C'est dans l'euphorie, encore perceptible de l'adoption de la nouvelle Constitution, que le souverain a tenu à rappeler l'ampleur des défis majeurs qui attendent le Maroc pour la décennie qui commence. Il est vrai qu'à ce jour les débats sur les enjeux du processus ont été, de long en large, dominés par l'aspect politique de la réforme, reléguant les questions socioéconomiques au second plan. Or, c'est ce dernier volet qui pourrait donner sens à la mise en œuvre du nouveau référentiel politique dont les jalons ont été axés autour du développement humain. La démocratie ne se mange pas, comme dit la célèbre maxime et c'est, en substance, cette problématique qui a sous-tendu le discours royal du 30 juillet dernier. Mohammed VI a, en effet, prévenu que «le nouveau pacte constitutionnel et politique (...) risque d'être purement formel, s'il ne s'accompagne de l'émergence d'un contrat social et économique solidaire, permettant à chaque citoyenne et citoyen de ressentir l'impact positif de l'exercice de ces droits sur leur quotidien et sur la dynamique de progrès que connaît leur pays». En clair, a expliqué le souverain, «la mise en œuvre des mécanismes prévus par la nouvelle Constitution ne devrait pas nous faire perdre de vue la nécessité de poursuivre les efforts engagés en matière de développement». Et mieux encore, si la réhabilitation et la moralisation de l'action politique, dans tous ses sens, constitue une base préalable à la mise en œuvre du nouveau dispositif institutionnel et politique, le souverain n'a pas manqué de préciser que la Constitution devrait au regard de l'impératif de bonne gouvernance qu'elle implique «constituer un puissant levier pour accélérer le rythme de ce processus, tout en veillant à la préservation des équilibres macroéconomiques et financiers devenue, désormais, une règle constitutionnelle». Un objectif somme toute logique, mais qui paraît assez audacieux au regard du contexte actuel dans lequel navigue l'économie nationale. Jusque-là certes, la préservation des fondamentaux de l'économie nationale a été un sacrosaint principe de la gouvernance politique en dépit des fluctuations qu'a connues le secteur, tant au plan national qu'international. La préservation des équilibres macroéconomiques et financiers est même citée au premier rang des arguments mis en avant par le gouvernement pour expliquer la résilience de l'économie nationale et surtout sa résistance face aux multiples chocs qui ont affecté l'économie internationale. Mais les effets ravageurs de la dernière crise économique ainsi que les relents, encore présents, du «printemps arabe», sont venus mettre à nu les risques de déséquilibres vers lesquels tend l'économie nationale, notamment sur le plan de la maîtrise du déficit budgétaire. Les nombreuses concessions accordées par le gouvernement afin de maintenir la stabilité sociale, notamment par le biais de la compensation ainsi que les mesures sociales prises dans le même sens n'ont cessé de creuser le déficit budgétaire et, pire, tendent à hypothéquer l'action des futures autorités qui n'auront qu'une marge de manœuvre assez restreinte pour appliquer leurs programmes, quels qu'en soient les bords politiques. Surtout que la préservation de ces fondamentaux est, désormais, érigée en principe constitutionnel, ce qui apparaît comme un défi énorme pour les partis politiques qui ne doivent, en aucun cas, perdre de vue cet horizon dans l'élaboration de leurs programmes politiques respectifs, tout en veillant à apporter des réponses concrètes aux aspirations quotidiennes des Marocains. C'est là, d'ailleurs, tout le nœud de la question et pour lequel le souverain, conscient de sa délicatesse, a estimé nécessaire l'adoption «d'un nouveau pacte économique» qui devrait s'appuyer sur «une nouvelle génération de réformes profondes, propres à faciliter pour chaque citoyen les conditions d'accès à (...) un enseignement utile, un emploi productif, une couverture médicale efficiente, un logement décent et un environnement sain, outre un développement humain, assuré notamment à travers la poursuite de la réalisation optimale des programmes de l'Initiative nationale pour le développement humain». Contexte