À quelque chose malheur est bon. C'est l'adage que se répètent, à mi-voix, les responsables marocains à propos du rapprochement maroco-espagnol. Le marasme économique où s'est noyée l'Espagne depuis 2008, a eu le mérite d'ouvrir les yeux des entrepreneurs sur les attraits entrepreneuriaux du Maroc. Depuis le déclenchement de la crise, l'Espagne a fait des progrès en matière d'exportations au Maroc, occupant actuellement le poste de premier fournisseur du royaume. Et les entrepreneurs espagnols bombent le torse d'avoir pu évincer un rival historique de taille, la France. Le capital ibérique, en revanche, tarde à couler à flots. Car au moment où les exportations ibériques explosent, c'est la balance commerciale du royaume qui en pâtit. En contrepartie, les Investissements directs étrangers (IDE) d'origine ibérique ne bougent pas d'un iota, ou du moins pas autant que les autorités marocaines auraient souhaité. À fin 2011, les IDE d'origine ibérique étaient de 1,5 milliards de DH. Un montant qui s'éloigne des 6 milliards de DH d'IDE ibériques observés en 2007. Certes, la moitié des investissements espagnols en Afrique sont au Maroc et 11% du total des IDE réalisés au royaume durant la période allant de 2004 à 2010 provenaient de l'Espagne, mais cette situation demeure tout de même déséquilibrée. La présence du capital espagnol reste timide, voire insignifiante si l'on se compare avec d'autres terres d'accueil d'IDE, où le capital ibérique arrive en tête. Et le Maroc n'hésite pas à le rappeler à son partenaire. Lors d'une visite à Madrid, Youssef Amrani, le ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coopération a appelé les investisseurs ibériques à reproduire le modèle réussi d'Amérique latine, sous nos cieux. En effet, trois quarts des avoirs détenus par les entreprises espagnoles à l'étranger sont dans des pays sud-américains. Le Maroc aspire à capter une partie de ce capital et non seulement à être une grande surface commerciale où les producteurs espagnols viendront écouler leurs marchandises. Mais quelle sera la formule parfaite pour atteindre ce bénéfice mutuel tant recherché? L'inspiration allemande «Le modèle idéal est la complémentarité et où les forces de chaque partenaire s'unissent à l'autre pour créer des entreprises plus compétitives dans le but de gagner des parts de marché en Europe, au Maroc, en Afrique et aux Etats-Unis, tout en créant de l'emploi en Espagne et au Maroc», analyse José Zaldo, le président du comité entrepreneurial hispano-marocain. Dans cette configuration, l'Espagne devrait apporter son savoir-faire technologique et ses connaissances du marché européen et américain. Pour sa part, le Maroc sera appelé à fournir les éléments d'une production compétitive, et garantir l'accès au marché africain et américain, préconise l'homme d'affaires espagnol. Les autorités marocaines se sont inspirées d'un cas d'école allemand, adopté précisément en Espagne dans les années 80. À cette époque, les industriels du secteur de l'automobile, confrontés à une stagnation du secteur, ont mis au point un schéma pour externaliser la production. Seuls les métiers à forte valeur ajoutée et ceux liés à la filière R&D ont été maintenus en Allemagne. Dans le cas maroco-espagnol, on remplace le terme délocalisation pour le terme colocalisation. Il s'agit d'une délocalisation partielle vers le marché marocain, capable d'héberger une partie des activités de l'industriel. Et aux yeux des Marocains, le royaume offre tous les ingrédients d'une colocalisation réussie tout comme l'Espagne d'ailleurs, dont le savoir-faire technologique n'est plus à démontrer. Cette nouvelle configuration semble prendre forme, doucement mais sûrement. «Nous nous attendions à une envolée des investissements cette année et ce d'une manière spectaculaire», se réjouit ce responsable au sein de l'Agence marocaine de développement des investissements (AMDI). Plusieurs firmes dans le secteur