Il est franco-marocain, berbère, musulman de Tinghir et il est à l'image de ce Maroc pluriel, ode de la diversité et de la tolérance. Kamal Hachkar a découvert, jeune que sa ville abritait des berbères juifs. Commence alors une quête identitaire qu'il a en parti résolue avec son documentaire «Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah» qu'il présente pour la première dans sa ville natale le dimanche 20 avril. Récit d'un exil, histoire d'une cohabitation à jamais gravée dans la mémoire... «C'était magique, fraternel, singulier, exceptionnel», tels ont été les mots du réalisateur et historien de formation, Kamal Hachkar après la projection de son documentaire Tinghir-Jérusalem à Tinghir dimanche dernier. Une expérience des plus émouvantes qui a connu un succès inattendu de la part de personnalités venues de loin, juifs et musulmans, intellectuels et analphabètes, artistes et artisans, presse nationale et internationale, tous venus découvrir ce bout de terre de tolérance et ce documentaire qui lève le voile sur la mémoire et le passé, que plusieurs veulent oublier. Mais Kamal Hachkar, lui, n'a jamais oublié... Il n'a jamais oublié ce que les murs ont vécu des années plus tôt où juifs et musulmans se côtoyaient en parfaite harmonie, où enfants des deux confessions jouaient ensemble, où les femmes partageaient les moments de fête, où les hommes travaillaient alors que les uns allaient à la mosquée et les autres à la synagogue, à quelques mètres l'une de l'autre. Les échos d'une mémoire collective Dans le documentaire «Tinghir-Jérusalem, Les échos du Mellah», Kamal Hachkar suit le destin de la communauté juive ayant quitté le village berbère de Tinghir au Maroc, dans les années 50/60. Originaire de Tinghir, le réalisateur nous emmène à la croisée des cultures et fait résonner les chants, les voix et les histoires de cette double identité partagée entre juifs et musulmans. Caméra à l'épaule, Kamal Hachkar a décidé de basculer de la théorie à la pratique. Historien de formation, il empoche sa maîtrise en dynastie Idrisside à la Sorbonne à Paris et décide de faire un doctorat en 2007 sur la communauté juive berbère de Tinghir. Pour faire les choses bien, il s'inscrit à une association «Parler en paix», qui oeuvre au rapprochement entre les communautés pour apprendre l'hébreux et approfondir son arabe, où il a l'occasion de faire des voyages en Palestine et en Israël afin de rencontrer la société civile des deux camps. «Nous arrivons dans un petit village du nord de la Galilée, du nom de Pki'in. Ce village est cosmopolite, il y a des Israéliens, des Druzes et des Arabes. Il me fait penser étrangement à un village de l'Atlas marocain» se souvient Kamal Hachkar. «Notre guide, Yossi, est un juif marocain, né à Casablanca. Nous sommes complices. Il garde une forte nostalgie de cette période... Et là, dans ce village, il rencontre un ancien ami avec qui il a fait kippour, un juif marocain lui aussi : du nom de Yossi également. Notre guide me le présente, en lui disant que je suis né dans le sud marocain : on échange en arabe et en anglais. Lui, est né en Israël mais ses parents, eux, sont nés au fin fond de l'Atlas. Ma curiosité s'éveille, j'ose demander quelle ville ? Et, là, stupéfaction générale, sa mère vient du même village que moi, Tinghir, une grosse bourgade coincée entre le Haut-Atlas et l'Anti-Atlas à 1.500 mètres d'altitude». Une coïncidence qui va marquer à jamais l'historien puisque c'est à ce moment qu'il décide de transformer sa thèse, trop intellectuel et pas assez accessible à tous selon lui, en un documentaire où l'image va jouer son rôle d'intermédiaire pour tous... C'est ainsi qu'il touche avec un documentaire en trois parties sur une quête personnelle à Tinghir, un voyage en Israel à la rencontre de cette communauté qui a quitté sa terre pour l'inconnu, et une dernière partie sur l'échange et la rencontre des deux communautés. Une des scènes les plus émouvantes est celle de l'appel téléphonique entre un juif berbère et le père du réalisateur qui se souviennent ensemble des jours heureux. On voit Sholom parler en berbère en insistant sur le fait qu'il n'a jamais pu oublier Tinghir et ses «vrais amis». Un travail de fond et de passion qui aura duré 4 ans et où le réalisateur a mené une véritable enquête, partie à la rencontre des gens, du passé, des histoires, des souvenirs enfouis... «Faire un film n'est pas une tâche facile, il y a des hauts et des bas mais aller à la rencontre des gens a été simple puisqu'il fallait seulement prononcer les mots magiques de «Maroc» et «Tinghir» pour que toutes les portes juives s'ouvrent à moi», confie le réalisateur qui se souvient de la première fois qu'il a décidé de s'intéresser au passé et à l'histoire. «J'étais sur une terrasse avec mon grand-père, nous revenions de France pour les vacances et toute la famille était pliée en quatre pour l'accueil en grande pompe. Mon grand-père me racontait son histoire de marché noir avec des amis à lui : David et Moshé. Je ne savais pas qu'il y avait des juifs marocains. Je connaissais l'histoire des juifs d'Europe, mais je ne savais pas qu'il y avait cohabitation entre les juifs et les musulmans dans mon village. Cela m'a marqué. Je pense que c'est pour cela que je suis devenu professeur d'histoire par la suite». De professeur d'histoire à réalisateur qui se respecte puisque «Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah» a été primé dans plusieurs festivals, notamment le Festival national du film de Tanger, le Festival international du film sur les droits humains de Rabat, le Festival international du cinéma et de la mémoire commune de Nador, le prix Ahmed Attia au Festival Medimed de Barcelone, le prix du meilleur documentaire au Festival international du film berbère de Paris et le prix du meilleur documentaire au Festival Jewish Eye de Ashkelon. Il ne restait plus qu'à le présenter à la source : à Tinghir. Le retour aux sources... Après plusieurs tentatives avortées dues à des refus ou des reports sans raison, Kamal Hachkar a enfin pu proposer son film aux habitants de Tinghir grâce au soutien du Centre Tinghir pour les médias et sud-maroc.com en partenariat avec l'Association Mqourn pour le développement. «Nous avons organisé tout cela en très peu de jours, j'ai eu le soutien de plusieurs personnes qui ont cru au projet», explique le réalisateur ému par l'expérience. «Avant de voir le film, je tenais à ce que tout le monde visite la vieille ville, là où je suis né, où habitait la communauté juive, là où tout s'est passé finalement». Chose promise, chose due puisque tout un parterre de personnalités ont répondu présent pour l'événement.«Je voulais que ce soit le plus vrai possible, à l'image de toute cette belle aventure et le pari est réussi», confie celui qui se félicite d'avoir rassemblé des gens aussi différents l'un que l'autre, mais qui n'ont pas perdu la mémoire. Grâce à cette aventure, Kamal Hachkar sait d'où il vient pour mieux avancer. Après un travail sur le passé, il envisage l'avenir avec la question de la femme, de l'art, du patrimoine judéo-arabe toujours à travers un nouveau projet autour de la chanteuse Neta ElKayan pour créer un pont entre les générations juives et musulmanes. Il n'oublie pas son amazaghinité et son Maroc ouvert aux autres puisqu'il travaille sur la création d'un festival international des cultures plurielles à Tinghir pace qu'«on a toujours besoin de l'autre pour savoir qui l'on est»...