D'aucuns se souviennent des temps difficiles pour les finances publiques que le Maroc a traversés dans les années 80. En 1983, le pays n'avait qu'une semaine d'importations en réserves de changes, sans parler des concessions colossales imposées par le FMI dans le cadre du fameux Programme d'ajustement structurel (PAS). Depuis, la situation est devenue toute autre, et le pays s'est même enorgueilli de sa résilience exceptionnelle face à la crise économique mondiale, qui a mis plus d'un mastodonte économique à genoux. Nous nous targuions aussi des indicateurs de nos finances publiques, comme bien meilleurs que ceux de plusieurs pays développés. Un ratio d'endettement faible, une inflation plus que maîtrisée, et un déficit budgétaire raisonnable. Mais comme le disent si bien les économistes pour mettre le doigt sur l'épée de Damoclès qui plane inexorablement sur nos équilibres macroéconomiques, «quand le Maroc s'ouvre, il s'offre». Notre balance commerciale n'ayant cessé de se détériorer, pour finalement atteindre nos réserves de changes et en amputer un mois d'importations comme estimé par le Haut commissariat au plan à fin 2011, dès que les effets du printemps arabe nous ont rattrapés. Le gouvernement, en fin de mandat, n'avait d'autre choix que d'engager des dépenses sociales sans compter, la patate chaude devant être de toute façon refilée aux gouvernements qui vont suivre. À quels déséquilibres devront-ils faire face ? Et quelles options pourront-ils mettre en œuvre pour redresser la barre ? Car de toute façon, il faudra tôt ou tard se serrer la ceinture. Une paix sociale cher payée Sur le plan politique et institutionnel, l'exception marocaine s'est de plus en plus confirmée depuis l'éclatement des révolutions des peuples arabes, pour déboucher enfin sur le nouveau texte suprême de la nation. Mais entre les deux termes, le gouvernement a dû gérer les frondes sociales et même en anticiper quelques-unes, à des coûts faramineux. 15 milliards de DH de plus pour la Caisse de compensation, augmentation générale des fonctionnaires, revalorisation du Smig et du Smag, et tout récemment, 670 millions de DH concédés pour apaiser la colère du corps médical. Autant de dépenses non budgétisées, qui n'ont fait que creuser le déficit budgétaire. Il faut dire que si le Maroc affiche un taux d'inflation à faire pâlir les économies les plus performantes, ce n'est pas grâce à nos fondamentaux macroéconomiques, ni à l'excellence de notre politique monétaire. En fait, le taux qui s'est maintenu sous la barre des 2% est artificiel et a été obtenu grâce à la soupape budgétaire qu'est la Caisse de compensation. Défiant toute logique économique, c'est donc principalement la politique budgétaire qui explique l'évolution des prix à la consommation, bien plus que le taux directeur ou le niveau de la demande lié à la consommation des ménages et des entreprises. Le modèle se révèle intenable sur le long terme, et peut-être même sur l'horizon moyen, si la dégradation des indicateurs se poursuit, comme c'est d'ailleurs pressenti par le HCP pour l'exercice 2012 (www.lesechos.ma). D'ores et déjà, le HCP table sur une augmentation du prix implicite du PIB de 2,5% en 2012. Ce niveau pourrait être perçu par plus d'un comme optimiste, du moins si les réformes budgétaires structurelles devaient débuter dès la première année du mandat du prochain gouvernement. Le prix de l'ouverture Ceci étant, cette cascade d'événements récents n'a fait que mettre en exergue des symptômes déjà existants, mais jusque-là occultés par les bonnes performances de l'économie nationale et la stabilité relative de la charge sociale. L'ouverture totale des barrières douanières tarifaires interviendra dans moins de 6 mois, dès l'entame de 2012. Cependant, la hausse de productivité, seule à même de permettre aux exportations marocaines de faire face à la concurrence internationale est loin d'être au rendez-vous. Cette situation s'est vu aggravée après les récentes revalorisations des salaires minima, enlevant une part supplémentaire de la compétitivité nationale. Résultat: le taux de croissance des importations