peu favorable Le constat qui s'impose aujourd'hui à tous, c'est que l'économie nationale marocaine est, plus que jamais, à la croisée des chemins. Si les réformes engagées jusque-là ont permis de poser les bases d'une croissance relativement acceptable à travers l'émergence d'un secteur industriel assez dynamique, l'amélioration du climat d'affaires et le renforcement de la compétitivité nationale, il faut reconnaître que l'aspect social n'a pas connu la même dynamique. La résorption des déficits sociaux, qui était pourtant le cheval de bataille de l'actuel gouvernement, n'a pas donné de résultat probant et les tentatives de rattrapages engagées, cette année, n'ont concouru qu'à aggraver la situation, à tel point que certains experts ont, depuis, commencé à tirer la sonnette d'alarme. Aujourd'hui, si la feuille de route royale paraît bien tracée, l'équation se révèle des plus complexes. Le souverain a, en effet, insisté sur le «devoir d'être attentif à l'appareil de production, et de stimuler l'esprit d'initiative et la libre entreprise, en s'attachant notamment à encourager les PME», qu'impliquent les nouvelles dispositions constitutionnelles allant jusqu'à poser quelques pistes qui pourront servir de tremplin dans cette optique, notamment la consécration de «l'Etat de droit dans le domaine des affaires, prévoit une série de droits et institue un certain nombre d'instances économiques, chargées de garantir la liberté d'entreprendre et les conditions d'une concurrence loyale, ainsi que la mobilisation des dispositifs de moralisation de la vie publique et des moyens de lutte contre le monopole, les privilèges indus, l'économie de rente, la gabegie et la corruption». La grande interrogation, ce sont les moyens de parvenir à cette adéquation, laquelle, il faudrait le reconnaître, paraît improbable à court terme. Car il faut le dire, tous les leviers économiques et sociaux sont au rouge, même s'il n'y a pas encore des raisons de paniquer, comme l'estiment certains cercles d'experts qui mettent en avant le fait «que le seuil est encore soutenable». Mais jusqu'à quand et à quel prix ? Du reste, le passage vers l'alternative déclinée par Mohammed VI nécessite, à tout point de vue, quelques préalables que malheureusement le contexte actuel ne favorise pas. L'expérience de l'INDH a, certes, permis d'atteindre des résultats positifs sur le plan social, mais son impact reste, encore, principalement limité dans la lutte contre la pauvreté et ne permet, donc, pas d'atteindre à l'heure actuelle la réduction de la fracture sociale. Les grandes stratégies sectorielles qui sont, presque toutes, en voie d'atteindre leur vitesse de croisière, peinent à continuer sur la même lancée en raison d'une série de facteurs endogènes et exogènes qui sont de nature à atténuer sensiblement leur impact sur le vécu quotidien des citoyens du Maroc. Du coup, les défis auxquels fait face actuellement l'économie nationale appellent la conjugaison d'une série d'efforts collectifs qui pourront à moyen et long termes stabiliser la situation. Un processus dans lequel le futur gouvernement sera forcément appelé à opérer des choix, parfois radicaux, afin d'amorcer le décollage vers une croissance durable et véritablement humaine et surtout équitable. C'est du reste une alternative qui est actuellement mise en avant par l'équipe d'Abbas El Fassi pour ne pas alarmer l'opinion sur la situation des finances publiques qui ont particulièrement subi le coup des dernières mesures sociales consenties par le gouvernement. Le risque actuel de voir les déséquilibres économiques et financiers se creuser davantage, comme il a été souligné lors d'une récente conférence organisée par l'Institut Amadeus où le scénario le plus optimiste est apparu comme celui d'un déficit à 5%, est justifié par le contexte. Au plan interne, l'investissement public vit des mauvais jours alors qu'au niveau international l'apport des IDE peine encore à se relever de l'après-crise. Une situation qui n'est pas près de s'améliorer et qui surtout risque d'empirer davantage si le Maroc ne parvient pas, à court terme, à dynamiser les leviers pour une meilleure attractivité des IDE destinés à