«Les chevaux de Dieu» marque forcément les esprits. Le film de Nabil Ayouch, inspiré du roman de Mahi Binebine : «Les étoiles de Sidi Moumen» revient sur les attentats du 16 mai 2003 où des jeunes de Sidi Moumen se sont donné la mort en prenant la vie de plusieurs autres innocents. Le réalisateur revient à la source, à l'enfance et plonge dans un quotidien qui justifierait presque les actes de ses jeunes. «J'ai réalisé le film comme une chronique, une chronique de la vie de tous les jours de ces gamins. On est dans le bidonville avec eux, on est dans un point de vue très intérieur, et puis, on les accompagne dans leurs histoires d'amour, d'amitié, leurs histoires de famille et leur relation à l'environnement. Ainsi, tous ces micro-traumatismes vont construire les adultes qu'ils deviendront par la suite, et c'est ce que j'ai envie d'installer dans un premier temps dans le film, pour ensuite aller vers la fresque qui nous amène à d'autres époques, à des âges différents et surtout essayer d'accompagner une histoire, une géopolitique nationale, internationale, l'histoire avec un grand «H» qui rejoint leurs histoires personnelles», explique le réalisateur, qui vient de remporter le prix Lumière du meilleur film francophone de l'année. Les prix Lumière sont remis chaque année par l'académie des lumières, composée de journalistes de presse étrangère basés à Paris, c'est pourquoi on les surnomme les Golden Globes français. La cérémonie a eu lieu le 20 janvier à l'espace Cardin, au pied des Champs Elysées. Elle était présidée par l'actrice française Carole Bouquet et a réuni tout le beau monde du cinéma français. Nabil Ayouch y était présent pour recevoir son prix des mains de Dominique Besnehard, producteur, et d'Yves Bigot, président de TV5 Monde. Le reste de la cérémonie a vu Abdellatif Kechiche triompher avec «La vie d'Adèle», meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur actrice (Léa Seydoux) et révélation féminine (Adèle Exarchopoulos), Roman Polanski pour «La vénus à la fourrure» (meilleur scénario), Raphaël Personnaz (révélation masculine) dans «Quai d'Orsay» de Bertrand Tavernier et dans «Marius» de Daniel Auteuil, Thomas Hardmeier (AFC) pour «T.S. Spivet» de Jean-Pierre Jeunet (meilleure Lumière)...Une lumière qui a donc été projetée sur cette histoire de Yachine, 10 ans, et Hamid, petit caïd de 13 ans, qui vivent dans le bidonville de Sidi Moumen à Casablanca. Leur mère dirige comme elle peut toute la famille. Adolescent, Hamid va se retrouver en prison, Yachine enchaîne alors les petits boulots pour sortir de ce marasme où règnent violence, misère et drogue. À sa sortie de prison, Hamid a changé. Devenu islamiste radical pendant son incarcération, il persuade Yachine et ses amis de rejoindre leurs «frères».L'imam entame alors avec eux une longue préparation physique et mentale. Un jour, il leur annonce qu'ils ont été choisis pour devenir des martyrs. Ce film est librement inspiré des attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca. «Le 16 mai 2003, des attentats sanglants ont eu lieu à Casablanca. Quand j'ai appris que les 14 kamikazes sortaient tous du bidonville de Sidi Moumen, j'ai décidé de m'y rendre pour essayer de comprendre ce qui nous tombait sur la tête. Le Marocain n'est pas violent de nature. La première image qui m'est apparue dans ce cloaque, c'était des enfants qui jouaient au foot sur un tas d'ordures. Je me suis dit alors, voilà les héros de mon prochain roman», raconte Mahi Binebine, auteur de l'ouvrage «Les étoiles de Sidi Moumen», dont Nabil Ayouch va s'inspirer pour réaliser son film. «J'ai voulu démontrer simplement que si le dénuement total n'est pas l'unique facteur dans la fabrication des bombes humaines, il en est un ferment essentiel : lorsqu'on naît dans la crasse, sans horizon, sans aucun espoir d'en sortir, on devient alors une proie facile pour les premiers marchands de rêves venus. Le pari, pas simple, est de présenter ces gamins comme des victimes, d'abord d'un Etat qui permet que des bidonvilles comme Sidi Moumen existent, ensuite de la mafia religieuse qui conditionne ces gamins et enfin de la bourgeoisie, qui continue à sucer le sang des anémiques». Un angle que le réalisateur a bien compris puisque Sidi Moumen est perçu comme une prison, une fatalité dont on ne peut pas sortir. «À l'époque, je n'avais pas l'idée d'en faire un film, j'étais tout simplement choqué comme tout le monde par ce qui s'était passé, par les attentats eux-mêmes et dans un deuxième temps par le fait que ceux qui avaient commis les attentats venaient de Sidi Moumen. Je me suis tout simplement intéressé aux victimes et j'en ai fait un documentaire qui est passé à la télévision en boucle et dans les festivals. Ce n'est que bien plus tard, en 2008, cinq ans après que j'ai décidé de retourner à Sidi Moumen, que je connaissais bien puisque j'y avais tourné des scènes de «Ali Zaoua» et des documentaires sur le micro-crédit». Victimes d'une société qui les oublie, qui ne sait pas les écouter, qui les rejette forcément parce que le centre-ville paraît loin et inaccessible. Un ressenti que Nabil Ayouch a eu à chaque seconde lors de la préparation du film, qui ne voit le jour que 10 ans après les faits. «Ce film représente un peu plus de deux ans de préparation. C'est beaucoup de rencontres avec ces jeunes sur place et puis c'est une équipe de casting assez large, parce qu'il y avait une vingtaine de personnes, qui ont travaillé comme «têtes chercheuses» et qui sont allées dans d'autres quartiers populaires de Casablanca, dans d'autres bidonvilles à la recherche de la perle rare. Une chose était sûre, c'est que je ne voulais pas commencer avant d'avoir trouvé les bons comédiens parce que je savais que finalement tout le film tenait sur leurs épaules à eux». Une lourde tâche que les acteurs ont su relever puisque c'est le 24e prix remporté par «Les chevaux de Dieu» depuis sa première présentation en sélection officielle au festival de Cannes. Il est à noter que «Les chevaux de Dieu» est également nominé aux Magritte du cinéma belge, dans la catégorie «meilleur film étranger».