Omar AMINE Président de l'Association professionnelle des sociétés de bourse (APSB) Les ECO : Peut-on vraiment dire que l'année 2014 sera celle de la reprise ? Omar Amine : La reprise de la Bourse ne peut être que le reflet de son environnement politique et économique. Les investisseurs locaux détiennent la majorité des portefeuilles et connaissent bien les secteurs cotés. Les fonds étrangers par contre ont une approche Top down et s'intéressent surtout à la stabilité politique, aux fondamentaux macro-économiques du pays et à la qualité des sociétés cotées (résultats, liquidité...). C'est l'alchimie de tous ces éléments, en plus d'une réelle mobilisation des acteurs, qui nous permettra de déclencher à une véritable reprise. Depuis novembre 2013, un vent favorable est réellement ressenti sur la place, le placement de JLEC a été sursouscrit, les fonds étrangers ont remis Casablanca sur leur écran, l'opération Etissalat IAM est en cours, les émissions à l'international de ATW et BCE, la publication des premiers indicateurs économiques (tourisme, export...) sont autant de signes de reprise de l'activité économique...vous savez, on n'a pas eu autant de signaux positifs depuis quelques années. J'espère que la communauté des investisseurs va réagir et qu'on créera assez de dynamique pour démarrer un nouveau cycle ! Il faut absolument un retour des fondamentaux économiques et financiers ainsi que la publication de résultats en adéquation avec les attentes des investisseurs, deux préalables incontournables. Les premiers résultats 2013 commencent à sortir, et je pense qu'on aura quelques bonnes surprises vu que la crise économique a optimisé les comptes d'exploitation des sociétés! On aura surtout des effets de rentabilité opérationnelle et probablement les bénéfices de l'expansion internationale de quelques groupes. Après l'évolution euphorique que les volumes ont connue suite au reclassement du Maroc vers MSCI-FM, nous avons assisté à un retour à la situation initiale, à savoir des volumes qui sont assez faméliques. Peut-on toujours parler de l'effet bénéfique du reclassement ? Tout d'abord, je rappelle que le volume euphorique dont vous parlez est essentiellement concentré sur quelques séances boursières fin novembre 2013. Ces séances ont été de véritables stress-test pour la place. Là où les fonds «Emerging» ont traduit le risque de sortie du MSCI par des cessions massives, les nouveaux «fonds entrants» en plus d'institutionnels locaux ont saisi cette opportunité pour étoffer leurs portefeuilles «action» à des niveaux de valorisation intéressants, chose qui n'était plus possible parce que la liquidité du marché faisait défaut. La manière dont le marché a géré la sortie de l'indice MSCI-Emerging est un signal clair traduisant la solidité de notre industrie financière mais aussi sa maturité, et montre aussi que nous avions atteint des niveaux de valorisation intéressants. Nous avons toujours affirmé en tant que professionnels que cette sortie n'est pas un drame en soi, mais une opportunité à saisir! L'impact pourrait être positif en termes d'afflux supplémentaire de liquidité, à condition que ces investisseurs trouvent des titres disponibles! Ce n'est pas toujours le cas! Les niveaux de cours actuels empêchent les institutionnels de faire des ajustements importants en termes de volumes! Là aussi il y a des pistes à explorer en termes d'incitations fiscales! Un pragmatisme politique serait plus que nécessaire. Nous savons tous que la Bourse de Casablanca n'est pas représentative de l'évolution de l'économie marocaine. Qu'est-ce qui pourrait changer ce manque de corrélation et permettre d'aller vers plus de représentativité du tissu économique marocain ? Le constat est clair: le bilan du financement des entreprises par le marché boursier reste mitigé! Pour la question de la faible représentativité, il faut la lire en regardant les grandes composantes de l'économie marocaine ainsi que le poids important de l'informel. Le secteur agricole est en pleine mutation, et il faut attendre quelques années pour voir des entreprises de ce secteur franchir le pas de la cote pour des raisons essentiellement de forme juridique et de cadre fiscal. Maintenant, nous nous préparons à cette mutation et l'un des axes stratégiques de la réforme en cours du marché financier est de permettre à la Bourse de Casablanca de jouer un rôle plus important dans le financement des entreprises, et ce par la dynamisation du marché primaire (dettes et capital), la création d'un marché adapté aux PME, etc. La réussie de cette réforme ne pourra se faire sans le développement de synergies avec l'ensemble de l'écosystème impliqué dans le financement des entreprises, notamment les sociétés de private equity, les banques d'affaires, les experts-comptables, les banques, CGG, CGEM, les CRI, ANPME... La clé de succès réside sans doute dans la cohérence et l'efficacité des mesures d'accompagnement pour faciliter aux entreprises le recours au marché de la dette ou des