suit un trend haussier, alors que celui des exportations est sur une tendance baissière, creusant de plus en plus le déficit commercial. Il ne faudra donc pas compter, à court et moyen termes, sur les fondamentaux commerciaux du pays pour relancer les revenus de l'Etat. Un retournement de tendance dans le secteur du tourisme, et la relance des transferts MRE qui suivraient une reprise soutenue en Europe, pourraient toutefois sauver encore une fois la mise. Quelle option pour un moindre mal ? Pour sortir la tête de l'eau, le prochain gouvernement sera face à trois options possibles. Le recours à un mélange de ces options semble aussi la piste la plus vraisemblable. De toute façon, il n'y a pas de remède miracle, les trois options étant assorties d'effets secondaires plus ou moins indésirables. Il s'agit en l'occurrence, soit de sacrifier des points de croissance sur certains indicateurs, soit de procéder à des réaménagements fiscaux (pour ne pas dire des augmentations), soit de recourir à l'emprunt international. Pour la première, la logique repose sur le fait de réduire le train de l'investissement et de l'équipement pour boucher quelques trous, en sacrifiant au passage des points de croissance, le temps de retrouver un équilibre soutenable. La seconde consisterait à grappiller des revenus fiscaux supplémentaires, là où cela fera le moins mal, ou en tout cas, là où cela suscitera le moins d'opposition. La dernière, celle de l'emprunt international, est la plus improbable et risquée dans le contexte actuel, en ce sens où les Etats prêteurs traditionnels sont en manque de liquidités, et sont plus attelés à renflouer les caisses des pays européens au bord de la faillite, Grèce en tête. L'option de l'emprunt privé recèle, pour sa part, encore plus de risques, vu la cherté de ce type de dette et les garanties exigées. Il y a, en plus, le poids du service de la dette sur les exercices futurs. En attendant, l'Etat pourra pallier ponctuellement à court terme au plus urgent, en privatisant ce qui reste à céder, même si le timing n'est pas idéal pour en tirer le meilleur parti. Une chose est sûre, les gouvernements qui suivront seront au moins aussi impopulaires que celui d'Abbas El Fassi. C'est en tout cas le prix à payer pour redresser la barre tant que c'est encore gérable. Point de vue: Driss Benali, Economiste Dans l'immédiat, le gouvernement préfère acheter la paix sociale au prix de sérieux déséquilibres macroéconomiques. On s'est donc écarté de cette rigueur financière dont nous avons fait preuve depuis plusieurs années. Mais avions-nous d'autres choix? Il faut aussi dire que la conjoncture économique a également accentué ces déséquilibres. Il s'agit maintenant pour le gouvernement de gagner sur le court-terme et traverser la zone de turbulence sans trop de dégâts. Le prochain gouvernement se trouvera face à la nécessité de rétablir les équilibres économiques et financiers. La rigueur est incontournable, et l'impopularité qui va avec, aussi. J'insiste toutefois sur le fait que la situation est sérieuse sans pour autant être dramatique. Il faudra soit sacrifier des points de croissance, soit procéder à des réaménagements fiscaux, ce qui sera plus facile si la conjoncture se redresse, notamment pour le tourisme, les transferts des MRE et les IDE. Aussi, cette situation fait suite à l'ouverture de l'économie marocaine sans se donner les moyens de suivre la concurrence internationale. S'ouvrir a été synonyme de s'offrir. J'ai peur que le moyen et le long termes ne soient difficiles, à moins d'avoir un gouvernement fort, qui fait ouvertement face à ses responsabilités. Cela d'autant plus que la pression sociale ne va pas se réduire de sitôt, induisant encore plus de perte de productivité liée à la hausse des salaires. La logique économique veut que la hausse des salaires soit accompagnée par l'amélioration de la productivité, ce qui n'est pas le cas du Maroc actuellement. Et là, on revient au facteur structurel et déterminant que représente le capital humain. Il faudra consacrer le plus gros des efforts à l'investissement dans le capital humain.