Le chef de gouvernement exhorte la CNSS à accélérer la cadence pour passer d'abord à une pension minimale de 1.500 DH. Et pourtant, en matière de couverture sociale, le Maroc fait moins bien que l'Algérie et la Tunisie avec un taux de 30%. «La pension minimum de retraite doit bientôt passer de 1.000 à 1.500 DH pour s'arrimer ensuite au Smig», c'est en prenant pour témoin, vendredi matin, Said Ahmidouch, DG de la CNSS, que le chef de gouvernement a fait cette déclaration. Abdelilah Benkirane intervenait à l'occasion de la 4e édition du Forum des retraites de la CDG, organisé, en partenariat avec la Chaire prévoyance et retraites de l'UIR, sur le thème : «La généralisation de la couverture sociale, un investissement générateur de croissance». Benkirane ne fait pas ce genre de sortie de manière fortuite, il choisit bien son timing. Aux prises avec les syndicats qui refusent toujours tout dialogue sur la réforme des pensions civiles en dehors du cadre du dialogue social, le chef de gouvernement tente de gagner la sympathie des couches défavorisées. Il explique que, quand bien même, la réforme puisse-t-elle être douloureuse pour les gros et moyens salaires, elle s'accompagne aussi d'améliorations substantielles des pensions des Marocains pauvres et/ou en situation de précarité. Usant de toutes ses armes de persuasion, à grand renfort d'anecdotes, Benkirane compte bien aller jusqu'au bout d'une réforme censée éviter la faillite de la CMR dans quelques années (2021). Il a critiqué dans ce sens l'attachement des syndicats aux acquis. Certes, la pension servie par la CMR est la plus généreuse au Maroc, si ce n'est au monde, puisque le retraité continue de toucher l'intégralité de son salaire. Une situation qui n'est plus tenable aujourd'hui au regard du vieillissement de la population et des recrutements rationalisés dans l'administration. C'est ce qui a poussé la CMR à puiser dans ses réserves, à raison de 1 MMDH en 2014, 3 MMDH en 2015 et une ponction de 6 MMDH est prévue en 2016, si la réforme continue de traîner le pas. Benkirane s'adressant aux participants du forum : «Je vous demande de vous ouvrir sur d'autres horizons de réflexion. Car si l'on reste prisonnier d'un seul modèle, on ne trouvera pas les solutions qu'il faut». Comme il le fait assez souvent, il a comparé la situation actuelle avec celle de la colonisation française. À l'époque, la couverture sociale et médicale était destinée aux colons et à une frange de Marocains qui travaillaient au sein de l'administration coloniale, explique le chef de gouvernement. Et d'ajouter que, changement de paradigme, l'Etat marocain considère la société marocaine comme une unité indivisible. Benkirane enfonce un peu plus le clou, cette fois-ci sur le registre des valeurs sociales, devant le regard à la fois ébahi et intéressé du SG du Conseil d'orientation des retraites français (COR), Yves Guégano : «S'ils vivaient entourés de leurs familles, les 15.000 vieux Français, morts durant la canicule, s'en seraient sortis indemnes». Toutefois, sur le registre de la généralisation de la couverture sociale et médicale, le Maroc n'est pas le bon élève que l'on aime présenter, loin de là. Abdellatif Zaghnoun, DG de la CDG, dresse un tableau peu reluisant : «Malgré tous les efforts consentis, le taux de couverture au Maroc reste très bas aux alentours de 30%, comparé à 56% en Algérie et 80% en Tunisie». Et le responsable d'enchaîner qu'il faut un contrôle régulier des systèmes de couvertures au Maroc pour en garantir l'efficience. Corroborant le constat de Zaghnoun, Said Ahmidouch, en sa qualité de vice-président de l'Association internationale de la sécurité sociale (AISS), regrette que les travailleurs non salariés, qui représentent 57% de la population active, soient toujours exclus de toute couverture sociale. Mais le responsable n'a pas omis l'évolution en matière de couverture médicale dans le secteur privé qui est passé de 43% en 2005 à 80% en 2015 et le nombre des salariés inscrits à la CNSS qui a bondi de 1,58 million à 3,1 millions de personnes, durant la même période. Dans le même sens, Hassan Boubrik, fraîchement nommé président de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale, estime que la généralisation de la couverture sociale passe par un minimum de formalisation du travail. À plus forte raison que le lien entre couverture sociale et croissance est prouvé par la plupart des économistes. La générosité sociale paie Dans les pays développés, la couverture sociale représente entre 25 et 30% du PIB. Les pays de l'UE, comme la France, l'Espagne et la Belgique, qui disposent d'un régime social généreux, ont pu résister à la crise économique et financière de 2008. C'est grâce à ce régime que la population de ces pays n'a pas replongé dans la précarité, se permettant ainsi une reprise facile et sans trop de sacrifices. Il est aussi scientifiquement prouvé qu'un pays ne peut accéder au rang des nations développées, sans un système social équitable qui profite à tous les citoyens sans privilège aucun. Les appels aujourd'hui à revoir à la baisse les prestations sociales en France et dans d'autres pays de l'UE, relèvent de l'amnésie politique. Il est tout à fait insensé de rogner sur des prestations sociales qui peuvent provoquer par la suite une précarité qui si elle s'installe nécessitera encore plus de budgets pour être chassée. L'économie d'un pays dépend fortement de l'état de santé des salariés et leur motivation. Deux indicateurs qui, certes, ne figurent pas sur les courbes de performance, mais qui influent certainement sur les résultats.