d'une augmentation notable du score intrinsèque de la compétitivité nationale, et n'est donc pas liée à la régression d'autres économies dans le classement, mais à l'amélioration des indicateurs propres. Car ce classement n'est qu'un outil parmi d'autres, et ne constitue en aucun cas une fin en soi. «Ce qui est le plus intéressant et instructif n'est pas de comparer le classement de la compétitivité marocaine par rapport à d'autres économies, mais bel et bien de suivre l'évolution des scores des indicateurs du pays entre deux moments T», insiste Fouzi Mourji, professeur en économétrie à l'université Hassan II, ayant collaboré à la réalisation de l'étude statistique au Maroc pour le compte du WEF en 2010. «L'idée est de mettre le doigt sur les indicateurs sur lesquels nous sommes bons, et ceux à améliorer, pour les suivre et remédier aux facteurs problématiques», poursuit-il. Ainsi, selon le WEF, le Maroc dispose de multiples avantages compétitifs. Au niveau de l'infrastructure par exemple, le rapport identifie l'infrastructure ferroviaire ainsi que la densité des liaisons aériennes comme des points forts dans la compétitivité marocaine. Sur le plan macroéconomique, la maîtrise du déficit budgétaire est indiquée comme avantage, mais là il faut souligner que les données sont antérieures à la récente dégradation des finances publiques, visant à maintenir la paix sociale. Le poids de la Caisse de compensation et son rôle transparaissent également dans les statistiques du WEF. Pour la petite histoire, le Maroc est le n°1 mondial en termes de maîtrise de l'inflation, grâce à notre caisse magique qui ne cesse de s'alourdir. Les écarts de taux d'intérêt, relativement faibles, sont également désignés comme avantage. Mais encore faut-il avoir accès au crédit pour en bénéficier. En effet, l'accès au financement est identifié comme «le facteur le plus problématique pour faire des affaires» au Maroc, même si quatre indicateurs portant sur le marché financier sont identifiés comme avantage, à savoir le financement sur le marché des capitaux, la facilité d'accès aux prêts, la possibilité de capital-risque et la réglementation des transactions sur les titres. Des incohérences qui mettent la lumière, encore une fois, sur les limites de tels classements statistiques. Mais soyons de bonne foi, et tirons le maximum de ce qui peut être exploité de ces études. 10e plus inefficace marché du travail Dans le registre de la facilitation de la création d'entreprises, le Maroc a réalisé une avancée importante, et cette fois-ci indiscutable. C'est ainsi que le nombre de formalités et celui de jours nécessaires pour lancer une affaire ont significativement baissé, et constituent désormais des avantages compétitifs aux yeux du WEF, tout comme l'allègement du fardeau des procédures douanières, qui s'est amélioré et qui constitue également un avantage. La largeur de l'accès à Internet ainsi que la disponibilité de fournisseurs locaux de qualité sont également des avantages de taille, qu'il faut valoriser au maximum. En revanche, l'éducation, la formation et l'inefficacité du marché du travail restent des plaies ouvertes, que le pays n'arrive toujours pas à panser, pour ne pas dire à suturer. Sur 142 pays entrant dans le classement, le Maroc occupe la 136e place en termes de rigidité de l'emploi, la 134e pour l'accès des femmes au travail, la 120e dans les relations employeur/employé, la 112e dans l'accès à l'enseignement secondaire, la 110e en coût de licenciement, la 101e dans le recours au management professionnel. Résultat: notre marché du travail est le 132e en termes d'efficacité, soit le 10e le plus inefficace ! Honteux ! Voilà des pistes sérieuses, impossibles à rater, autant pour les futures politiques gouvernementales que pour les prochaines propositions du patronat. Mais il s'agit là de réformes de longue haleine, dont le retard dans le lancement même n'augure rien de bon dans leur aboutissement. Si comme ironise, non sans clairvoyance, un économiste britannique, «les statistiques sont comme un lampadaire anglais, on peut s'appuyer dessus, mais il ne nous éclaire pas beaucoup», elles permettent au moins de tracer