Mostapha Terrab, Karim Zaz, Mustapha Bakkoury et bien d'autres... le dénominateur commun entre ces cadres à haut potentiel, c'est qu'ils ont tous fait une carrière à l'étranger avant de rentrer au pays et occuper des postes de responsabilité à haut niveau. C'est au début des années 2000 que les organismes publics et privés ont réellement pris conscience de l'importance du retour des compétences marocaines établies à l'étranger pour participer aux chantiers de développement dans lesquels s'est engagé le pays. Ce phénomène a été récemment dopé par la crise économique qu'ont connue les pays développés. Cette dernière a encouragé les cadres originaires des pays émergents à y retourner, mais il faut noter que la première vague de retour ne concerne généralement que les profils juniors, les profils plus expérimentés étant toujours retenus par leurs entreprises ou ayant des attaches dans les pays d'accueil qui les empêchent d'être réactifs. Par ailleurs, près de 10% sur les 1.131.000 migrants marocains dans les pays d'Europe appartenant à la première et deuxième génération en 2010, ont poursuivi des études avancées et occupent des postes dans de grandes entreprises. Autrement dit, il y a là un vivier de cadres estimé à plus de 100.000 personnes qui peuvent piloter des structures marocaines, quelle que soit leur dimension. Mieux, ils peuvent apporter un regard neuf et une grande technicité qui fera certainement gagner au pays quelques années sur les planning de réalisation. Cela sans parler de l'apport attendu en termes de networking et d'ouverture sur de nouveaux marchés. Encore faut-il savoir les recruter, car il ne faut pas oublier le degré d'attractivité des entreprises marocaines qui doit être très important pour pouvoir attirer ces hauts profils. Les profils recherchés Actuellement, les profils recherchés par les structures marocaines sont généralement des dirigeants et cadres supérieurs. «Ils sont souvent recrutés pour occuper des fonctions techniques dans le secteur de la banque d'investissement et de financement, les activités de marché, le private equity, les industries du luxe et de la mode, le secteur des infrastructures et de l'immobilier ou encore le secteur de l'énergie», déplore Abdelaziz Bennis, directeur général de IBB Management. Quant aux postes que ces profils sont appelés à occuper, ils portent le plus souvent sur le top management. Il s'agit de postes de présidents, directeurs généraux, secrétaires généraux, directeurs de business units, ainsi que de postes dans les comités de direction (finance, commercial, RH...). Ces entreprises proposent aussi des postes opérationnels ou fonctionnels afin de préparer la relève. Il faut noter que nos marchés sont désormais ancrés dans la mondialisation. «Les cadres se sont aussi mondialisés et sont donc sollicités par les entreprises, notamment en Europe et au Moyen-Orient. Cette tendance se renforcera davantage à l'avenir. Les entreprises nord-africaines doivent intégrer ce phénomène pour attirer, fidéliser et motiver l'encadrement supérieur et dirigeant», développe notre expert. Actuellement, le Maroc a réussi à attirer bon nombre de cerveaux marocains qui résidaient à l'étranger, mais selon Jamal Belahrach, président de la commission Emploi et relations sociales à la CGEM, «cela n'est pas suffisant au regard des besoins de notre pays et des opportunités qu'il peut offrir aujourd'hui. Nous devons réellement agir dans ce sens». La manière de recruter Concernant les mécanismes mis en place pour le recrutement de ces cadres, les organismes publics exploitent leurs réseaux sociaux pour dénicher ces grandes pointures. C'est le moyen le plus adapté pour recruter un cadre qui va occuper un poste de directeur général dans un établissement public. Les grandes entreprises, quant à elles, font appel aux chasseurs de têtes. Ces cabinets spécialisés travaillent sur la base d'une approche directe. «C'est l'approche la plus adaptée pour une population qui ne répond pas aux offres d'emplois et qui occupe des responsabilités importantes», déclare Abdelaziz Bennis. En