actions. À votre avis qu'est-ce qui pourrait, concrètement, sortir la Bourse de Casablanca du rang des petites bourses africaines? Les réformes du marché des capitaux déjà engagées sont-elles dans ce sens là, une piste ? Tout d'abord, permettez-moi de rectifier: la Bourse de Casablanca n'est pas une petite bourse africaine, elle est dans le top 5 des grandes bourses du continent! Le fait de passer en zone «Frontier» pour des raisons techniques de liquidité ne devrait pas occulter notre niveau de développement réglementaire, organisationnel et la qualité de nos ressources humaines ! Si le bilan des cinq dernières années ne semble pas très encourageant à première vue, une vision plus globale sur l'impact conséquent des réformes entamées, depuis vingt ans que le processus de modernisation a été enclenché, est au contraire fort honorable. Notre marché financier est structuré, solide et a contribué pendant deux décennies au financement de l'Etat, des entreprises et à la mobilisation de l'épargne. La cote compte aujourd'hui des sociétés leaders sur un continent africain que tout le monde convoite! La sortie de cette léthargie passe avant tout par la confirmation de la reprise économique et la publication de résultats en adéquation avec les attentes des investisseurs, c'est un préalable incontournable. Je pense aussi qu'il est nécessaire de répondre aux autres attentes du marché, comme de nouveaux instruments pour améliorer la liquidité, des introductions en Bourse de qualité, un compartiment PME plus adapté à la réalité marocaine, et un cadre réglementaire souple et évolutif. Le tout dans une nouvelle dynamique de réformes cohérentes et réalisables. L'Etat devrait aussi jouer un rôle très important en apportant du papier frais sur le marché par l'introduction en bourse de parts minoritaires de quelques sociétés publiques, qui ont besoin de financer des projets de développement importants pour le pays. Mettre 10 à 15% d'une société ne peut pas être considéré comme une privatisation mais une simple ouverture du capital. Il y a aujourd'hui des entreprises publiques qui opèrent dans des secteurs concurrentiels et qui peuvent exporter leur savoir-faire en Afrique. Un premier pas est fait: Marsa Maroc est annoncée pour 2014-2015 mais je pense qu'il y a au moins 5 à 6 sociétés de tailles différentes que l'Etat pourrait mettre sur le marché! J'insiste sur le fait qu'en plus de la levée de fonds pour financer les projets de développements, ce sont surtout les bénéfices escomptés en termes de bonne gouvernance et de performance qui comptent. L'Etat l'a fait dans les années 1990 pour le programme de privatisation, et les acteurs du marché se sont mobilisés pour l'accompagner à travers les «bons de privatisation», en plus de l'effort commercial pour placer les titres à la meilleure valorisation. Regardez aujourd'hui le parcours de Holcim (ex-Cior), Lafarge, Maroc Telecom, Samir, CTM, Sonasid .... Je pense qu'il y une véritable opportunité pour accroître le rôle du marché financier dans la mobilisation de l'épargne pour l'orienter vers des investissements publics de grande envergure. C'est moins coûteux que l'effet d'éviction créé aujourd'hui par le financement du déficit public! On a beaucoup parlé ces derniers temps de la démutualisation, des problèmes de réserves, de la gouvernance de la Bourse, et du fait que tout cela freine le développement du marché. Où en êtes-vous par rapport à ces problématiques ? Pour les professionnels de la place, le débat sur la démutualisation et le sort des réserves est révolu. Le travail que nous avons mené depuis mai 2013 avec la Direction du Trésor, Bank Al-Maghrib, le CDVM et les autres acteurs de la place a porté ses fruits. Les points de blocages, notamment le sort des réserves et la gouvernance, ont été aplanis et un schéma organisationnel a été arrêté avec même la possibilité de signer un partenariat industriel avec une Bourse de rang mondial. Il appartient à présent à l'autorité de tutelle, en l'occurrence le ministère des Finances, d'annoncer officiellement sa mise en œuvre en temps voulu. Au-delà de ces aspects organisationnels, le vrai défi consiste à présent à mettre en place une stratégie de développement ambitieuse qui permettrait à la Bourse d'améliorer sa capacité à financer l'économie, et de contribuer à l'émergence de Casablanca en tant que place financière internationale. Nous ne ménageons pas nos efforts pour aboutir à une stratégie de place cohérente avec les besoins de notre économie. Ceci dit, comme vous devez vous en douter, ce chantier n'est pas du seul ressort des sociétés de bourses; les banques et l'autorité de tutelle sont aussi nos principaux partenaires dans la réussite cette réforme. En tous cas, nous avons bien conscience au niveau de la profession que l'enjeu est important et que le rayonnement de notre pays, notamment en Afrique, en dépend. Nous sommes donc mobilisés, à travers les différentes institutions où nous sommes représentés, pour faire avancer ce chantier.