Les Echos quotidien : Comment est née l'idée du spectacle «Dunes » que vous avez présenté mercredi à El Jadida ? Sidi Larbi Cherkaoui : Tout a commencé en 2004 lorsque j'ai rencontré la danseuse espagnole Maria Pagès. Tous les deux, on s'admirait mutuellement dans notre gestuelle en tant que chorégraphes, d'où l'idée de faire quelque chose ensemble. Je pense que c'est aussi la destinée qui nous a menés à monter un projet tous les deux, vu qu'on se rencontrait constamment et par hasard dans différents pays, notamment le Mexique et la Chine. Quand on a fait un voyage ensemble au Maroc, le déclic a eu lieu et nous avons décidé juste après de créer le spectacle «Dunes». Justement, pourquoi le choix de ce titre ? Je pense qu'un espace vide en transformation perpétuelle demeure idéal pour parler de personnes qui n'ont rien en commun. Dans cet espace, on peut s'exprimer librement, partager et surtout dialoguer. On ne peut pas parler de «Dunes » sans parler de désert. Le choix de cette thématique a-t-il une relation avec vos origines ? Absolument. Je pense que Maria et moi sommes reliés à cette esthétique de l'éphémère qui est en même temps éternelle. Ce paradoxe du sable par exemple qui est éternel mais qui se transforme constamment. Il n'est jamais la même chose. Dans notre spectacle, on parle d'une dune qui se transforme au fil des jours tout en restant la même. Il y a donc cette notion d'éternel et d'extrême fugacité. Ce constat est valable aussi pour les êtres humains. On se transforme tous les jours même si le monde où nous évoluons nous réduit à de simples clichés. À travers «Dunes», nous ambitionnons de montrer en tant qu'artistes qui voyagent tout le temps que nous ne sommes jamais pareils. Nos spectacles aussi se renouvellent chaque jour. En tant que danseur contemporain, comment faites-vous pour ne pas être réduit à «un simple cliché» et surtout pour ne pas tomber dans la banalité ? La banalité est dans l'œil de celui qui regarde. Il faut que nous regardions les mouvements sans les trouver banals. Il faut donc une réelle ouverture à réinvestir le mouvement. Vous savez, c'est l'énergie et la personnalité de chaque artiste qui font la différence. Lorsque je vois Maria Pagès danser, cela m'inspire. Ce n'est pas relatif à l'art, son parcours personnel m'intéresse également. J'ai donc toujours collaboré avec des gens qui m'inspirent. C'est très important pour ne pas tomber dans la banalité. Avec Maria Pagès, vous formez un duo fusionnel. Comment s'est créée cette complicité ? Les choses se sont passées d'une manière très spontanée. Une relation amicale nous liait avant même la mise en place de «Dunes», ce qui nous a beaucoup facilité la tâche sur le plan professionnel. Ce qui est étonnant c'est que nous sommes tout le temps d'accord au niveau de la démarche à adopter pour notre travail. Personne ne nous a imposé de collaborer ensemble. Ce n'est pas une rencontre forcée mais un choix personnel qui émane d'une admiration mutuelle. Cette complicité est restée en dehors de ce projet, puisque nous sommes tout le temps en contact. «Dunes» a été présenté dans plusieurs pays. Comment le public réagissait-il en assistant à ce spectacle de chorégraphie ? C'est curieux, mais la réaction du public était toujours la même dans les différents pays où nous nous sommes produits. Un silence et puis un tonnerre d'applaudissements. C'est vrai, le public diffère d'un pays à un autre puisqu'il est le reflet d'une éducation, de traditions... Mais avec «Dunes», les choses se sont passées différemment ! Quel est à votre avis le secret de la réussite de «Dunes» ? Je crois que c'est la simplicité qui nous donne toute cette force. Le fait de rester simples et sincères dans nos rapports est le secret de notre réussite. Ce sont des rythmes, des respirations, des mouvements et des émotions qui nous interpellent à chaque fois et nous encouragent à se poser des questions sur plusieurs thèmes, notamment la liberté. La thématique abordée dans ce spectacle est universelle, ce qui le rend accessible au large public. C'est vrai que c'est abstrait, puisqu'il n'y a pas de narration, mais les spectateurs y adhèrent. Pour la représentation de «Dunes» au Maroc, nous avons introduit des chants en arabe. C'est un réel plaisir de savoir que ces mots ont été entendus et pas juste sentis mais surtout compris. Une nouvelle lecture qui ne peut qu'enrichir notre travail. Concrètement, quel est le message que vous voulez transmettre à travers ce spectacle ? L'idée de l'égalité entre la femme et l'homme est parmi les messages importants de «Dunes». On voulait parler de nos ancêtres mais pas juste au niveau de la nationalité. Dans l'histoire, nous les Arabes avions vécu sept siècles en Espagne. Et ce sont ces mêmes Espagnols qui étaient en Belgique durant le XVI siècle. Mes ancêtres belges et marocains étaient donc de la même culture que Maria. C'est cela que nous tentons de montrer. Il y a des moments de rupture et de réconciliation. D'ailleurs, à la fin nous essayons de former une seule entité forte et homogène. Bref, «Dunes» est une quête identitaire. Pensez-vous que les prix sont importants dans la vie d'un artiste ? Ce n'est jamais quelque chose qui change la vie. C'est agréable certes, mais pas très important. Vous savez, il m'est arrivé de ne pas pouvoir être là pour les recevoir, vu que je suis tout le temps en voyage. La chose la plus importante pour moi c'est de faire ce que j'aime, en l'occurrence danser, le reste n'est que facultatif.