À quoi joue l'Union européenne ? Alors que le 4e round des négociations autour de l'Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) se tenait à Bruxelles tout au long de la semaine dernière, non loin du siège de la Commission européenne, au sein du Parlement de l'Union, les membres de la commission agriculture et développement rural donnaient leur feu vert à l'adoption des actes délégués nécessaires à l'entrée en vigueur de la nouvelle politique agricole commune (PAC). L'une des mesures de cette PAC aura pour conséquence de limiter l'accès des exportations en fruits et légumes marocains au marché européen. Un changement de régime agricole qui comporte certaines limitations vis-à-vis des importations, y compris celle du Maroc. Cela constitue une réelle remise en cause des dispositions de l'accord agricole de 2012, qui vient à peine d'entrer en vigueur. La réaction des autorités marocaines formulée en fin de semaine dernière a été ferme. Le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, s'est empressé de convoquer l'ambassadeur de l'UE au Maroc, Rupert Joy (photo de droite), dans le cadre d'une réunion à laquelle ont assisté le ministre de l'Agriculture et de la pêche maritime, Aziz Akhannouch (photo de gauche), et Mbarka Bouaida, la ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coopération. C'est dire que la situation est jugée critique du côté marocain. Conséquences catastrophiques En effet, cette décision menace le secteur des fruits et légumes marocain, particulièrement celui de la tomate qui est conditionné par un système de commercialisation à l'export très contraignant. «Celui-ci risque tout bonnement de s'effondrer», s'alarme Akhannouch qui poursuit : «nous n'osons même pas imaginer les conséquences que cela peut avoir sur les opérateurs qui, en vue d'un partenariat aussi important avec l'UE, ont investi et cru en de sérieux débouchés». Pour sa part, le chef de gouvernement a demandé à l'ambassadeur européen de trouver rapidement des solutions concrètes pour préserver les acquis contractuels du royaume et maintenir le flux traditionnel des exportations marocaines des fruits et légumes sur le marché européen. Cette décision est en contradiction avec les engagements juridiques qui lient les deux partenaires. En effet, toute modification du régime des prix d'accès des fruits et légumes marocains aux marchés européens ne peut se faire que dans le respect des dispositions de l'accord d'association qui lie les deux partenaires commerciaux. Pour Aziz Akhannouch, il s'agit là d'«une démarche aussi étonnante qu'incompréhensible de la part d'un partenaire historique tel que l'Union européenne». Pour le ministre, il s'agit là d'un retour en arrière par rapport aux acquis de l'accord d'association et de l'accord agricole. Le ministre a également exprimé son regret quant à cette situation : «Nous nous sommes réjouis de la signature d'un accord qui se distinguait par son équité et son équilibre, voilà qu'il risque aujourd'hui d'être déséquilibré, autant dire confisqué, à cause d'une action en parfaite contradiction avec les conditions convenues». Le ministre ne mâche pas ses mots et va jusqu'à considérer que de telles mesures pourraient mettre à mal la relation de confiance et de partenariat qui lie les deux parties. Confiance ébranlée ? Le projet de la nouvelle PAC est en gestation depuis près de 4 ans. Si les quatre règlements de base de la nouvelle politique agricole commune ont été publiés au Journal officiel en décembre 2013, encore fallait-il adopter les actes délégués relatifs à cette réforme pour une entrée en vigueur effective. Ces derniers visent à compléter des éléments non essentiels des actes de base couverts par l'accord politique. Ce n'est qu'après leur adoption que l'accord politique sur la réforme sur la PAC pourra être appliqué. Après le feu vert, mardi dernier, de la commission agricole concernant ce point, il ne reste plus qu'un pas à franchir avant l'entrée en vigueur effective de ces mesures. Les eurodéputés devront se prononcer lors de la dernière session plénière du Parlement à Strasbourg qui se tient à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 17 avril. Selon les experts, la position de la commission agricole devrait être entérinée. Si c'est le cas, de nouvelles mesures de dédouanement devraient être entreprises à l'égard des exportations marocaines en fruits et légumes avant fin 2014 (voir entretien). Le Maroc qui s'y est pris un peu en retard en vue de faire jouer son lobbying, conteste en tout cas cette décision unilatérale qui bat en brèche les dispositions des accords bilatéraux signés entre les deux parties. Il demande notamment le respect des dispositions de l'accord d'association qui a prévu une concertation entre les parties concernant ce genre de mesures. L'article 20 de l'accord d'association est sans équivoque. S'il garantit le droit aux deux parties de modifier et de développer leur politique agricole, il impose en contrepartie une transparence et une concertation avec les partenaires dans le cadre des organes de gestion de l'accord, notamment dans le cadre du comité d'association. Ainsi, l'article 20 de l'accord d'association souligne que «la partie procédant à cette modification en informe le comité d'association. À la demande de l'autre partie, le comité d'association se réunit pour tenir compte des intérêts de ladite partie». En outre, ces questions devront faire l'objet de consultations au sein du Conseil d'association, organe suprême de gestion de l'accord. Une procédure qui n'a pas été respectée jusqu'ici, ce qui va non seulement à l'encontre de l'ALE Maroc-UE mais fait également défaut aux principes de l'Organisation mondiale du commerce. «Des mesures seront prises dans les prochains jours» Devant cette situation, le porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, a affirmé que «le gouvernement marocain a choisi d'adopter une position claire et ferme pour défendre les intérêts du Maroc et des Marocains, et des mesures seront prises dans les prochains jours». Le ministre a en outre rappelé que le Maroc s'est engagé dans le processus d'intégration au marché européen selon une approche participative et de consultation, fondée sur la défense de ses intérêts et selon une relation équilibrée avec l'Union européenne. De ce fait, «tout changement des règles encadrant cette relation serait contraire à l'esprit du partenariat économique entre les deux parties, et constitue un indice préoccupant sur cette relation». Si de telles mesures sont effectivement adoptées, les alternatives du Maroc seront surtout d'ordre juridictionnel. Le Royaume pourra avoir recours à l'arbitrage prévu dans le cadre de l'accord sur les mécanismes de règlement des différends ou, le cas échéant, à l'Organe de règlement des différends de l'OMC.