Les sociétés délégataires ignorent souvent les constats des audits en l'absence de textes d'application clairs et contraignants. Il faut passer par des études avant de se lancer dans une cession ou la délégation d'un service public au risque de faire fausse rout... Le Conseil économique, social et environnemental passe sous scan le mécanisme de la gestion déléguée. Le débat sur la gestion déléguée qui fait suite à des manifestations monstres à Tanger contre Amendis, n'est pas nouveau. Avant Tanger, la grogne des usagers s'était faite entendre à Casablanca, puis à Marrakech. Pour situer la problématique dans son contexte, il ne faut pas oublier la hausse des prix à l'échelle nationale de l'eau et de l'électricité décidée par le gouvernement durant l'été 2014 dans le cadre de son contrat-programme avec l'ONEE. S'agit-il d'un facteur aggravant ? Il faut déjà admette que la situation aujourd'hui mérite une réforme de fond en comble du système de la gestion déléguée et de la gouvernance des services publics de manière générale. Au lendemain du passage de Driss Jettou, président de la Cour des comptes, en commission parlementaire, le CESE a adopté, en fin de semaine dernière à Rabat, son nouveau rapport sur la gestion déléguée. Il s'agit d'un rapport réalisé suite à la demande du président de la Chambre des représentants du 15 avril 2015. Le manque d'information et de sensibilisation à ce sujet, combiné à l'absence de voies de recours des usagers lésés ont poussé le CESE, comme la Cour des Comptes, à pointer du doigt les lacunes sur toute la chaîne de pilotage de la gestion déléguée. Objectif : proposer des pistes de réflexion et des recommandations à même de redéfinir le modèle de gestion déléguée des services publics locaux au Maroc. Changement donc de paradigme. Les recommandations Si la gestion déléguée a été pendant longtemps une bouée de sauvetage pour des communes débordées et sans expérience dans le transport, la distribution de l'eau, de l'électricité ou la collecte des déchets ménagers, elle, est aujourd'hui critiquée. Certes, comme l'explique le rapport du CESE, si elle a le mérite d'avoir professionnalisé les secteurs concernés, elle présente des carences en matière de respect des cahiers de charges. Principalement en ce qui concerne les engagements d'investissements, pas toujours respectés. Pour y remédier, le CESE recommande que toute forme de cession des services publics, y compris les contrats de gestion déléguée prévoit le cas échéant le recours au principe de substitution en cas de défaillance d'un opérateur, toujours dans un souci de continuité et de qualité des services publics, car il s'agit là de deux principes garantis par la Constitution de 2011. En effet, la continuité, l'égalité d'accès et l'adaptabilité des services publics sont mis en exergue dans deux des articles de la loi fondamentale (Art 154 et 156). Le principe d'adaptabilité est tout aussi crucial dans le sens où les besoins des usagers évoluent avec le temps et que les exigences vont toujours crescendo. Comme la Cour des comptes, le CESE convient qu'il faut aujourd'hui réviser le système de gestion déléguée pour presque tous les services vitaux. Il exhorte les pouvoirs publics à avoir recours aux études avant de choisir le mode de gestion d'un service public. Suite à quoi le délégataire sera arrêté sur le mode le plus opportun : recourir à une gestion directe, faire appel à une régie directe gérée de manière autonome ou établir un contrat de gestion déléguée ou un contrat de Partenariat public-privé. La sacrosainte option de la gestion déléguée, quels qu'en soient les coûts doit être ainsi bannie. Or si le choix est porté sur la gestion déléguée, il importera alors de choisir quel type de contrat et de s'entourer des garanties nécessaires à sa réussite. Concession, affermage, contrats de gestion ou de service ? Enfin, une fois le mode de gestion déléguée arrêté, il conviendra de mettre en lumière ses critères et conditions de réussite. Scénarii Le rapport du CESE relève ainsi trois critères principaux. Primo, clarifier et faire aboutir l'arsenal juridique et réglementaire associé à la délégation de service public, ceci pour permettre aux collectivités délégantes ainsi qu'aux sociétés délégataires de bénéficier d'un outil clarifié et sécurisé. Secundo, améliorer les modes d'établissement et de gestion des contrats de gestion déléguée visant à en faire un levier de développement économique, social et environnemental. Tertio, mettre en place des mesures d'accompagnement des projets de gestion déléguée en termes de transparence et de gouvernance. Mais qu'en est-il aujourd'hui dans la pratique de tous les jours. Sur ce point, le rapport du CESE est sans compromission. Il met en exergue le constat suivant : le délégataire conteste fréquemment les avis formulés par les auditeurs externes, rendant inapplicables les recommandations qui en découlent. L'on sait, par ailleurs, que les deux parties contractantes recourent à une commission ad hoc pour traiter les résultats des audits contestés donnant lieu à de longues négociations souvent sans résultat probant. Sachant que les révisions des contrats doivent aboutir au plus tard tous les cinq ans. Ces va-et-vient se transforment en révisions décennales voire plus, compromettant l'équilibre financier et économique de la gestion déléguée. On se renvoie la patate chaude de gouvernement en gouvernement jusqu'à à ce que la revendication citoyenne tonitruante donne le signal d'alarme, comme ce qui s'est passé dans le nord.