effet, lorsqu'une entreprise confie un mandat de recherche à un cabinet spécialisé, ce dernier identifie trois à cinq candidats cibles, selon des critères bien définis tels que : le niveau d'études, les projets menés par le candidat, son secteur d'activité, son mode de management et surtout sa réputation sur le marché. Après la phase d'identification, le cabinet transmet les propositions à l'entreprise. Cette dernière valide les profils qui lui paraissent intéressants et fait un retour au cabinet afin qu'il passe à la deuxième étape d'évaluation, valorisation et négociation. Pour les autres profils, le recrutement depuis les forums reste le meilleur moyen. De nombreux événements sont organisés dans ce but, tels que le Forum de Paris et le Forum Horizons Maroc. Ces forums se veulent une rencontre annuelle des entreprises marocaines et des étudiants, jeunes diplômés et cadres salariés marocains à l'étranger, dont l'objectif officiel est de leur proposer des offres d'emploi au Maroc. À signaler que ce sont les banques qui répondent le plus à ce type de recrutement. Enfin, il existe des portails de recrutement spécialisés dans tel ou tel autre type de profil. Les avantages proposés Le recrutement d'un cadre à haut potentiel se fait par un package de rémunération qui varie entre 800.000 et 2.000.000 DH bruts annuels. De plus, la recrue peut avoir ou négocier le droit à un billet d'avion par an et par membre de famille au pays de résidence, ainsi qu'une couverture médicale à l'internationale. Concernant les moyens non matériels qui peuvent séduire un cadre à haut potentiel, Abdelaziz Bennis nous explique que «le candidat cherche toujours un contexte économique en développement, la notoriété des entreprises, la qualité de leurs actionnaires et de leur management, les responsabilités qui sont confiées, les challenges et les projets à mener». Le groupe des 14: une première prospection réussie Les initiatives visant à faire venir des super cerveaux MRE ne datent pas d'hier. On se souvient des pérégrinations de quelques conseillers de feu Hassan II à la fin des années 90, dont Driss Guerraoui et Abdelaziz Meziane Belfkih. Une prospection qui nous a valu le retour de 14 grosses pointures telles que Mustapha Terrab, Amina Benkhadra, Hassan Benabderrazik, Omar Slaoui, Saâd Bendidi, Driss Benhima, Mohamed Hassad, Mourad Cherif, Abdesslam Ahizoune, Aziz Akhannouch, Ahmed Akhchichine d'autres.Nombreux d'entre eux eux ont pu s'adapter et évoluer dans ce nouveau environnement pour faire partie des élites de la société marocaine. En revanche, d'autre n'ont pas réussi à s'intégrer et ils ont déserté au bout de quelques années. C'est le cas de Fouad Laroui, qui a choisi de retourner à ses activités de chercheur et d'enseignement à l'école des Mines tout en se découvrant une vocation d'écrivain à succès. C'est dire que la volonté de faire réintégrer de forts potentiels humains marocains a toujours existé. Aujourd'hui le changement du climat général, conjugué aux réformes déjà entamées sous le nouveau règne, et couronnées par la nouvelle constitution, son un argument de poids pour convaincre nos «têtes bien faites» de retourner au bercail et saisir les opportunités que leur offre leur pays d'origine tout. Point de vue : Abdelaziz Bennis, Directeur général d'IBB Management - Korn/Ferry Concernant les mécanismes mis en place pour recruter ces cadres à haut potentiel à l'étranger, en tant que chasseurs de têtes, nous travaillons uniquement par approche directe, une approche adaptée pour cette population qui ne répond pas aux offres d'emplois et qui occupe des responsabilités importantes. Lorsque nos clients nous confient des mandats de recherche, nous réalisons des mappings du marché pour cartographier et identifier les candidats cibles potentiels dans un pays, un marché ou un secteur d'activité donné. Lorsque les candidats cibles se situent en dehors de l'Afrique du Nord, nous faisons participer nos partenaires à cette opération de recherche, chose qui nous permet d'être en mesure d'approcher et d'évaluer les candidats