Au nom de l'art et de la création, dix jeunes artistes marocains et d'ailleurs ont investi la coupole de la Ligue arabe à Casablanca depuis le mercredi 6 jusqu'à aujourd'hui. Chapotée par le collectif Youth's Talking, l'exposition est organisée sous le thème «Corps décors». Chaque artiste s'est approprié la thématique et l'a modelée en fonction de ses affinités, de son vécu et de sa conception de la chose. Résultat: des peintures, photographies et installations assez éclectiques, imprégnées d'une fougue maladroite propre aux jeunes et paradoxalement nourries par une maturité artistique assez impressionnante, qui donnent aux fresques un air de renouveau. Ils ont ainsi ébranlé les codes figuratifs traditionnels et ont exploré de nouveaux terrains. Disséqué, défiguré, décomposé, le corps décor ou le corps contre le décor - plusieurs combinaisons ont été proposées - a pris diverses formes et interprétations, à l'image des tableaux exposés (Corpus) de Lou Ros, un jeune peintre français de 26 ans qui propose une œuvre où le geste se proclame maître. Le corps s'efface et se met au service de mouvements brusques et insolents, comme pour les visages qui sont quasi inexistants, une déshumanisation qui semble être en phase avec le contexte français actuel (débat sur l'identité nationale, stigmatisation des gens du voyage ou encore débat sur l'islam). Mais Lou Ros brouille les pistes d'un coup de pinceau libre, parfois déroutant, poussant à la réflexion sans message politique derrière, dans un jeu de peinture instinctive entre explosion de couleur qui en met plein les yeux et sobriété morose et glaciale. La peinture de Lou Ros suggère mais n'impose rien. Il laisse libre cours à l'imagination du spectateur et ne la confine pas. L'art se meut dans une réflexion politique avec le collectif marocain NAP (New Artistic Practices) fondé dans les années 2000 par Khalil Minka et Chihab Semlali. L'intervention du collectif est graphique et s'exprime par rapport à un système, celui des médias. Le duo Minka Semlali porte un regard critique sur ce système. Chacun propose sa version de l'histoire. Dans «Décoration», Chihab présente quatre tableaux graphiques de quatre présentateurs de JT (de 2M à CNN), qui portent des lunettes «de camouflage» et qui sont à moitié cryptés. L'artiste joue sur l'une des assises du système d'information qui est la transparence et lui donne un sacré coup. Les médias sont «le décor», alors que les individus représentent «le corps». Dans cette configuration, le décor manipule et contrôle le corps sans que celui-ci ne s'en aperçoive. Le message est clair, «les médias ont crée une réalité parfois factice autour de nous... Tout individu plongé dans cette réalité est incapable de s'en défaire». Khalil Minka, quant à lui, traite le sujet d'une manière plus intimiste. Avec «Reserve», il se positionne par rapport à son œuvre, l'individu n'est plus «x» mais lui. L'installation se compose de 2 éléments, une composition graphique qui rappelle «les jeux casse-tête», image sombre qui contraste avec le texte «Before, I Couldn't Read», le deuxième élément est posé par terre, ce sont des pancartes jaunes que les brigades criminelles ont tendance à poser devant les indices. Les pancartes jaunes deviennent des témoins, témoins d'un contexte politique violent, véhiculé par des médias sensationnalistes qui ont réussi à banaliser la violence. Minka prend du recul par rapport à cette réalité qui prend de plus en plus d'ascendant. Les deux artistes se rejoignent dans l'épilogue pour dire qu'ils refusent de faire partie du cercle vicieux de l'information. Sarah Trouche, artiste performeur, présente quant à elle des photographies de ses performances. Elle sillonne le monde, investit des lieux improbables, parfois dangereux, et capture des performances éphémères. Elle entreprend des actions dans des territoires inconnus pour essayer de communiquer avec et sur un environnement, une population ou une cause. Sarah est en perpétuelle quête de sensations, n'hésite pas à braver les interdits par engagement, à l'image de sa performance dans un territoire cisjordanien où elle a défilé nue avec une artiste israélienne, la tête totalement recouverte d'une énorme boîte de conserve d'huile d'olive. Dans son œuvre, le corps est malléable, évolue dans des espaces et se prête aux expériences les plus extrêmes. Les routes des dix artistes représentés (Lou Ros, Zahra Sebti, Sarah Trouche, Elise Boularan, Sara Harakat, Khalil Minka& Chhab Semlali, Yasmine Hatimi, Karima Bidar, Yasmine Laraqui et Ismael Mickey Bensouda) se sont croisées au carrefour de la passion artistique. Loin des clichés en vogue sur une jeunesse oisive et sans perspectives, ces jeunes artistes donnent l'exemple. Ils ont des idées, de l'audace, veulent faire bouger les choses à leur manière et se donnent tous les moyens pour y parvenir.