soutenir, éventuellement, l'économie nationale en profitant des opportunités qu'offre la reprise internationale. Les pistes de sortie de crise existent bien sûr, mais leur mise en œuvre nécessite une période transitoire au cours de laquelle la situation pourra être stabilisée en concourant surtout à l'effort national. Transition économique L'institut Amadeus s'est, récemment, penché sur la question de la réduction du déficit public qui a pâti de la recherche d'une paix sociale financée par le biais des deux poudrières «charges de personnel et Caisse de compensation». Selon les explications fournies par les experts présents à la rencontre, cette alternative illustre «un courtermisme de rigueur dans un contexte de lendemains incertains». Il ne s'agit point de contester par là «la décision d'augmenter les salaires des fonctionnaires qui fait débat, mais surtout l'absence de productivité engendrée, le coût des grèves toujours aussi pénalisant et surtout la non prise en compte du capital humain, décision politique incontestablement au cœur de ce débat économique». L'équilibre macroéconomique étant un impératif majeur, les participants ont été unanimes à reconnaître que la tâche du futur gouvernement «sera des plus ardues». Parmi les pistes explorées par les experts, investir pleinement dans des politiques consacrées au capital humain à travers l'amélioration de la qualité d'enseignement et l'éducation à la citoyenneté, dans le but d'atteindre une meilleure productivité. Les politiques de création d'entreprise et d'incitation à l'entrepreneuriat, trop souvent mises de côté au profit des projets dits de «grands chantiers», constituent, également, «l'un des vecteurs clés des bases d'une croissance structurelle». L'Institut Amadeus a aussi insisté sur le fait «qu'une amélioration de la productivité contribuerait grandement à redresser la balance commerciale qui, du fait d'une hausse continue des factures énergétique et alimentaire du Maroc, connaît une détérioration quelque peu inquiétante». Entre autres mesures, les experts ont également plaidé pour une réforme de la fiscalité, dans le sens de la traque des niches ainsi que la réforme, progressive, de la Caisse de compensation en vue de prendre en compte «la nécessité d'améliorer les approches de ciblages des populations en droit de pouvoir en bénéficier. Néanmoins, bien qu'indispensable, la réforme de la Caisse de compensation doit être progressive afin d'éviter tout dérapage social et politique. Des avis qui convergent avec ceux déjà exprimés, quelques mois auparavant, par le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, lors d'une conférence au centre Links de l'université de Casablanca sur le Maroc dans le contexte de l'après-crise. Le gouverneur de la banque centrale a émis comme pistes probables l'adoption de mesures optimales destinées à prendre en charge certains problèmes structurels comme l'accroissement de la compétitivité de l'économie nationale, le maintien de la consolidation de la «soutenabilité budgétaire», la rationalisation de certaines dépenses ainsi que des réaménagements à apporter à la politique monétaire et de change. Jouahri a également plaidé pour la poursuite de «la consolidation du secteur bancaire et de la modernisation du système financier ainsi que l'approfondissement de l'insertion de l'économie marocaine à l'international». Plus, le gouverneur de la banque centrale a appelé à une refonte des politiques sociales à travers la consolidation du lien social et d'appuyer le développement humain, sans lequel «aucune croissance économique n'est viable à long terme». Sans oublier l'éternelle question de la réforme de la compensation... Un paquetage de solutions qui semble réalisable et viable à long terme et que aujourd'hui la classe politique est appelée à mettre en œuvre en prenant en compte toutes les hypothèses. Car c'est de la réussite de cette étape que dépend, outre le pari sur l'émergence économique et la croissance durable, la restauration de la crédibilité des acteurs et de l'action politiques. Un test pour les partis politiques dans le nouvel ordre constitutionnel dont les premiers résultats seront attendus, avec impatience, dès 2012...