installés à l'étranger. Ainsi, nous arrivons à répondre aux attentes de nos clients d'Afrique du Nord et subsaharienne. Les profils que nous ciblons sont généralement des dirigeants et cadres supérieurs. Ceux-ci sont généralement des candidats originaires d'Afrique du Nord ou subsaharienne, basés dans cette région ou résidant à l'étranger. Cependant, lorsque les compétences n'existent pas dans nos marchés, nous sollicitons des candidats d'autres nationalités. «Le Maroc a besoin de tous types de compétences»: Jamal Belahrach, Président de la commission Emploi et relations sociales à la CGEM Les Echos quotidien : Le Maroc a besoin de ses compétences résidentes à l'étranger. Ces derniers temps, nous avons remarqué une sorte de mobilisation de la part des organismes publics et privés, dont la CGEM, afin de convaincre ces gens de rentrer au pays. Dans ce sens, pouvez-vous nous parler des mécanismes mis en place pour recruter ces cadres à haut potentiel résidant à l'étranger ? Jamal Belahrach : D'abord, il faut insister sur le fait que la diaspora marocaine a un intérêt croissant pour son pays d'origine, et ce depuis l'avènement de Sa Majesté Mohammed VI qui a lui-même créé les conditions d'une véritable relation, développant une forme de patriotisme qui jusque-là était quelque peu enfoui. Pour autant, on ne peut pas dire qu'aujourd'hui, il existe un véritable dispositif pour inciter la diaspora à intégrer le tissu économique ou politique. Le mode de communication avec les entreprises, hormis les salons de recrutement, n'est pas vraiment efficace et reste ponctuel. Avec les institutions plus politiques ou administratives, autant dire qu'il est inexistant. Le Maroc a plus que jamais besoin de sa diaspora car elle est plutôt bien formée et rompue aux mécanismes démocratiques, aux enjeux de la mondialisation et des impératifs liés à la notion de performance. C'est pourquoi, il est impératif de mettre en œuvre une sérieuse stratégie dans ce sens en n'oubliant pas que le but est de leur donner envie, mais il faut également qu'eux-mêmes soient motivés, et pas seulement par le gain financier et professionnel. Ils doivent apporter une contribution au nouveau projet de société national, comme beaucoup de diasporas l'ont fait pour leur pays. Quels sont les profils que vous ciblez ? Le Maroc a besoin de tout type de compétence et dans tous les secteurs d'activités. Demain, la régionalisation va aboutir à la nécessité d'avoir des compétences nouvelles en matière de gestion territoriale, par exemple. Ce que nous devons mettre en lumière, c'est que le marché du travail marocain est ouvert dès lors que la compétence est là. Toutes les entreprises marocaines sont prêtes à recruter aujourd'hui pour se battre dans cette économie globalisée. Le principal souci est le manque de têtes bien faites, et dans ce cadre, nous savons tous que notre système est un peu en faillite, à quelques exceptions près. La diversité en matière de profils au sein de nos entreprises sera très bénéfique pour notre développement économique, social et politique. Quels sont les avantages que vous leur présentez ? Il n'y pas d'avantage particulier hormis de dénicher un bon job, un bon salaire et des projets intéressants. Mais il y a une véritable difficulté quant à la réintégration de ces profils une fois rentrés au Maroc, car le référentiel n'est plus le même et c'est là que cela se corse. C'est pourquoi, il faut être très motivé et avoir envie du Maroc pour y rester durablement... et c'est possible. Selon vous, est-ce que la crise économique y est pour quelque chose ? La crise joue, bien sûr, et en même temps les sociétés occidentales sont en quête de sens et deviennent extrémistes par le rejet des autres. Regardez les débats en France : l'islam, la double nationalité, etc., que des sujets qui pointent le doigt sur l'étranger. Ils ont beau être français d'origine ou d'une autre nationalité, ils restent considérés comme différents et donc suspects. Toutes ces raisons poussent la diaspora à réfléchir à d'éventuelles aventures professionnelles au Maroc.