De 2009 à 2013, le contexte et les priorités ont fortement évolué dans différents pays d'Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Algérie, Egypte) censés abriter ce projet, aux ambitions herculéennes – un peut trop peut-être. La crise européenne, quant à elle, n'est évidemment pas pour arranger les choses. De Rabat au Caire, en passant par Alger et Tunis, mise au point sur l'avancement d'un projet en perte d'intérêt stratégique progressif auprès des gouvernements nord-africains.... Trois ans après son lancement, Desertec s'enfonce de plus en plus dans un immense désert d'incertitudes, liées à sa concrétisation. «Un approvisionnement énergétique durable d'une grande partie du monde à travers l'exploitation du potentiel énergétique solaire des déserts». L'objectif reste le même au sein de la Desertec industrial initiative (Dii), le consortium industriel privé dont la mission est «la création des conditions favorables à une mise en œuvre rapide de ce concept en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (EUMENA)». Le fait est qu'entre le rêve et la réalité, il peut parfois exister un gap infranchissable. Dans la région nord-africaine, au lendemain des évènements communément appelés «printemps arabe», les approches des différents pays engagés - ou désengagés - vis à vis du projet soulèvent beaucoup d'appréhensions sur la concrétisation de l'initiative dans les délais prévus. Dii multiplie les accords pour s'assurer le soutien des pays de la rive Sud de la Méditerranée, mais la première centrale tarde encore à sortir de terre... Maroc... «On y est, on y reste» Le royaume est l'un des deux pays de la région qui semblent encore conserver un certain engagement pour la réalisation du projet. Il faut savoir que l'adhésion du pays est capitale à la réussite de l'initiative, puisqu'il est le plus avancé dans la mise en œuvre de son propre programme solaire et devrait également abriter la première centrale de Desertec sur son sol. Cet engagement s'est en tout cas manifesté en novembre dernier. Des représentants du gouvernement marocain ont fait le déplacement à Berlin pour cosigner, avec leurs homologues de cinq autres pays (Allemagne, France, Italie, Malte et Luxembourg), «un accord d'intention sur le premier projet de coopération Desertec entre des Etats membres de l'Union européenne et le Maroc». Le business plan de ce projet pilote, élaboré par Dii et la Moroccan agency for solar energy (Masen), est prêt au déploiement. Des bailleurs de fonds ont été trouvés, les premiers financements sont prêts à être versés. Problème : l'Espagne, partenaire stratégique et sans qui l'accord ne peut être mis en œuvre, refuse de s'engager, sans doute pour des raisons dans lesquelles se mêlent politique et économie. «Nous étions à deux doigts de débloquer les financements des premières installations de ce projet pilote, qui devrait se réaliser au Maroc pour un coût global de 600 millions d'euros. Mais ce premier pas a été bloqué par nos voisins espagnols», nous explique le Pr. Mustapha Ayaita, cofondateur de la Desertec Foundation et coordinateur du réseau académique REUNET. «Les Espagnols se sont dits assez préoccupés par la crise. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls, puisque d'autres grands membres de l'initiative, à l'image de l'allemand Bosch, se sont également retirés du projet», poursuit l'expert marocain. Le groupe industriel allemand Bosch a en effet annoncé, en novembre dernier, abandonner sa participation à l'initiative Desertec, en raison «d'une situation économique plus difficile». Il faut savoir que quelques semaines auparavant, les mêmes motivations ont poussé Siemens, un autre géant allemand du projet, à jeter l'éponge. Cet enchaînement de sorties n'est pas pour rassurer les initiateurs de Desertec. «Personnellement, je reste toutefois optimiste sur le fait que le programme se réalisera très vite et que le Maroc sera le premier pays à en accueillir les premiers projets». Le Maghreb sauverait-t-il l'initiative d'un échec certain ? Ce serait, quoi qu'il en soit, sans doute sans compter avec l'Algérie... Algérie...Hésitations et ambiguïtés Après plusieurs réticences exprimées à s'engager au sein de l'initiative - un retrait officiel aurait même été envisagé - l'Algérie semble un peu moins enthousiasmé par la perspective d'être une centrale électrique au profit du continent européen. Une impression qui a sans doute poussé Dii a approché les autorités algériennes, en décembre 2011, pour leur proposer un accord de coopération avec le fournisseur d'électricité public algérien Sonelgaz. L'objectif officieux de ce contrat est surtout, pour Dii, de s'assurer l'engagement de ce pays, au potentiel solaire très important. Quant à la version officielle, elle est de «faire avancer le développement des énergies renouvelables, d'appuyer la stratégie de l'Algérie sur les énergies renouvelables et de rendre possible la mise en place d'une coopération avec l'Europe, portant sur des projets de référence concrets, par exemple sous la forme d'un accord d'exportation». Le contrat entre Sonelgaz et Dii porte ainsi sur l'identification de projets de référence avec une capacité totale de 1 GW – dont 900 MW sont destinés à l'exportation et 100 MW à l'approvisionnement local. Une année après, la position des autorités algériennes vis-à-vis de Desertec, est toujours ambiguë. «Je ne peux pas vous parler des raisons qui nous ont poussés à envisager un