Tout le monde cherche aujourd'hui à comprendre les jeunes. Les enquêtes et les études se multiplient et montrent le désarroi d'une société devant une jeunesse qu'elle méconnaissait. En 2003 et 2007, le Maroc s'est réveillé étourdi par des jeunes qui avaient épousé des idées extrémistes et basculé dans le terrorisme. Aujourd'hui, le printemps arabe nous fait découvrir un autre visage de notre jeunesse. Des jeunes qui ne cherchent plus à se venger d'une société qui les marginalise, mais veulent plutôt la changer. Une jeunesse pacifique dont la première force est sa conscience et qui cherche à construire au lieu de détruire. C'est du moins l'ambition déclarée de ces mouvements de jeunes. Il est toujours plus rassurant de fixer les vérités, mais la loi de l'évolution contrarie cette recherche de la certitude apaisante. On n'a pas fini de poser la même question : «que veulent les jeunes ?». Une question sans cesse réitérée mais qui ne connaît jamais de réponse définitive. C'est que pour la bonne marche du train de la société, il faut bien que les vieux daignent descendre à certaines stations, non seulement pour laisser la place aux jeunes, mais aussi pour leur confier les commandes du train. N'est-il pas dangereux d'abandonner ainsi la destinée d'une nation à des jeunes sans expérience ? La valorisation de l'expérience est une manière de déprécier l'ardeur de la jeunesse. Nous avons en réalité besoin de l'une et de l'autre et les sociétés intelligentes sont celles qui préparent constamment la relève. C'est le fait de ne pas avoir renouvelé leurs élites qui a condamné les sociétés arabes à la sclérose et les a mises devant le changement violent. Le coût économique de ce changement risque d'être cher comme le montrent les cas tunisien et égyptien. La force de la jeunesse est dans son idéalisme, sa faiblesse est aussi dans son idéalisme. Il est presque impossible aujourd'hui de soulever la question de la jeunesse sans évoquer le mouvement du 20 février. J'avoue que je suis parfois désorienté. Quand j'entends certains jeunes de ce mouvement, je suis irrité par leur suffisance, aggravée par ce qui me semble être de l'ignorance. Mais il m'arrive aussi d'écouter des discours plus construits, que je ne partage pas toujours, mais qui me ravissent parce qu'ils disent ce que je ne sais plus dire, maintenant que je n'ai plus vingt ans. Ce mouvement gagnerait à ne plus laisser parler en son nom le premier venu. Mais il faudrait pour cela qu'il cesse d'être ce qu'il est : un empilement de bonnes et moins bonnes volontés sans tête ni programme précis. C'est certainement cette spécificité qui le distingue des partis politiques, mais elle le condamne en même temps à une cacophonie et à une fragilité. La récupération du mouvement est si facile et si évidente que personne ne devrait en douter. Les protestations des jeunes du mouvement ne changent rien à cette vérité évidente. Ils clament la souveraineté de leurs décisions et leurs idées et oublient que les groupes les plus fermés sont souvent infiltrés. Pourquoi ce mouvement ferait-il exception ? Quelle structure politique organisée, surtout quand elle manque de tribunes pour exprimer ses opinions, se priverait-elle d'une si jolie aubaine ? Il serait étonnant que le pouvoir lui-même ne profite pas de l'occasion et il est presque certain qu'il y a trouvé sa place à côté des islamistes et des gauchistes. Je me demande pourquoi un mouvement qui a marché inlassablement pendant des mois pour défendre ses idées trouve si difficile de franchir quelques mètres encore pour arriver aux urnes et exprimer avec la plus forte légitimité son refus de la nouvelle Constitution. Dans les démocraties occidentales, le taux d'abstention est généralement élevé. Il est même devenu un gage de probité et un garant de la valeur réellement démocratique d'un scrutin. Plus les résultats s'éloignent des 100%, plus ils sont crédibles. Conscient de cette réalité, le célèbre humoriste français Coluche avait décidé en 1980 de se présenter aux élections présidentielles. Il n'avait besoin pour cela ni de parti politique ni de programme. Il suffisait, affirmait-il, que «les abstentionnistes convaincus» votent pour lui. C'est évidemment une plaisanterie que certains politiciens tentent d'utiliser. Comment ne pas voir dans la décision de certaines formations, déçues par le projet de Constitution, de boycotter le référendum au lieu de demander à leurs partisans de voter clairement «non». C'est un choix opportuniste qui permet de récupérer à leur insu la voix de ces personnes qui ont oublié d'aller voter, ou avaient la fièvre ce jour-là, à côté certainement de quelques abstentionnistes par conviction. Tous ces gens deviendraient sans le savoir et sans le vouloir les partisans du front du refus. Ce n'est ni honnête ni courageux. Il est difficile de trouver dans une Constitution la réponse à toutes les revendications. Peut-être que mon âge me pousse à être plus modéré qu'il ne faut. Je ne serais absolument pas choqué si la voix des jeunes, parce qu'ils auraient dit «non», me contraignait à réviser mes jugements. Mais on ne peut pas demander aux jeunes de s'engager pour changer la société et les appeler à se retirer quand ils ont l'opportunité de faire entendre leur voix dans les urnes.