le chemin à suivre pour éviter les sorties de route. Le Maroc monte en grade La classification des pays selon leur stade de développement est un casse-tête perpétuel. Emergent ou en voie de développement, sous-développé ou moins avancé, développé ou postindustriel... l'on a vite fait de se perdre dans les labyrinthes de la terminologie. Dans cette optique, le WEF propose une classification intéressante, dans laquelle le Maroc est d'ailleurs discrètement monté en grade. Cette classification se base sur l'orientation de la politique économique qui correspond au stade de développement de chaque pays. Elle comprend en tout cinq catégories : trois types d'économies et deux phases transitoires à cheval. Celles orientées facteur (factor driven), celles orientées efficacité (efficiency driven) et celles orientées innovation (innovation driven). Ainsi, selon le Rapport WEF sur la compétitivité, le Maroc était en 2010 en transition entre le premier et le second stade de développement. Aujourd'hui, cette transition est achevée, selon l'organisation internationale. L'économie marocaine fait désormais partie des économies orientées efficacité. Là, il faut insister sur le fait que le changement n'est pas que dans le vocabulaire, il conditionne la pondération des variables dans le calcul de la note globale. Mais pas seulement. Cela veut dire que les priorités pour le développement ont changé, et c'est là où le bât blesse car c'est sur ces variables clés que l'économie nationale accuse le plus de retard. Les plus inquiétants fossés à combler sont enregistrés dans l'enseignement supérieur et la formation et l'efficacité du marché du travail. S'ajoute une autre variable, qui entre par ailleurs dans les pré-requis basiques (économies orientées facteur), celle de la santé et de l'éducation primaire, sur laquelle le Maroc n'occupe que la 93e position mondiale. Si nos dirigeants en semblent conscients, développer ces deux axes est d'une urgence capitale pour éviter de stagner dans le train du développement. Train du développement En ligne avec la théorie économique des stades de développement, l'Indice global de compétitivité du WEF suppose que, dans la première étape, l'économie est axée sur des facteurs. Les pays sont en compétition en fonction de leurs dotations factorielles, principalement les travailleurs non qualifiés et les ressources naturelles. Les entreprises se font concurrence sur la base de prix, et vendent des produits de base ou des marchandises. La faible productivité se reflète dans les bas salaires. Maintenir la compétitivité à ce stade de développement repose essentiellement sur le bon fonctionnement des institutions publiques et privées, une infrastructure bien développée, un environnement macroéconomique stable, et un effectif de santé qui a reçu au moins une éducation de base. Ensuite, lorsqu'un pays devient plus concurrentiel, la productivité augmente et les salaires avec. Les pays devront ensuite passer dans la phase axée sur l'efficacité du développement, quand ils doivent commencer à développer des procédés de production plus efficaces et augmenter la qualité du produit, puisque malgré l'augmentation des salaires, les prix ne peuvent être relevés pour maintenir la compétitivité. À ce stade, la compétitivité est de plus en plus tirée par l'enseignement supérieur et la formation, l'efficience des marchés des biens, un marché du travail efficace, des marchés financiers développés, la capacité à exploiter les avantages des technologies existantes, et un grand marché intérieur ou étranger. Enfin, les pays passent dans le stade où l'économie est axée sur l'innovation. Les salaires auront augmenté d'autant que leurs entreprises sont capables de rivaliser avec des produits nouveaux et uniques. À ce stade, les entreprises doivent concurrencer en produisant des biens nouveaux et différents en utilisant les procédés de production les plus sophistiqués et en en inventant de nouveaux. Mais avant d'en arriver là, commençons par régler une fois pour toutes les graves retards correspondant aux exigences de notre stade de développement actuel. Malheureusement, pour l'instant, rien n'est moins acquis.