En projet depuis presque une dizaine d'années, l'indemnité pour perte d'emploi (IPE) voit enfin le bout du tunnel après de multiples tergiversations et obstacles. «Après avoir initié le projet de l'indemnité pour perte d'emploi (IPE) et l'avoir enrichi avec un accompagnement des salariés en vue de retrouver un emploi avec un programme sur-mesure, la CGEM vient de donner son accord pour sa mise en œuvre», déclare la Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM), dans un communiqué de presse qui a pris de court les autres partenaires dans ce chantier. Pour rappel, la mesure attendait son déploiement depuis la promulgation du code du travail en 2004. Elle a ensuite été intégrée dans l'accord du dialogue social du 26 avril 2011. «Le gouvernement précédent avait accepté de donner un coup de main pour l'amorçage de cette mesure, via un fonds doté de 250 MDH. La CGEM avait d'ailleurs consenti à cet accord», rappelle Abdelouahed Souhail, ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle. «Quand notre gouvernement a repris les discussions à propos de ce sujet, nous avons proposé d'accompagner cette indemnité par une formation qualifiante, à laquelle nous allouons un budget annuel de 100 MDH, en dehors du fonds d'amorçage», explique le ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle. L'accompagnement en formation a été en quelque sorte la touche du nouveau gouvernement. Des estimations s'en sont suivies, sur la pérennité du mécanisme de l'IPE, qui ont révélé certains risques. «Il y a eu une probabilité que le mécanisme ne tienne pas le temps nécessaire pour que le processus se mette en place», avance Abdelouahed Souhail. Cet avis est partagé par le patronat, qui estimait que le fonds d'amorçage d'un montant de 250 MDH proposé auparavant faisait encourir au mécanisme de l'IPE le risque d'être déficitaire dès la deuxième année de sa mise en œuvre. Ce risque se serait traduit selon la CGEM, soit par un arrêt de l'IPE, soit par une augmentation des cotisations salariales et patronales venant grever les charges des entreprises déjà pénalisées par une conjoncture économique difficile. C'est ainsi que des discussions ont été entamées pour augmenter la contribution du gouvernement. «Nous avons consenti à porter notre contribution à 500 MDH, débloqués en trois tranches», affirme le ministre. Le gouvernement commencera par débloquer 250 MDH, montant qui figurera forcément dans le PLF 2014. Les deux autres tranches de 125 MDH seront débloquées selon les besoins du fonds. «Si le mécanisme arrive à s'autofinancer et n'a pas besoin des autres tranches, elles ne seront pas débloquées», confie le ministre. Une position tout à fait compréhensible dans un temps où les finances publiques sont au plus mal. D'ailleurs, d'aucuns interprètent cette décision comme une manoeuvre purement politique. «Ce n'est nullement le cas», riposte Abdelouahed Souhail. Ce dernier affirme que le gouvernement estime que c'est une mesure importante et historique, qu'il faut mettre en place. En outre, «nous avons trouvé le moyen de financer le montant qui sera alloué au fonds», rassure-t-il. Nous n'en saurons pas plus, à l'exception du fait que les recettes de la CNSS pourraient contribuer à l'alimentation du fonds. Quoi qu'il en soit, la manne versée par l'Etat servira à lancer l'IPE, en attendant que le mécanisme de contribution des salariés et des patrons soit opérationnel. À terme, ce sont les cotisations de ces derniers qui doivent alimenter le fonds. Les taux de cotisation à l'IPE sont fixés à 0.38% pour la part patronale et 0.19% pour la part salariale. Par ailleurs, les parties prenantes sont convenues d'évaluer et de réviser le mécanisme à la fin de la 3e année de mise en œuvre, afin d'y apporter les ajustements nécessaires, soit vers la fin de 2017, si les délais fixés par les partenaires sont respectés. Selon le ministère, un groupe de travail sera constitué