Fouad Laroui Il est la preuve que l'écriture marocaine d'expression française est très bien perçue et qu'elle n'était pas morte. Fouad Laroui a rejoint la liste des deux autres marocains lauréats du Prix Goncourt: Tahar Benjelloun, Goncourt du roman en 1987 et membre de l'Académie Goncourt, et Abdellatif Laâbi, Goncourt de la poésie en 1999. Laroui séduit avec sa nouvelle «L'étrange affaire du pantalon de Dassoukine». Rencontre avec une plume affutée... «C'est quoi, un prix? Si on y réfléchit bien, le Goncourt, c'est 10 écrivains chevronnés, les membres du jury, qui vous reconnaissent comme un des leurs, qui vous disent que votre livre les a touchés, intéressés, émus... Vu comme cela, on ne peut qu'être heureux de ce coup de chapeau confraternel». C'est comme cela que l'écrivain marocain qui a gagné le Prix Goncourt le 7 mai dernier prend la nouvelle ! Il est sûr que pour se voir décerner un tel prix avec un roman qui a pour titre : «L'étrange affaire du pantalon de Dassoukine», dont le recueil publié aux éditions Julliard en 2012 propose des récits délicieusement cocasses et très profonds, ne peut émaner que d'une plume affutée, qui ose et qui n'a pas sa langue dans la poche. L'auteur dépeint avec humour et ironie des situations presque absurdes où des Marocains se mettent comme celui du fonctionnaire de son roman qui est chargé d'acheter à Bruxelles du blé pour son pays et se retrouve sans son pantalon, qu'on lui a volé. Obligé de se présenter devant la Commission européenne, il se retrouve à accomplir sa mission dans une défroque digne d'un clown. «Je vis depuis l'âge de vingt ans dans des pays où la censure n'existe pas : France, puis Angleterre, Belgique et maintenant les Pays-Bas. Je ne me suis jamais soucié de cela. En revanche, je pratique une certaine forme d'autocensure: je ne fais pas dans la description de mœurs scandaleuses, ni non plus dans les historiettes à l'eau de rose pour adolescents attardés», avoue tout simplement Fouad Laraoui. Issu d'une famille originaire d'Oujda, Fouad Laroui intègre l'école Balzac de Kénitra avant le Lycée Lyautey de Casablanca. Bac en poche, il est accepté aux classes préparatoires à l'issue desquelles il est reçu à l'Ecole nationale des ponts et chaussées en France, dont il sort avec le diplôme d'ingénieur. Il poursuit son cursus en intégrant l'Office chérifien des phosphates à Khouribga pendant 5 ans avant de décider d'opter pour d'autres horizons, tels celui de la Commission européenne à Bruxelles, à l'époque de Jacques Delors, avant de se diriger vers le Royaume-Uni, où il séjourne quelques années à Cambridge et à York. Il obtient un doctorat en sciences économiques et s'installe à Amsterdam où il enseigne l'économétrie puis les sciences de l'environnement à l'Université. L'économiste est rattrapé par sa passion de l'écriture et continue d'écrire en parallèle à sa carrière professionnelle. Il est aujourd'hui professeur d'économie, puis de sciences de l'environnement à Amsterdam. Il y enseigne la littérature maintenant et aussi l'épistémologie. «Et j'ai publié une vingtaine de livres», rappelle l'écrivain, qui a toujours rêvé de poursuivre ce chemin. «J'ai toujours voulu être écrivain, depuis l'âge de huit ans, si je me souviens bien. J'étais à l'école Charcot d'El Jadida, quand j'ai écrit ma première histoire. Je me souviens même du titre, Paméla. Depuis, je n'ai cessé d'écrire. Mais être publié, c'est autre chose», confie l'écrivain qui est également chroniqueur littéraire à l'hebdomadaire Jeune Afrique, de la revue Economia et à la radio marocaine Médi 1. L'auteur qui raconte des faits de société dans ses romans n'en est pas à sa première histoire avec le Prix Goncourt. Il a en effet été sélectionné en 2010 avec «Une année chez les Français», qui raconte l'histoire de Mehdi, un jeune villageois de l'Atlas qui fait sa rentrée en tant que boursier au lycée Lyautey de Casablanca, établissement où l'auteur a lui-même été élève. «Je m'inspire de ce que je vois autour de moi. Le monde est cocasse, absurde, émouvant, révoltant, beau et laid... Il suffit de regarder. Il y a des histoires partout, tout le temps...», explique l'auteur, qui dénonce les faits de société sans retenue aucune, choqué par «Le fanatisme, la cruauté, la bêtise. Je suis servi, dans le monde où nous vivons». L'auteur qui ne mâche pas ses mots, convainc un jury de connaisseurs avec sa nouvelle. Le Prix a été décerné à l'issue du vote des membres du jury, appelés à départager les quatre candidats en lice, qui sont, outre Laroui, Frank Courtès «Autorisation de pratiquer la course à pied» (JC Lattès), Blandine Le Callet, «Dix rêves de pierre» (Stock) et Mathieu Rémy, «Camaraderie» (L'Olivier). Mais quel est donc le secret de Laroui ? Quels sont les ingrédients pour qu'un roman marque ? «Il y a une combinaison magique qui comporte trois éléments : l'histoire, le style et l'intention (morale, militante, etc) Si ces trois éléments sont présents et s'ils se renforcent l'un l'autre, le roman est réussi», avoue l'écrivain, qui s'inspire de tous les genres de littérature possibles. «Je lis énormément et dans des domaines très variés, sauf la science-fiction que je n'arrive pas à prendre au sérieux, étant moi-même scientifique et ingénieur. Le roman, bien sûr, mais surtout les grandes biographies et les livres d'histoire. Pour les auteurs contemporains que je lis avec plaisir, il y en a trop pour les nommer...». L'écrivain assoiffé de savoir et auteur d'une vingtaine d'écrits avoue vouloir «se reposer un peu», après la récompense. Celui qui ne mâche pas ses mots en les mettant noir sur blanc ne compte pas s'assagir avec le temps, au contraire «Je ne crois pas être enragé... Mais si vous voulez dire indignation, alors oui, je compte bien continuer de m'indigner tant que les raisons de le faire seront là. Et tant que les gens ne respecteront pas le feu rouge devant Bab Rouah à Rabat». Point final !