retrait de ce projet. Ce que je peux vous dire, par contre, c'est que Desertec est une initiative industrielle qui pourrait avoir des retombées très intéressantes sur les aspects technologiques et de sécurité énergétique pour les pays de la région. Il y a beaucoup de choses à y gagner», nous confie le Dr. Belkacem Bouzidi, chercheur, responsable au Centre algérien de développement des énergies renouvelables. «Je pense qu'il faudrait que les différentes parties prenantes se retrouvent autour d'une table et essayent de négocier pour trouver un compromis et travailler ensemble. Le dialogue est le seul moyen de dépasser les blocages, de voir ce qui ne marche pas dans ce projet et d'aplanir les divergences», poursuit l'expert algérien. Il faut savoir qu'à l'instar de son voisin immédiat, l'Algérie dispose depuis 2011 d'un programme de développement des énergies renouvelables et de promotion de l'efficacité énergétique. L'objectif est d'installer une puissance d'origine renouvelable de près de 22.000 MW entre 2011 et 2030. À cette échéance, 40% de la production d'électricité de ce pays devrait être d'origine renouvelable. Tunisie... Les priorités sont ailleurs ? La Tunisie a effectivement adhéré à l'initiative de Desertec. Ce pays abrite d'ailleurs depuis 2011 le bureau de la Dii, dont la mission est de coordonner les activités du consortium en Afrique du Nord. De plus, la branche spécialisée sur les énergies renouvelables, STEG Energies Renouvelables, filiale de l'entreprise de service public STEG, est aujourd'hui parmi les membres de Dii. La société tunisienne et le consortium collaborent en effet déjà à l'élaboration des études de faisabilité liées au potentiel de la Tunisie en termes d'énergie éolienne et solaire, les conditions techniques et réglementaires préalables, ainsi que les possibilités d'interconnexion avec l'Europe (Tunisie-Italie). L'étude porte également sur l'identification de projets de référence (PV, CSP, CSP hybride), avec une capacité totale à installer de 1GW. Tout cela a constitué le fond d'un accord signé, la même année, entre la Dii et la STEG Energies Renouvelables. Cependant, si l'engagement est clair, les réalités sociales, politiques et économiques que traverse actuellement le pays, tendent à éclipser Desertec. «Je pense que dans nos pays respectifs, nous devrions d'abord miser sur les petits projets avant de penser à concrétiser des initiatives aussi immenses que Desertec. Nous sommes aujourd'hui dans le grand besoin de créer de l'emploi et des entreprises. Les priorités sont ailleurs pour le moment», commente Tahar Achour, responsable au sein de la structure gouvernementale tunisienne : la Chambre syndicale nationale des énergies renouvelables (CSER). «Il faudrait d'abord que nous réussissons à promouvoir des initiatives plus petites, plus simples et bien sûr plus efficaces, dans nos propres pays», poursuit le responsable tunisien. Pour ce dernier, le programme tunisien «Prosol», qui porte sur la promotion du recours au chauffe-eau solaire dans les habitats, est la parfaite illustration de ces initiatives nationales, plus promptes à créer des emplois et à permettre le développement d'une filière locale industrielle. «Les méga-projets photovoltaïques et éoliens, sont certes importants. Toutefois, ils demandent énormément de souffle en investissements, un financement que nos pays et ceux de l'Union européenne, surtout, ne peuvent plus mobiliser dans la conjoncture économique actuelle», déclare le responsable tunisien. La Tunisie est arrivée, grâce au programme «Prosol» et en l'espace de sept ans, à créer 4.500 emplois directs. Egypte...Savoir-faire contre soleil C'est l'un des tous derniers actes posés par Dii dans la région. Le consortium s'est en effet associé, le 30 janvier dernier, avec le New and Renewable Energy Authority, l'organisme public égyptien dédié aux énergies renouvelables. Un grand signe après les perturbations politiques qui ont secoué ce pays, pourtant parmi les plus ambitieux dans le secteur. «Cette coopération vise à appuyer les institutions locales égyptiennes afin de développer des capacités en potentiels énergétiques renouvelables du pays et d'accélérer le déploiement de projets dans ce domaine», selon un communiqué officiel de Dii. Selon le management de cette structure, a coopération des institutions égyptiennes avec différents acteurs en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (EUMENA) pourrait, sur le long terme, «stimuler la création d'un marché de l'électricité intégré, comportant des bénéfices pour toutes les parties impliquées». Les domaines dans lesquels devraient s'exercer cette coopération comprennent l'échange d'informations, en particulier sur l'analyse des ressources solaires et éoliennes, la capacité du réseau de transport d'électricité existant et sa potentielle expansion, la performance des technologies de production d'énergies renouvelables, les cadres juridiques, les outils d'incitation à l'investissement dans les énergies renouvelables en Egypte et dans la région MENA, les opportunités de transport de l'électricité verte de l'Egypte vers l'UE et les mécanismes de soutien locaux pour des projets d'énergie renouvelable en Egypte. Le pack est complet et ressemble en tous points à celui proposé à la Tunisie et à l'Algérie. D'ici 2020, l'Egypte ambitionne de porter les énergies renouvelables à 20% de la production d'électricité nationale. L'éolien devrait jouer un rôle central.