Hicham Benohoud Photographe-plasticien Hicham Benohoud ne fait rien comme les autres. Il est photographe, mais se définit comme plasticien. Il capte des moments anodins de la vie comme une salle de classe ou des moments improbables, comme un âne dans un salon pour en faire quelque chose de fou, décalé, original et surtout vivant à chaque fois. Son œuvre fascine, interpelle. Un grand pas pour le professeur de Marrakech dont l'appareil photo a comblé l'ennui il y a 25 ans de cela. Il expose à partir du 21 novembre prochain au musée de la Fondation Abderrahman Slaoui à Casablanca. Une découverte de Cultures Interface et de Nawal Slaoui. Les ECO : Comment définiriez-vous votre travail artistique ? Quel est votre plus par rapport aux artistes de Cultures Interface ? Hicham Benohoud : Tout d'abord, je me suis toujours défini comme plasticien. Dans ma pratique artistique, il est vrai que j'ai utilisé essentiellement le médium photograhique, mais cela ne m'a pas empêché de toucher à d'autres formes artistiques telles que la peinture, la vidéo, l'installation ou la performance. Je fais partie d'une génération qui a refusé de se cantonner à une technique, à un style ou à une forme artistique bien déterminée. J'ai toujours utilisé le médium qui s'adapte à ce que je souhaite exprimer. Des fois, dans le même projet, j'utilise des formes artistiques multiples mais complémentaires et qui rendent compte d'un concept donné. Dans mon travail artistique, je porte un regard critique sur ma société. Par rapport aux artistes de Cultures Interface, ma sensibilité et le regard que je porte sur ma société et sur le monde sont personnels, mais c'est le cas aussi des autres artistes qui ont, chacun, une individualité marquante. Comment s'est faite la rencontre avec Cultures Interface ? Je connais Nawal Slaoui depuis quinze ans. J'avais fait une exposition personnelle à l'Institut français de Marrakech en 1998 et elle est venue voir mon travail et me proposer de le montrer à l'Espace Actua à Casablanca, qu'elle dirigeait à l'époque. Depuis cette date, on a gardé des liens forts. J'ajoute que c'était la première collectionneuse marocaine à avoir acquis quelques-unes de mes oeuvres et elle continue toujours. Dernièrement, elle a produit ma dernière série photographique. Votre approche photographique est fondée sur la mise en scène. Pourquoi ce choix ? En effet, mon approche photographique est basée sur la mise en scène. J'ai toujours refusé de réaliser des instantanés ou de photographier le monde tel qu'il apparaît. Je construis un univers qui n'a jamais existé et je le fige sur ma plaque sensible. J'agis sur mon environnement immédiat en changeant l'ordre des choses pour proposer une vision personnelle. Je préfère agir que subir. Vous avez débuté dans la photographie en captant les images de vos élèves, en classe... Il y a vint-cinq ans, j'étais professeur d'arts plastiques dans un collège à Marrakech. Pendant mes cours, je m'ennuyais terriblement. Pour remédier à cette situation, j'ai eu l'idée de photographier mes élèves quotidiennement. Au départ, j'ai aménagé un petit espace au sein même de ma salle de classe en guise de studio de fortune. Les premières prises de vue se présentaient sous forme de photos d'identité sur fond blanc, avec des diapositives ou des pellicules en noir et blanc, selon les bobines que j'avais à portée de main. Plus tard, j'avais ressenti le besoin de provoquer des situations plutôt que de réaliser des portraits répétitifs à l'infini. C'est alors que j'ai commencé à imaginer des scènes et que je demandais à mes élèves de poser pour moi, ce qui a donné par la suite la série photographique intitulée «La salle de classe». C'est un travail que j'ai développé pendant sept ans. J'ai eu la chance d'avoir un laboratoire que l'Institut de Marrakech avait mis à ma disposition pour pouvoir réaliser moi-même le développement et le tirage de mes clichés. Après une petite décennie dans l'enseignement, j'ai claqué la porte pour partir vers d'autres horizons et nourrir ma pratique artistique. Je me suis installé pendant quelques années en France où j'ai pu faire des résidences d'artistes, visiter des ateliers, visiter les musées et les centres d'art contemporain, mais aussi échanger mes expériences en animant des workshops dans différentes écoles des beaux-arts en France. Pendant mes différents voyages en Europe, en Afrique, en Amérique latine ou dans d'autres contrées, je n'ai pas cessé de photographier les gens qui acceptaient de poser pour moi, toujours dans des mises en scène, mais à chaque fois avec des dispositifs différents. Je cite comme exemple «30 familles», «36 poses», «Suspensions», «Azemmour», «Kinshasa», etc. Quand je ne trouve pas de modèles, je fais des autoportraits comme «Version Soft», «Half Couple» ou encore «Inter-Version». Ces oeuvres ont été montrées à Paris, à New York, à Tokyo, à Bruxelles, à Londres, etc. Avez-vous un rituel de travail ? Comment procédez-vous pour capter l'image qu'il faut ? Comment travaillez-vous ? D'habitude, ce n'est pas moi qui cherche les modèles. Quand j'ai un projet dans le cadre d'une résidence d'artiste, à l'occasion d'expositions personnelles ou parfois dans le cadre d'une commande publique en Europe, je demande aux responsables de ces institutions de me trouver des modèles et de fixer les rendez-vous. En règle générale, je travaille beaucoup en amont. Avant de rencontrer mes modèles, je prépare des croquis dans mon atelier ou au moins, je fixe les orientations de mon intervention. Avec ce mode opératoire, je contrôle mieux la situation. Contrairement à la majorité des photographes qui entament un échange avec leurs modèles, pour «mieux saisir leur âme», je travaille d'une manière radicalement opposée. C'est une démarche qui choque beaucoup les gens, mais pas mes modèles qui sont informés à l'avance qu'il n'y aura pas ce genre d'échanges avec le photographe. Ma démarche consiste à photographier des modèles dont j'ignore totalement l'identité. C'est dans cette relation ou plutôt cette non-relation que j'ouvre le champ des possibles. Quel est votre prochain projet photographique ? Mes projets photographiques sont nombreux, mais je n'en parle pas avant de les réaliser. Le dernier que je viens d'achever s'intitule «Ane situ». J'ai photographié des ânes dans des intérieurs de Casablanca. La difficulté était de convaincre les gens de me prêter leur salon pour cette intrusion. Nawal Slaoui qui a produit ce projet a réussi son pari. Une exposition personnelle est prévue à partir de 21 novembre prochain au musée de la Fondation Abderrahman Slaoui pour faire découvrir au public marocain cette nouvelle série d'une trentaine de photographies.