Il était visionnaire, talentueux et sage ! Sa mort, le 5 février, a laissé un grand vide dans le monde du théâtre. La presse internationale lui a rendu hommage. C'est vrai qu'il lègue à la culture marocaine un patrimoine immense. «Je suis né dans les livres. J'aime profondément le livre, car seul le livre nous délivre», confiait-il lors de sa carte blanche à la Fnac, en 2012. Amoureux de l'art, des textes, de son art, de ses textes, il était une plume, un acteur, un cinéaste et un producteur de rêves éveillés. Monument du théâtre, artiste aux talents multiples, Tayeb Sedikki s'est éteint, vendredi 5 février, à l'âge de 77 ans. Monstre sacré Il est né en 1939 à Essaouira, terre de créativité et d'inspiration qu'il a quittée pour Casablanca, puisqu'à l'époque, c'est le seul moyen de réussir ! Ambitieux, discret, mais qui a toujours su ce qu'il voulait, Tayeb Saddiki a décidé de découvrir la France à 17 ans, certain que le pays de Molière nourrirait sa soif d'apprendre. Avant cela, en 1954, il participe à un stage d'art dramatique organisé par le ministère de la Jeunesse et des sports sous la direction d'André Voisin et de Charles Nuges. Un stage qu'il n'a jamais oublié. Des proches, qui ne souhaitent pas être cités, ont avoué qu'il a toujours été «spécial», avec cette personnalité et cette force de caractère qui forcent le respect ! «Philanthrope, c'était un grand enfant, incompris ! On le croyait orgueilleux, mais pas du tout ! C'était mal le connaître. C'est l'image qu'il se donnait parce qu'il était timide au fond», confie l'actrice Latifa Ahrare, qui a beaucoup joué avec lui et qui l'a côtoyé. «Il était mon mentor, mon papa». En France, à Rennes, il souhaite devenir architecte, mais c'est en suivant un cours d'histoire de l'art qu'il tombe amoureux du théâtre. D'ailleurs, son entourage nous révèle que c'est en voulant remplacer un acteur malade, dans une classe, qu'il se familiarise avec la scène et en tombe amoureux. C'est à partir de ce moment-là que le virus du théâtre s'empare de lui et ne le lâchera jamais... Il poursuivra, alors, des études théâtrales avec, comme professeur, Hubert Gignoux, puis au Théâtre National Populaire à Paris, sous la direction de Jean Vilar. Il rentre au Maroc et décide de mettre en place un groupe de travail de théâtre au Maroc avec l'Union marocaine du travail. Un nouveau chapitre du théâtre est en train de s'écrire...«Pour moi, c'est une encyclopédie ! Il a fait rentrer le nom du Maroc artistiquement et théâtralement dans les dictionnaires de théâtre. Il a ouvert le champ de l'expérimentation au théâtre, c'était un homme polyvalent, polyglotte, de culture, il était pour la rencontre des civilisations, le brassage des religions», confie l'actrice marocaine. Une nouvelle école de théâtre Avec son air de Molière marocain ou de personnages de Comédia Del Arte, il apporte un nouveau souffle au théâtre marocain. Avec des pièces sur la société marocaine mais pas souvent comprises car trop avant-gardistes. Tayeb Saddiki avait son emprunte, sa touche, à la fois intellectuelle, poétique, surréaliste et parfois grotesque, avec un humour souvent noir qui n'appartenait qu'à lui. «Le théâtre dans le monde entier, est en régression. Les gens préfèrent rester chez eux devant leur télévision», avait-il avoué avant d'ajouter : «Tout est faux dans le théâtre, mais avec tous ses éléments, on arrive à créer une vérité à partir de ce faux». De retour au Maroc, Tayeb Saddiki devient le directeur du Théâtre municipal de Casablanca et ensuite du théâtre Mohammed V de Rabat. En 1980, il commence à créer plusieurs troupes de théâtre dont, notamment, le «Théâtre ambulant», «Théâtre ouvrier», et le «Théâtre des gens». Dans ses pièces, il s'inspire des traditions orales marocaines de «la halqa», rappelant ainsi les troubadours du Moyen Âge et de Jamaa El Fna, une place qui l'a toujours inspiré dans son travail. Il est aussi celui qui a été à l'origine de la découverte de Nass El Ghiwane et dont il a fait jouer les membres, en live dans ses pièces, alors que le groupe n'était pas encore né. En France, son travail était reconnu, dans le monde arabe aussi, notamment avec «Makamat Badî Zamane Al Hamadani» ! Il sera même nommé Chevalier et Officier des arts et des lettres par la République française. Il était surtout le metteur en scène de plus de 80 pièces, il a écrit 24 pièces originales et en a adapté 36. Acteur de renom, il a joué dans plus de 20 films et s'intéressait à tous les arts, de la calligraphie, aux arts plastiques. Il est mort «seul» longtemps délaissé par le ministère notamment. «Beaucoup lui ont tourné le dos après sa visite en Israël, il a vécu seul après cela», avoue Latefa Ahrare. Il est parti ce vendredi 5 février comme pour rappeler à quel point son art comptait et compte toujours...«Il a créé un espace de théâtre, le Mogador sur l'avenue Ghandi. J'espère que les autorités le rouvriront et le baptiseront en son nom !», conclura l'actrice Latefa Ahrare, avant d'ajouter tout simplement :«Tayeb est mort, mais Saddiki est immortel !». La France a salué un grand dramaturge La France salue la mémoire de Tayeb Saddiki, grand dramaturge marocain, disparu le 5 février, et sa contribution au rayonnement du théâtre dans le monde. Tayeb Saddiki était l'une des plus grandes figures du théâtre au Maroc et dans le monde arabe. Auteur de plus de 80 pièces originales et d'adaptation, metteur en scène d'un immense talent, il sut très tôt travailler pour le cinéma et la télévision et s'illustra également comme comédien dans une cinquantaine de pièces et des dizaines de films. La France perd un ami très cher. Ayant travaillé dans les années 1950 avec Jean Vilar, officier dans l'Ordre des arts et des lettres, Tayeb Saddiki venait de se voir consacrer, il y a quelques semaines, une émouvante soirée d'hommage par la Comédie française, en tournée au Maroc.