Alcools, tabacs, jeux de hasard... lorsqu'il s'agit de renflouer les caisses de l'Etat, ce sont d'abord les produits à la «moralité controversée» qui sont mobilisés. Certes, ce n'est spécifique ni au Maroc, ni aux pays musulmans, mais la pression fiscale sur cette catégorie de produits s'est nettement accélérée depuis l'accession du parti islamiste à la tête de l'Exécutif. Ainsi, après les hausses successives de la fiscalité sur les boissons alcoolisées, le cru 2014 du budget remet le couvert, cette fois-ci sur le vin uniquement, après qu'un cafouillage parlementaire ait laissé entendre, lors des discussions du projet de loi des finances, que l'augmentation de la Taxe intérieure de consommation (TIC) en l'occurrence portait sur plusieurs catégories d'alcools et de boissons dérivées. Cafouillage linguistique Le flou qui a entouré cette question à la Chambre des représentants est inhérent à la traduction entre les versions arabes et françaises du projet de loi. En effet, le vin a été considéré, à tort, comme terme générique désignant l'ensemble des boissons alcoolisées (khomour). Désormais, le texte de la loi des finances 2014 est sans équivoque. L'augmentation de la TIC en 2014 concerne exclusivement le vin. De même, contrairement à ce qui a été avancé par quelques parlementaires, il n'y a aucune distinction entre les différentes gammes de vins quant à cette augmentation fiscale. Ainsi, le 1er janvier 2014, la TIC applicable au vin est passée de 500 DH à 700 DH par hectolitre, soit 200 DH supplémentaires, représentant ainsi un rehaussement proportionnel de 40% d'une année à l'autre. Aussi, par bouteille de 75 cl, cette augmentation représente-t-elle 1,5 DH supplémentaire au titre de la TIC, et uniquement à ce titre. Insister sur ce dernier point est loin d'être superflu. Effectivement, vu la structure de la fiscalité sur les boissons alcoolisées, l'augmentation fiscale totale est plus importante. Augmentation en cascade Ce décalage entre l'augmentation de la TIC et celle de la fiscalité totale appliquée tient au caractère proportionnel de la TVA, qui est en plus calculée sur le prix hors TVA, incluant lui-même les autres taxes et contributions. Ainsi, les autres éléments restant inchangés dans le cadre de la loi des finances 2014, l'impact fiscal total de l'augmentation de la TIC sur les vins se chiffre à 1,8 DH. Toutefois, il est à rappeler que la TVA considérée ici n'inclut pas la valeur fiscale de l'ensemble de la bouteille, celle-ci différant d'un produit à l'autre, selon son prix de vente HT. Selon le même raisonnement, la répercussion fiscale pour les bouteilles d'un litre serait plus importante, puisque la TIC est par définition proportionnelle au volume. Pour une bouteille d'un litre, l'augmentation au titre de la TIC s'élèverait à 2 DH, alors que l'impact fiscal total atteindrait quant à lui 2,4 DH. La part de la fiscalité dans une bouteille d'un litre, par ailleurs les plus populaires, s'établirait à 10,92 DH. Ceci dit, l'effet sur les prix à «la cave» est difficile à prévoir, puisque dépendant de la politique-prix que producteurs et distributeurs adoptent dans leur mix marketing. Déjà, les prix varient fortement d'un point de vente à l'autre, généralement selon la zone d'implantation, et donc selon le pouvoir d'achat de la clientèle majoritaire. Pour leur part, les producteurs peuvent faire le choix de grignoter leurs marges pour maintenir leur chiffre d'affaires, même si cette option semble peu probable. Stock tampon Un autre élément à prendre en considération est relatif à la gestion des stocks des intervenants dans la chaîne de distribution. En effet, d'importants écarts de prix peuvent être constatés d'un point de vente à l'autre à cause de cet élément. D'une part, certains constituent des stocks importants avant l'entrée en vigueur de la nouvelle fiscalité, alors que d'autre n'en ont pas les moyens financiers et logistiques (entrepôts, fonds de roulement, etc.) D'autre part, ceux qui disposent d'un stock significatif peuvent choisir de maintenir leurs prix pour doper leurs chiffres, ou alors de «répercuter» la hausse pour gonfler leur marge. Il faut dire que les consommateurs d'alcool sont très sensibles au prix et qu'un point de vente appliquant des prix inférieurs gagne vite une «réputation» par le bouche à oreille entre buveurs. L'export épargné Dans un autre registre, les industriels du secteur disposent d'un levier potentiel, passé jusque-là inaperçu, pour maintenir leurs revenus qui sont en nette baisse depuis quelques années où la pression fiscale est venue «aggraver» la baisse des ventes lors des mois de chaâbane et ramadan, d'autant plus qu'ils coïncident avec la saison estivale. Il s'agit en l'occurrence du développement des marchés à l'exportation. En effet, les exportations de vins ne sont pas touchées par ces hausses successives de la fiscalité, puisque la réglementation des douanes prévoit la récupération de la TIC et de la TVA suite à la présentation de la Déclaration unique de marchandise comme preuve d'exportation. Pour leur part, les buveurs -et encore plus les amateurs de vin- devraient simplement «râler» quelques jours. Peut-être que certains consommerons ce breuvage avec plus de modération. Les industriels trinquent aussi Les industriels du secteur ont du mal à maintenir leurs revenus qui sont en nette baisse depuis quelques années. La pression fiscale est venue se greffer à l'impact des mois de chaâbane et ramadan sur le chiffre d'affaires, d'autant plus qu'ils coïncident avec la saison estivale. La seule entreprise du secteur qui est cotée, et qui est donc tenue de publier ses résultats n'est autre que la Société des brasseries du Maroc (SBM), permettant ainsi d'avoir une idée sur l'évolution du secteur. Ainsi, SBM affiche au premier semestre 2013 une baisse de 13,4% du volume des ventes à 394.534 hectolitres, «En raison principalement de la coïncidence des mois de chaâbane et ramadan avec la période estivale, ainsi que les répercussions de la conjoncture économique difficile», estiment les analystes de BMCE Capital Bourse. Dans ces conditions, le chiffre d'affaires consolidé se replie de 9,4%, à 1,12 MMDH, «intégrant vraisemblablement la hausse de la Taxe intérieure de consommation», tandis que la capacité bénéficiaire recule de 17,8% à 169,8 MDH, au premier semestre 2013. Côté perspectives et compte tenu d'une conjoncture économique difficile, le Groupe SBM s'attend à un retrait des réalisations 2013, comparativement à l'année précédente, selon la même société de Bourse.