«Je ne voudrais surtout pas être à la place du prochain Premier ministre, ni de celui des Finances». Ce témoignage d'un économiste, lors de la rencontre, organisée par Amadeus la semaine dernière, pour débattre de la situation des finances publiques, en dit long sur le climat de craintes qui entoure la situation financière de l'Etat marocain, à la veille de la nomination d'un nouveau gouvernement. Ce contexte est d'autant plus problématique que, selon l'avis partagé de nombreux observateurs, le déficit budgétaire de l'année en cours risque de dépasser de loin le seuil des 4% préalablement fixé par le gouvernement. En exemple, il suffit de citer les prévisions allant jusqu'à 6% établies par l'institut Amadeus. «Le budget se porte bien. Le déficit ne devrait pas dépasser 5% et sera financé en grande partie par la baisse des charges de fonctionnement» relativisent tout de même les représentants du ministère des Finances. Quoi qu'il en soit, le rythme soutenu de l'investissement public, les charges de la Caisse de compensation et, surtout, les concessions sociales pour le moins imprévues, jettent de l'huile sur le feu pour faire exploser les dépenses publiques dans un contexte où les recettes ne suivent pas forcement la même tendance. C'est ce qui pousse économistes, acteurs politiques ou simples observateurs à tirer la sonnette d'alarme. «Il y a aujourd'hui deux types de déficit, l'un conjoncture, l'autre structurel. Le risque pour le Maroc est justement que le déficit conjoncturel qu'il connaît aujourd'hui se mue en déficit structurel», prévient l'économiste Driss Benali. Aujourd'hui, la situation est claire. La hausse vertigineuse que connaissent les dépenses publiques est due à des aléas conjoncturels. D'abord, il y a le contexte de grogne sociale par lequel est passé le Maroc durant le premier semestre et qui a contraint le gouvernement à mettre la main à la poche pour répondre aux revendications syndicales dans le cadre du dialogue social. En tout, c'est une enveloppe d'une dizaine de milliards de DH qu'il faudra mobiliser. À cela s'ajoute le coût non encore évalué des multiples grèves qu'auront connues plusieurs secteurs (justice, éducation...) qui ne manqueront pas non plus d'affecter les finances de l'Etat. Ensuite, c'est le problème de la Caisse de compensation, en marge de la hausse des prix des matières premières. Là encore, c'est une enveloppe supplémentaire de 15 milliards de DH qui est venue marquer de son poids les dépenses de l'Etat. Cerise sur le gâteau, le gouvernement qui a décidé des actions qui ont conduit à cette situation devra, vraisemblablement, laisser place à un autre dès octobre prochain et c'est ce dernier qui aura pour mission de trouver le financement de ce déficit et surtout, de redresser la barre pour l'exercice suivant. En d'autres termes, c'est une patate chaude que refile l'équipe de Abass El Fassi à son successeur. L'enjeu maintenant est de trouver le moyen d'empêcher que ces aléas n'affectent de manière structurelle des finances publiques mises à mal depuis plusieurs années déjà. Le prochain gouvernement osera-t-il donc revoir le modèle économique du Maroc, pour que justement le déficit conjoncturel ne devienne pas structurel ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que le modèle ne fait plus l'unanimité auprès des économistes. «Nous sommes aujourd'hui dans un contexte où le Maroc subventionne des produits à vocation sociale, sans s'assurer que cela permet d'améliorer la productivité», ajoute Benali. C'est à ce niveau que le déficit du Maroc pose problème, car le manque de productivité cause également un déficit au niveau de la balance commerciale, et partant, de la balance des paiements. On a beau mettre en place des plans de développement sectoriel, nous sommes toujours dans une situation où nos exportations n'arrivent pas à combler la hausse des importations. À ce titre, il y a lieu également de souligner que «les concessions salariales faites au profits des fonctionnaires vont également contribuer à la hausse des importations, vu que les Marocains penchent de plus en plus vers la consommation de produits étrangers», estime Abdeslam Seddiki, membre du bureau politique du PPS. De ce fait, contrairement aux autres pays émergents, le Maroc reste aujourd'hui largement importateur, en raison de l'orientation vers l'exportation de produits à «capital financier» au lieu de produits à forte valeur humaine. Le modèle monétaire est lui aussi pointé du doigt dans les problèmes économique du royaume. Selon Badr Alioua, directeur d'Attijari Gestion d'actif. «Il a certes permis de maintenir l'inflation, mais montre aujourd'hui ses limites, dans le sens où l'on n'arrive plus à dégager un solde positif au niveau du compte courant, d'où le problème du manque de liquidités». Cependant, là encore, les économiste estiment que l'amélioration de la productivité est un élément-clé, vu que «l'on ne peut pas avoir un régime monétaire fort, alors que la productivité reste à des niveaux bas», insiste Dirss Benali. Des pistes ... encore des pistes C'est dire les problématiques soulevées lors de la rencontre de l'institut Amadeus qui, au final, marquent de leur poids la situation à la fois des finances publiques et celles de l'économie en général. Pour y remédier, les pistes ne manquent certainement pas, mais de l'avis des experts elles dépendent principalement du courage politique qu'aura le prochain gouvernement. D'abord, «une extension de l'assiette fiscale serait un moyen indéniable pour combler le déficit budgétaire qui résulte des aléas conjoncturels», explique Seddiki. Or, pour ce faire, cela passe inéluctablement par une rigueur pour faire adhérer l'informel au circuit fiscal, chose qui n'a pas été constatée malgré la mise en place par le gouvernement actuel de mesures visant ce segment. «Une intégration de l'informel dans la comptabilité nationale pourrait à elle seule faire rehausser le PIB marocain de près de 25%», estime le représentant du PPS. La solution fiscale trouve certes un consensus, mais «il faut cependant que cela se fasse sans un alourdissement des taux, vu que ceux-ci sont déjà à des niveaux très élevés», insiste Younès Slaoui, co-fondateur d'Amadeus. Le courage politique sera également de mise pour la réforme de la compensation, qui n'aura que trop tardé dans les tiroirs des gouvernements qui se sont succédés ces dernières années. «Un benchmark avec des pays comme le Brésil et le Chili, qui ont su adapter le système de compensation pour qu'il soit exclusivement dédié aux pauvres, sans affecter les finances publiques, serait un moyen qui permettrait de concevoir une version finale de cette réforme», estime-t-on au sein du ministère des Finances. L'amélioration de la compétitivité de l'économie nationale, en instaurant une réforme de l'éducation à même de former des personnes qualifiées et donc à forte valeur ajoutée, conjuguée à une amélioration du climat des affaires est également une piste qui trouve un consensus auprès des experts économiques, afin justement de réduire le déficit de la balance commerciale qui, s'il perdure, risque d'être fatal à une économie qui n'est finalement pas aussi émergente qu'on le souhaite.