industriel devraient concrétiser leurs projets cette année. L'industrie du papier, le nettoyage industriel, les services, l'agro-industrie, etc sont parmi les secteurs auxquels appartiennent les entreprises attendues cette année. Ces implantations devront compenser le ralenti observé durant l'exercice précédent. Car si en 2011, l'Espagne occupait le 3ème rang en matière des IDE, en 2012 la péninsule ibérique est arrivée en 10ème position des pays investisseurs au Maroc. Cela trouve son explication, selon ce proche du dossier des IDE ibériques, du fait que les entrepreneurs espagnols ont préféré ralentir la cadence, à dessein. Le débat sur la réforme du Code du travail espagnol a poussé les investisseurs espagnols à faire profil bas en attendant de voir les contours du texte promis par le gouvernement pour flexibiliser le marché du travail. Cette attente a conduit à un fléchissement du capital ibérique. Les chiffres en 2013 devraient être plus que satisfaisants. Les pronostics parlent d'une hausse de 300% à en croire cette source à l'AMDI. Mais s'agit-il d'un capital sûr? Les ibériques ne plieront pas bagage une fois que leur économie aura repris son souffle ? Et souvenez-vous des mouvements de fonds de Telefonica et de Santander en 2009, lesquels ont vendu leurs participations dans des entreprises marocaines, empochés une plus-value coquette pour rapatrier ces fonds vers le marché latino-américain. «Les entrepreneurs espagnols réclament souvent du temps pour prendre la décision finale mais une fois le pas sauté, ils mettent le cœur à l'ouvrage», reconnaît ce connaisseur de la mentalité entrepreneuriale ibérique. Point de vue Antonio Fernandez Palacios, Secrétaire général du Conseil des chambres de commerce d'Andalousie. Le Maroc est un pays essentiel pour l'Espagne et pour l'Andalousie. Nous partageons des frontières et des intérêts, et nous avons développé une longue et étroite relation de voisinage et de coopération. Au sein des chambres de commerce d'Andalousie, nous sommes convaincus depuis toujours des avantages d'une coopération réciproque entre le deux rives, comme le prouve les différents projets que nous avons développés au Maroc. L' Andalousie est aujourd'hui pour le Maroc la porte d'entrée de l'Union européenne, la main -amie- tendue qui facilite le passage vers l'Occident, et c'est aussi la région qui traduit au mieux l'esprit arabo-musulman en territoire européen. Tout au long de l'histoire, les épreuves ayant marqué notre relation étaient diverses et variées, mais les erreurs, comme les bonnes décisions, sont aujourd'hui le témoignage d'une connaissance mutuelle profonde, et par conséquent la caution qui nous définit comme une région commune. Le modèle mis en place par les 14 chambres de commerce d'Andalousie cherche la complémentarité et la satisfaction mutuelle. Sur le plan économique, la région andalouse est aujourd'hui la 2e région exportatrice au Maroc. Nous prétendons non seulement consolider cette position mais aussi l'améliorer, autant que faire se peut. Dans notre cas, il s'agit de satisfaire les besoins du Maroc pour le développement de ses propres produits en s'appuyant sur la technologie et le savoir-faire andalous. Notre pari est de relever cette complémentarité, indispensable pour que la relation entrepreneuriale acquiert ce cachet social dont chaque projet économique devrait disposer pour ne pas se limiter aux aspects purement économiques. Dans ce sens, les lignes de coopération bilatérales sont très nombreuses. Le Conseil continuera à encourager les projets de coopération avec le Maroc à travers la consolidation de la présence andalouse sur le territoire marocain. Le royaume est le premier partenaire commercial de l'Espagne en Afrique du nord, et l'Espagne est pour le Maroc un passage obligé pour ses relations avec l'Europe. Il existe, je le répète, des liens commerciaux profonds, qui toutefois n'ont pas dévoilé l'ensemble de leurs potentialités.