pour commencer les réunions après le mois de ramadan. Ce groupe de travail aura pour mission de donner forme à la mesure, mettre en place ses mécanismes de déploiement d'ici à la fin de l'année. L'objectif est que l'indemnité pour perte d'emploi soit opérationnelle à partir de janvier 2014. Autrement dit, il faut également que le décret d'application soit promulgué. ANAPEC, CNSS, OFPPT, syndicats et CGEM ont du pain sur la planche au cours des cinq prochains mois. Le principe de base est déjà arrêté. Seront éligibles à l'indemnité pour perte d'emploi, les salariés qui auraient perdu leur travail de manière involontaire. «Ce n'est pas une allocation de chômage», tient à rappeler encore une fois le président de la commission emploi et relations sociales à la CGEM. Le mécanisme prévoit une indemnité équivalente à 70% du salaire mensuel moyen des 36 derniers mois du salarié licencié, plafonnée à hauteur du SMIG. Une aide bien évidemment conditionnée par un accompagnement et une assistance de l'Anapec et de l'OFPPT en vue de trouver un nouvel emploi et de profiter d'un programme de formation qualifiante. Cette indemnité est plafonnée à six mois à partir de la date d'arrêt de l'activité. Autrement dit, le salarié licencié aura un délai de six mois pour trouver un nouveau travail. Si le principe est aujourd'hui connu, le mécanisme de déploiement n'est pas encore arrêté. «C'est un mécanisme assez complexe, car il faut constater le licenciement puis déclencher l'accompagnement pour recherche d'emploi ou pour formation si le cas le nécessite,...», explique le ministre. Les modalités en seront discutées lors des réunions de travail qui se tiendront prochainement. Jamal Belahrach, président de la commission Emploi et Relations sociales à la CGEM. Les ECO : Quel est votre sentiment après l'aboutissement d'un chantier qui dure depuis plusieurs années ? Jamal Belahrach : Je ressens la satisfaction du travail accompli. C'est pour nous une véritable fierté nationale. Le travail a été fait d'une manière collaborative entre l'Etat, le patronat et les syndicats. Tout le monde y a mis du sien pour faire aboutir ce projet que je considère comme historique et structurant pour le Maroc. Les syndicats se sont appropriés le sujet, et l'Etat a accepté de doubler le montant dédié au fonds d'amorçage. Cela dit, nous devons rester modestes et humbles au regard du travail qui reste à accomplir. Justement, quelle est la prochaine étape ? La date à retenir est le 1er janvier 2014. C'est la date à laquelle nous espérons opérationnaliser cette mesure. Je pense que l'attente a assez duré. Nous avons cinq mois pour donner forme à ce projet et travailler sur son processus opératif. La formalisation passera, fort probablement, par la publication d'un décret d'application, dans la mesure où l'indemnité de perte d'emploi a déjà fait l'objet d'un texte de loi en 2004. Concrètement, un groupe de travail composé de la CNSS, ANAPEC, OFPPT, CGEM et de syndicats entamera des réunions à la fin du mois de ramadan pour plancher sur les mécanismes d'opérationnalisation. Je pense qu'on aura plus de visibilité en octobre. Avez-vous des pistes concernant le mécanisme de déploiement de l'IPE ? Les mécanismes du déploiement sont encore en étude. Tout ce que l'on peut dire pour l'instant, c'est que le point de départ pour un employé licencié pourrait être l'Anapec, à qui il s'adresserait pour déclarer sa situation et remplir son dossier. Rien n'est vraiment arrêté. Apprécions d'abord cette nouvelle à sa juste valeur. Il faut aussi noter que l'aboutissement de ce projet montre clairement que le patronat marocain change. Le patronat n'a jamais été aussi engagé dans un processus de changement durable où la responsabilité sociale et l'empathie vis-à-vis de nos salariés sont les maîtres mots. L'indemnité pour perte d'emploi est tout simplement juste, nécessaire et vitale pour beaucoup de gens.